Sous-marins en Australie : 10 questions clés pour décrypter une crise hors norme

Retour sur une crise hors norme entre Paris, Washington, Canberra et Londres. Dix questions clés pour comprendre.
Michel Cabirol
C'est en juin que Paris a commencé à avoir des doutes sur la pérennité de ce contrat hors norme, dont la rupture a été annoncée par lettre à Emmanuel Macron quelques heures avant son officialisation.
C'est en juin que Paris a commencé à avoir des doutes sur la pérennité de ce contrat hors norme, dont la rupture a été annoncée par lettre à Emmanuel Macron quelques heures avant son officialisation. (Crédits : Naval Group)

Avec l'alliance AUKUS dans l'Indo-Pacifique lancée par les Etats-Unis, l'Australie et la Grande-Bretagne, la France ignorée et outragée par ses "alliés" a été dynamitée, dispersée, ventilée dans cette région. Une région où elle nourrit pourtant de grandes ambitions en raison de la présence de près de 2 millions de ressortissants en Indo-Pacifique. Dans la foulée, l'Australie a annulé un accord conclu en 2016 avec Naval Group pour la construction d'une flotte de 12 sous-marins conventionnels, annonçant dans le même temps une commande d'au moins huit sous-marins à propulsion nucléaire avec les technologies américaine et britannique dans le cadre d'un partenariat de sécurité trilatéral. Retour sur une crise hors norme, qui en dit long sur le peu de considération que les Etats-Unis ont sur certains de leurs alliés.

1/ Quels pays ont pris des libertés avec la vérité ?

Quel(s) pays a/ont désinformé ? La France, qui assure avoir été prévenue au tout dernier moment de l'annonce de la création de l'alliance AUKUS et de l'abandon du programme des sous-marins conçus et fabriqués par Naval Group, ou l'Australie, qui rétorque que Paris était au courant de sa volonté d'abandonner ce programme. S'il y avait une seule preuve irréfragable de la duplicité de Canberra et de son Premier ministre, Scott Morrison, c'est bien ce courrier, qui a été envoyé le jour même de l'annonce de l'alliance. "Les Australiens ont écrit à la France pour dire qu'ils étaient satisfaits des performances atteignables par le sous-marin et par le déroulement du programme. En clair : en avant pour lancer la prochaine phase du contrat", a tweeté le porte-parole du ministère des Armées, Hervé Grandjean.

Il est désormais clair que l'Australie a négocié pendant des mois avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne dans le dos de la France et dans le plus grand secret le pacte AUKUS tout en poursuivant comme de si rien n'était, les négociations avec Naval Group et Paris. "Il y a eu une duplicité de la part de l'exécutif australien vis-à-vis de ses propres équipes", qui négociaient le contrat avec Naval Group, a également estimé le porte-parole du ministère des Armées, Hervé Grandjean, dans une série de tweets explicatifs  sur l'affaire des sous-marins australiens. Digne des plus importantes opérations de manipulation de l'histoire. Ce qu'a finalement confirmé Scott Morrison à son arrivée à New York pour l'Assemblée générale des Nations unies avait négocié confidentiellement avec les États-Unis et qu'il ne pouvait dévoiler les négociations sur le pacte AUKUS. "Il ne nous était pas possible de discuter de questions aussi sûres dans le cadre de nos relations avec d'autres pays à ce moment-là", a-t-il expliqué sur le tarmac de l'aéroport de New York.

"Nous avons été en contact avec nos homologues français au cours des dernières 24 à 48 heures pour discuter de AUKUS, y compris avant l'annonce", avait également assuré le secrétaire d'État américain Antony Blinken. Mais la France a fermement démenti avoir été avertie en amont, et encore moins consultée. "Nous n'avons pas été informés de ce projet avant la publication des premières informations dans la presse américaine et australienne", le jour même de l'annonce du pacte AUKUS, a répondu le porte-parole de l'ambassade de France à Washington. La rencontre entre Joe Biden et Emmanuel Macron a permis de restaurer une partie de la vérité. Les deux chefs d'État ont convenu que "des consultations ouvertes entre alliés" auraient "permis d'éviter cette situation". Ce qui montre que les Etats-Unis ont semblé reconnaître un défaut de dialogue avec son allié.

2/ Les sous-marins français répondaient-ils aux besoins australiens ?

