
Quatre mois. Cela fait quatre mois que l'audience du procès du Rio-Paris est achevée, pourtant le procès en lui-même n'est toujours pas achevé. Il manque encore le verdict. Celui-ci sera rendu ce lundi 17 avril, dans l'après-midi au Tribunal correctionnel de Paris. Il déterminera si Air France et Airbus sont reconnus coupables ou non d'homicides involontaires par « maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence imposée par la loi ». Surtout, il portera l'ambition de mettre un terme à une affaire débutée il y a bientôt 14 ans dans l'Atlantique Sud, avec la disparition dans d'un Airbus A330 d'Air France dans la nuit du 1er juin 2009, le vol AF447.
Les juges ont déjà délibéré et sans doute achevé la rédaction de leur verdict, mais ils sont les seuls à le connaître aujourd'hui. Celui-ci est attendu certes par les accusés, qui risquent une condamnation en tant que personnes morales, tout comme par les avocats, les témoins, les experts et peut-être même plus largement le monde aéronautique. Pourtant, en tant que personnes morales, Airbus et Air France ne risquent aucune peine de prison, seulement 225.000 euros d'amende. Une égratignure pour des sociétés réalisant des dizaines de milliards d'euros de chiffre d'affaires par an. Le préjudice réputationnel d'une condamnation serait certes important sur le moment, mais ne devrait non plus leur faire de l'ombre très longtemps même si des accusations ont été portées quant à la conception et les équipements de l'A330, ou quant à la formation et l'information au sein d'Air France.
L'angoisse des familles
Les plus impatients, ou angoissés, à l'approche du verdict sont à chercher du côté des 489 parties civiles constituées. Ce sont les familles des 228 victimes, passagers et membres d'équipages, qui ont perdu leurs proches cette nuit-là. Depuis 2009, ils attendent une réponse à ce qu'il s'est passé, un moyen d'essayer de tourner enfin la page... quitte à n'imaginer d'autre dénouement que la condamnation d'Airbus puis d'Air France. Le constructeur européen a ainsi constitué un coupable désigné pour la plupart des parties civiles tout au long de l'audience, bien davantage que la compagnie aérienne même si celle-ci n'a pas été épargnée. Une condamnation serait un symbole fort, une victoire. La relaxe serait sans doute insupportable à entendre, quand bien même elle soit juste et justifiée. Le fait que le parquet ait déclaré « ne pas être en mesure de requérir la condamnation » avait déclenché l'ire des familles, qui avaient quitté le tribunal avec pertes et fracas.
Il faut dire que l'attente est interminable, voire insupportable depuis la disparition de l'avion en 2009. Il avait déjà fallu deux ans pour retrouver l'épave de l'Airbus A330 d'Air France, tombé en mer dans la nuit du 1er juin 2009. L'enquête technique s'était de fait étirée en longueur, avant que la procédure judiciaire ne connaissance moults rebondissements entre mises en examen, non-lieu, appel, expertise et contre-expertises. De quoi renforcer encore le ressentiment à l'encontre des deux géants de l'aviation, finalement placés dans le box des accusés près de 14 ans après.
Un procès complexe
En dépit de cela, il fallait sans doute bien quatre mois de plus pour établir un verdict tant l'affaire s'est révélée complexe pendant les deux mois d'audience, balançant entre explications techniques des experts et des accusés - parfois contradictoires - et émotions vives des familles de victimes portées par leurs avocats. Au-delà même de l'avion, de l'équipage, du constructeur ou de la compagnie, c'est toute la pertinence du système de certification et les principes de sécurité de l'aviation commerciale, réputés pour être parmi les plus drastiques et efficaces au monde, qui ont été interrogés et parfois mis en cause : si chacun a bien joué son rôle pour adresser un problème tel que le givrage à haute altitude des sondes Pitot, si la réglementation a été respectée, comment se fait-il qu'un tel crash ait eu lieu ?
Si Airbus et Air France sont condamnés en dépit un avion conçu et maintenu selon les règles, un équipage formé et informé de façon conforme, tel que l'a établie l'enquête technique, la justice prendrait dès lors le pas sur la réglementation aéronautique.
A ceux qui soutenait qu'un tribunal n'était pas le lieu pour juger des responsabilités dans un crash aérien, ce procès aura montré la nécessité d'aller parfois au-delà de l'enquête technique, ne serait-ce que pour permettre à chacun d'essayer de comprendre et d'avancer dans le processus de deuil. Et ce en grande partie grâce à la grande maîtrise dont ont fait preuve les trois juges, dont la présidente du tribunal correctionnel Sylvie Daunis.
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