Airbus et Dassault Aviation ont bien trouvé un accord sur les commandes de vol du démonstrateur. C'était l'un des points durs de la négociation de la phase 1B (études détaillées en vue d'aboutir à la définition d'un démonstrateur) entre les deux partenaires du pilier 1 du programme SCAF (NGF, l'avion de combat). Selon nos informations, le constructeur du Rafale va donc développer, en tant que maître d'oeuvre, les commandes de vol du démonstrateur (phases 1B et 2 du SCAF) à partir des briques technologiques des commandes de vol numériques de son nouvel avion d'affaires Falcon 10, dont l'entrée en service est prévue pour fin 2025.
Phase 1B : Airbus renonce aux commandes de vol
Plus personne ne conteste le choix des commandes de vol du Falcon, y compris, selon nos informations, Airbus. Pour deux bonnes raisons. La première est que tous les industriels duaux (défense et civil) du monde entier ont pris l'habitude de profiter de financements dans la défense pour les intégrer ensuite dans des programmes civils. C'est d'ailleurs ce que va faire Airbus avec la future génération de satellites d'observation de la Terre Pléiades Neo, qui seront en grande partie développés et financés par la Direction générale de l'armement (DGA) dans le cadre du programme IRIS (programme de satellites espions), qui succèdera à CSO. Dans le cadre du SCAF, Dassault Aviation va donc réutiliser le hardware des commandes de vol du Falcon 10 qui équipera le démonstrateur tout en travaillant sur un ensemble de modifications logicielles (soft) des commandes de vol.
Pourquoi Airbus a-t-il finalement renoncé à mener ce combat ? La date du premier vol est proche. Autant profiter de briques technologies récentes pour l'installer sur le démonstrateur NGF (Next Generation fighter) dont le premier vol est prévu en 2027. Et surtout Airbus a jugé qu'il y avait des dossiers plus importants en termes de technologies sur le démonstrateur tout en considérant que ce dernier ne reflétera pas forcément l'avion de combat final. "Ce n'est pas un prototype, ce n'est qu'un démonstrateur, précise un observateur des programmes de défense à La Tribune. Autant un prototype préfigure ce que sera le programme final. Autant sur un démonstrateur, on choisit les technologies sur lesquelles on pense qu'il faut travailler pour préparer l'avenir".
Clairement, Airbus s'est rendu compte qu'il n'y avait pas autant d'enjeux à court terme que cela sur les commandes de vol. D'autant qu'au final cette décision peut se traduire par un achat sur étagère de commandes. "Si les commandes de vol avaient été un développement prioritaire du démonstrateur, les enjeux auraient été beaucoup plus importants", note cet observateur. Fin de la bagarre ? Pas vraiment...
Commandes de vol : quels enjeux de Dassault et d'Airbus ?
Dassault Aviation a gagné une bataille, mais pas la guerre sur les commandes de vol. Car les deux industriels se bagarrent déjà sur l'après démonstrateur, quand les enjeux pour les deux industriels seront majeurs. C'est pour cela que le PDG de Dassault Aviation Eric Trappier a sorti l'artillerie lourde début mars sur les commandes de vol : "Il y a ceux qui savent les faire et ceux qui ne savent pas les faire. Je pense que Dassault a su démontrer tout au long de son histoire qu'il savait les faire. Et c'est même unique au monde puisqu'on est les seuls avionneurs au monde à dessiner nos avions en développant les commandes de vol. En parallèle, dans le même bureau d'études, ici à Saint-Cloud".
"S'il y en a qui pensent qu'ils sont meilleurs que nous ou qu'ils sont aussi bons que nous pour être capables de faire, peut-être, après tout, je ne suis pas contre le fait de l'entendre. D'ailleurs, les commandes de vol d'Airbus, ça marche très bien. Mais le bureau d'études n'est pas à Manching (en Bavière, ndlr), il est à Toulouse, donc je n'ai rien contre ça", avait martelé Eric Trappier.
En dépit du pilonnage intensif du PDG de Dassault Aviation, Airbus Allemagne continue à faire de la résistance avec l'objectif de pérenniser l'avenir des bureaux d'études et la production du site de Manching, où le groupe a développé des compétences dans les commandes de vol. Des compétences qui ont permis de concevoir les commandes de vol de l'Eurofighter, le rival du Rafale. Airbus Allemagne a-t-il autant de compétences que Dassault Aviation ? A voir mais Manching peut au moins "challenger" l'avionneur tricolore dans certains domaines. Et ce quand bien même le constructeur du Rafale estime qu'il est "parmi les meilleurs au monde dans le domaine, si ce n'est le meilleur en termes de commandes de vol". Pour autant, Eric Trappier ne ferme pas la porte à la coopération dans ce domaine :
"C'est nous qui définissons les commandes de vol et le partage (des paquets d'activités, ndlr). Ce qui ne veut pas dire qu'on exclut les autres dans les 'work packages' que nous avons définis sur les commandes de vol. Certains ont du travail à faire en Allemagne : cela peut être Airbus dans certains cas mais cela peut être aussi d'autres sociétés comme Hensoldt avec qui nous travaillons pour être capable aussi, un jour ou l'autre, de fabriquer des commandes de vol".
Le face à face entre Trappier et Schoellhorn
Qu'est-ce qui se joue vraiment entre les deux industriels, et au-delà entre la France et l'Allemagne ? En France, on est convaincu que Dassault Aviation doit garder la main sur les commandes de vol pour éviter notamment les envies toxiques de la sur-spécification à l'allemande. "On voit ce que ça a donné avec l'Eurodrone", constate un observateur. En outre, on rappelle qu'Airbus Allemagne est complètement hors de sa zone de compétences pour certaines phases de vol comme par exemple l'appontage.
Cela n'empêche pas les Allemands, qui souhaitent plus de coopérations dès à présent sur les commandes de vol, de vouloir d'ores et déjà des engagements fermes de Dassault Aviation sur un avenir, qui n'est pourtant pas encore vraiment défini. Pour sa part, les Français souhaitent signer le contrat de la phase 1B, puis jauger la coopération de façon pragmatique pour décider s'il y a une possibilité de le faire plus étroitement. Le constructeur du Rafale ne veut surtout pas se mettre un fil à la patte si la coopération ne se déroule pas comme il la conçoit. C'est ce qu'Airbus appelle pudiquement une différence de culture en matière de coopération.
C'est le point dur entre les deux groupes. Et la méfiance, qui s'est installée entre Eric Trappier et Michael Schoellhorn, ne fluidifie vraiment pas les négociations entre les deux groupes. Chez Dassault, on estime que le patron d'Airbus Defence and Space détricote tout ce qu'a négocié Dirk Hoke, son prédécesseur. Résultat, les deux hommes forts de la négociation campent sur leur posture. Une vraie guerre de tranchée pour un avion de combat du futur. Quelle ironie du sort !
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