Il ne fait aucun doute que le sous-marin proposé en 2014 par la France répondait alors aux besoins et aux missions de la marine australienne. Selon nos informations, la France avait dans des discussions préliminaires interrogé l'Australie sur une possible vente de sous-marins à propulsion nucléaire. Ce qu'avait écarté très rapidement Canberra, qui avait estimé à ce moment-là que l'opinion publique australienne n'était pas prête. D'où la proposition de développer un sous-marin dérivé du programme français Barracuda à propulsion conventionnelle. En 2009, le livre blanc de la défense australien (Defence White Paper), soit deux ans après le début du projet de remplacement des sous-marins Collins, était très clair : "Le gouvernement a exclu la propulsion nucléaire de ses sous-marins". Pour autant, au sein de Naval Group, on gardait cette idée de proposer à nouveau cette possibilité une fois les premiers sous-marins à propulsion conventionnelle en service à la marine australienne, qui en rêvait.

"On avait un sous-marin qui répondait aux besoins australiens", estime mordicus le ministère des Armées. Le tonnage prévu des sous-marins australiens (entre 5.000 et 6.000 tonnes) était "suffisamment important pour permettre le rayon d'action demandé pour les opérations navales australiennes", a précisé Hervé Grandjean. Le sous-marin proposé à l'Australie était de classe océanique, c'est-à-dire qu'il avait de très grandes capacités d'autonomie et de distance franchissable. En outre, la vitesse d'écoute silencieuse (à laquelle on peut écouter sans être détecté) était particulièrement élevée grâce à la technologie de pompe-hélice, que très peu de pays maîtrisent. Car selon le porte-parole, "au plan acoustique notamment, la discrétion d'un sous-marin conventionnel reste dans certaines circonstances paradoxalement meilleure que celle d'un sous-marin nucléaire : un sous-marin classique n'a pas en permanence un système de refroidissement de son réacteur en marche".

"Le sous-marin proposé à l'Australie était de classe océanique, c'est-à-dire qu'il avait de très grandes capacités d'autonomie et de distance franchissable", a rappelé Hervé Grandjean.

Soit un programme de 12 sous-marins, qui collait parfaitement aux missions de la marine australienne, qui ne pouvait pas monter à bord d'un sous-marin à propulsion nucléaire. Le gouvernement indiquait dans un nouveau livre blanc en 2016 qu'elle voulait également augmenter l'importance de sa force sous-marine de 6 à 12 bateaux. Cette décision montrait déjà que l'Australie devrait "faire face à un environnement maritime plus difficile dans les décennies à venir. D'ici 2035, environ la moitié des sous-marins du monde opéreront dans la région Indo-Pacifique où les intérêts de l'Australie sont les plus engagés". D'autant que l'Australie possède l'un des plus grands domaines maritimes au monde. "Nous avons besoin de la capacité de défendre et de promouvoir nos intérêts du Pacifique à l'océan Indien et des régions situées au nord jusqu'à l'océan Austral".

Des sous-marins qui pouvaient permettre de briser un éventuel blocus chinois. Car un éventuel départ de la France de Nouvelle-Calédonie présenterait au moins deux intérêts majeurs pour Pékin. Selon un rapport de l'Institut de Recherche Stratégique de l'École Militaire (IRSEM), la Nouvelle-Calédonie deviendrait "d'abord la clé de voûte de la stratégie d'anti-encerclement chinoise, tout en isolant l'Australie puisqu'en plus de Nouméa, Pékin pourra s'appuyer sur Port Moresby (capitale de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, ndlr), Honiara (capitale des Salomon, ndlr), Port-Vila (capitale du Vanuatu, ndlr) et Suva (capitale des Fidji, ndlr)".

3/ Quel est le montant du contrat ?

Dans un document de 2016 sur les investissements à venir dans la défense, l'Australie évaluait le programme à plus de 50 milliards de dollars australiens (évaluation, design et construction). Soit 12 sous-marins de supériorité régionale en vue de remplacer la flotte existante de six sous-marins de classe Collins. En janvier 2020, la cour des comptes australienne (Australian National Audit Office) publiait un audit dans lequel elle expliquait que le ministère de la Défense avait informé en novembre 2019 le Sénat que le coût d'acquisition des futurs sous-marins était "de l'ordre de 80 milliards de dollars", avec un "coût de maintien estimé à 145 milliards de dollars en 2080".

Pourquoi une telle hausse du programme ? Il y a d'abord la confusion entre le coût du programme en dollars constants (dollar constant 2016) et le coût en dollars courants (90 milliards environ en 2050 en raison de l'inflation). Ensuite, les spécifications demandées, notamment en matière de cybersécurité, par les Australiens ont également fait gonfler la facture au fil du programme. Ainsi, une nouvelle directive australienne en avril 2018 sur la renégociation du contrat a pris en compte de nouvelles problématiques qui n'avaient pas été définies auparavant. Plus généralement, l'Australie avait fait un choix ambitieux mais risqué. Et les Australiens en étaient conscients.

En revanche, la part de Naval Group, qui n'a jamais été chiffrée de façon très précise en raison de la négociation au coup par coup des différents jalons, s'élevait entre 8 et 15 milliards d'euros, selon le ministère des Armées. Elle n'a jamais varié non plus. Le reste du montant du contrat devait revenir à Lockheed Martin, maître d'oeuvre du système de combat et des armements, et à l'australien ASC, qui devait construire à Adélaïde les halls de construction pour l'assemblage des 12 sous-marins. En réalité, il n'y avait pas un contrat mais plusieurs contrats dans le cadre de ce qui était le plus grand programme d'armement australien de l'histoire. A chaque jalon passé, Naval Group devait négocier un nouveau contrat. C'était le cas quand Canberra a annulé le programme.

Selon l'ANAO, le ministère de la Défense avait dépensé au 30 septembre 2019, 834,89 millions de dollars pour le programme des futurs sous-marins, dont 396 millions (47 %) pour les travaux de conception. Sur ce montant, Naval Group a encaissé un chèque de 456,6 millions de dollars australiens. Depuis le début du projet, l'Australie a dépensé 2,4 milliards de dollars australiens (1,5 milliard d'euros) dans le programme, a affirmé dans un entretien à la radio 3AW Scott Morrison. Dans une interview accordée au Figaro, le PDG de Naval Group Pierre Eric Pommellet, avait précisé que "deux contrats ont été signés pour 840 millions d'euros et payés par le client". En fait, trois contrats ont été signés entre l'Australie et Naval Group entre 2016 et 2019 : Design Mobilisation Contrat (DMC) signé en octobre 2016, le contrat-cadre (Strategic Partnering Agreement) en février 2019 et Submarine Design Contract (361 millions d'euros) en mars 2019.

4/ Naval Group était-il en retard ?

Le premier sous-marin du futur devrait entrer en service en 2034, soit 18 ans après la sélection de Naval Group en 2016. Selon le ministère de la défense australien, la phase de design et de construction des 12 nouveaux sous-marins, qui a débuté en 2018, devait s'étendre jusqu'en 2054, voire en 2057. "La décision de ne pas acquérir une plate-forme sous-marine militaire standard et d'engager à la place un partenaire stratégique pour concevoir et livrer les sous-marins avec une contribution importante de l'industrie australienne, a augmenté le risque de cette acquisition", avait expliqué l'ANAO dans son rapport.

Ainsi, en février 2019, le ministère de la défense australien informe le gouvernement que Naval Group a proposé de prolonger la date d'achèvement des travaux de conception du futur sous-marin de juillet 2022 à septembre 2023. Soit environ 15 mois plus tard que la date prévue par le ministère dans sa planification du programme. In fine, un recalage de neuf mois est conclu entre Naval Group et le ministère de la Défense australien avec l'accord du patron du programme, le contre-amiral Gregory Sammut. Le ministère avait alors estimé qu'investir "plus de temps pour achever la conception jusqu'à un niveau de maturité approprié se traduirait par une conception stable, réduisant ainsi le risque de dépassement important du calendrier ou des coûts pendant la phase de construction du programme".

Factuellement, Naval Group a pris du retard sur le calendrier fixé par le ministère de la Défense australien. L'opposition au gouvernement Morrison en a profité et a abusé avec beaucoup d'exagération de ce recalage. C'est notamment le cas du sénateur Rex Patrick, ancien de ThyssenKrupp Marine Systems (TKMS), qui a perdu la compétition en avril 2016 face à Naval Group. Un retard qui n'est que la conséquence du recalage du programme. En septembre 2019, le ministère informe l'ANAO que le calendrier de conception du programme de sous-marins a été prolongé de neuf mois par rapport à ses estimations et non de 15 mois.

Pour autant, ce "retard" ne modifiait pas, selon le ministère australien, la date de livraison prévue pour le premier sous-marin de classe Attack ainsi que la mise à l'eau du premier sous-marin en décembre 2031, soit quelques semaines en avance par rapport au calendrier du programme (2032). "La pression sur le calendrier est reconnue", note alors l'ANAO. La revue du design préliminaire, prévue initialement en mars 2020, est donc décalée à janvier 2021. Elle ne sera réalisée que le 15 septembre, jour de l'abandon du programme par les Australiens. Soit six mois plus tard.

5/ Où en était le programme ?

Le jour même de l'abandon du programme, les Australiens écrivaient à la France pour dire qu'ils étaient satisfaits des performances atteignables par le sous-marin et par le déroulement du programme. Naval Group avait passé en dépit de la crise du Covid-19 la phase d'avant-projet détaillé du programme, qui s'est terminée en janvier par une revue appelée la revue fonctionnelle du système (SFR). Ce jalon déclenchait automatiquement la phase suivante ("Basic Design"), une étude de deux ans pour définir les 100.000 pièces les plus importantes du programme. C'est ce qu'était en train de négocier le groupe naval français avec le ministère de la Défense depuis le dernier trimestre 2020 quand Canberra a abandonné le programme. Puis, les deux parties devaient négocier la phase "Detail Design" (conception détaillée + construction du premier sous-marin) pour l'intégralité des pièces des sous-marins (juin 2022).

6/ Quelles conséquences pour la France ?

Cet échec pourrait avoir des conséquences diplomatiques et commerciales. La perte du contrat australien est d'abord une énorme claque politique pour la France. Même si Joe Biden a assuré que la France restait un partenaire clé en Indo-Pacifique, la décision australienne est un vrai coup de frein à la stratégie de la France dans cette région. Paris comptait beaucoup sur le contrat des sous-marins pour verrouiller sur le long terme (30 ans) son partenariat stratégique avec l'Australie. Canberra était d'ailleurs considéré comme un partenaire majeur de la France dans cette région. Ce partenariat stratégique avec Canberra s'appuyait sur une coopération de sécurité et de défense très dense, qui avait été consolidée par le contrat des 12 futurs sous-marins océaniques australiens en 2016. Des ambitions françaises qui se brisent sur la réorientation stratégique de l'Australie en faveur des Etats-Unis. Le terrible échec de l'équipe France invite désormais Paris à revisiter sa stratégie en Indo-Pacifique même si elle garde de fortes ambitions.

Pour Naval Group, au-delà de la perte sèche d'un énorme contrat (500 millions par an sur un contrat de long terme), le coup de massue australien est beaucoup plus dangereux à terme pour sa réputation et son image dans le domaine commercial. Dans la région Indo-Pacifique, Naval Group, qui a déjà placé des Scorpène en Inde et en Malaisie, est en piste pour en vendre également aux Philippines et surtout en Indonésie et en Inde. Pas sûr que la décision de l'Australie, qui sera d'ailleurs dûment exploitée par la concurrence (TKMS, Navantia et Kockums), incite ces deux pays à plonger avec les sous-marins français et soit un formidable argument de vente. Les Pays-Bas, qui souhaitent renouveler leur flotte de sous-marins, ont désormais eux aussi un argument massue pour écarter les Français. Les mois à venir vont être très compliqués à gérer pour les équipes commerciales de Naval Group, dont le moral doit être en outre dans les chaussettes. En outre, en France sur le plan social, 650 salariés (dont 500 à Cherbourg), principalement dans les bureaux d'études étaient concernés, ainsi que des dizaines de salariés des entreprises sous-traitantes.

Pour autant, le ministère des Armées se veut rassurant. "Le projet français bénéficiait directement des acquis technologiques du sous-marin nucléaire d'attaque Barracuda, ainsi que de l'expertise de Naval Group, issue des nombreux programmes Scorpène vendus à l'export (Chili, Malaisie, Inde, Brésil)", assure Hervé Grandjean. Il rappelle également que depuis 120 ans, la France a construit plus de 250 sous-marins, dont plus de 230 à propulsion conventionnelle. "Le retour d'expérience en ingénierie et savoir-faire est considérable", martèle-t-il. Résultat, "nous n'avons pas d'inquiétudes particulières" pour nos prospects commerciaux, estime-t-on au ministère des Armées. Et Pierre Eric Pommellet de faire valoir dans le Figaro que "l'Australie a résilié le contrat pour convenance, selon le terme juridique, ce qui veut dire d'ailleurs que nous ne sommes pas en faute".

7/ Industriellement, l'Australie se tire-t-elle une balle dans le pied ?

L'Australie va-t-elle passer à côté d'une formidable opportunité de devenir souveraine en matière de conception de sous-marins ? Canberra avait exigé et obtenu de la France, notamment de Naval Group, dans le cadre du programme "Future Submarine Program" un important transfert de technologies en 2016 puis d'"australianiser" à hauteur de 60% la valeur de son contrat en signant un engagement fin mars. Le groupe tricolore devait organiser pratiquement ex nihilo toute une nouvelle filière australienne en vue de participer à ce programme de sous-marins. Ce programme devait apporter à l'Australie le savoir-faire nécessaire à leur construction et de développer des industries de défense souveraines en favorisant une nouvelle génération de compétences locales.

Ce travail colossal était en cours avant la résiliation du contrat, y compris le chantier à Adélaïde où devaient être bâtis les gigantesques ateliers nécessaires à la fabrication des 12 sous-marins. En revanche, sur le plan opérationnel, les Etats-Unis avaient déjà gardé les clés des sous-marins en obtenant de l'Australie de sélectionner un groupe américain pour le système de combat. Canberra avait choisi en septembre 2016 Lockheed Martin Australia. Canberra va devoir s'expliquer et expliquer l'arrêt du projet aux nombreuses entreprises australiennes sélectionnées par Naval Group. Elles lorgnaient le pactole du programme Attack-Class envoyé par le fond.

La décision de Canberra annule également la création nette de 1.800 emplois chez Naval Group Australia et 1.000 autres environ chez les sous-traitants locaux. Soit 2.800 personnes présentes sur le chantier d'Adélaïde où déjà certains bâtiments avaient été livrés. "En Australie, dans le cadre du contrat nous arrêterons toutes les activités liées au programme mais nous restons présents en Australie pour de l'innovation via les accords signés avec des universités locales", a expliqué le PDG de Naval Group .Les halls d'assemblage devaient être livrés en 2023. Concernant les emplois indirects, le ratio est estimé à un facteur 4. Ces emplois vont-ils migrer sur le projet de sous-marins à propulsion nucléaire, dont la construction pourrait  avoir lieu à Osborne en Australie-Méridionale. A voir.

8/ Mais que faisaient les services de renseignement ?

Pourquoi les services de renseignement n'ont rien vu venir ? Le ministre des Affaires étrangères a été clair. Jean-Yves le Drian a dédouané les services de renseignement français d'une quelconque défaillance dans une citation reprise par le magazine Challenges : "En l'occurrence, le projet d'accord initié par les États-Unis et l'Australie a été décidé en tout petit comité et je ne suis pas sûr que tous les ministres australiens et américains le savaient". Clairement, il était quasi impossible de découvrir un tel secret. Moins d'une quinzaine de personnes aux Etats-Unis, en Australie et en Grande-Bretagne étaient dans la confidence.

La France a-t-elle ignoré ou raté des signaux faibles venus d'Australie ? Ceux qui expliquent et écrivent qu'il y avait ces fameux signaux faibles sont leurrés par le Premier ministre australien, qui a désinformé depuis le 15 septembre, et par l'environnement politique très spécial en Australie. Depuis 2016, l'opposition s'est emparé de ce dossier pour déstabiliser les gouvernements du parti libéral au pouvoir, d'abord celui de Malcolm Turnbull, puis celui de Scott Morisson. Ce programme a donc été constamment attaqué par l'opposition.

En juin, "il est prudent que la Défense envisage des alternatives si nous n'étions pas en mesure de poursuivre le projet", avait alors déclaré le plus haut fonctionnaire en charge du dossier au ministère australien de la Défense, piégé par des questions du sénateur Rex Patrick, lors d'une audition au Sénat Greg Moriarty. Plusieurs ministres australiens sont alors montés au créneau pour assurer qu'il n'y avait pas de plan B : ni TKMS, ni Saab Kockums. Greg Moriarty avait également précisé un jour plus tard lors d'une audition au Sénat (Senate estimates) que "le programme de classe Attack continue de progresser, et nous travaillons de manière constructive avec Naval Group pour essayer de passer à l'étape suivante".

C'est finalement en juin que Paris a commencé à avoir des doutes sur la pérennité de ce contrat hors norme, dont la rupture a été annoncée par lettre à Emmanuel Macron quelques heures avant son officialisation. A partir de juin, "nous avions eu des échos des préoccupations australiennes quant à l'exécution du contrat. Nous nous sommes donc portés disponibles pour répondre à leurs inquiétudes et leur donner les assurances nécessaires", a rapporté à Reuters l'Élysée. "Jamais nos interlocuteurs australiens n'ont saisi ces opportunités pour nous faire part de leur réflexion quant à une option alternative".

Le sujet a été évoqué à l'initiative de la France lors du sommet du G7 qui s'est tenu du 11 au 13 juin à Carbis Bay, dans les Cornouailles, où l'Australie avait été conviée. "Les Etats-Unis ne nous en ont jamais parlé d'initiative et n'ont jamais répondu à nos questions", a précisé la présidence française. Après le sommet du G7, le Premier ministre australien Scott Morrison a été reçu à l'Élysée le 15 juin, à l'initiative d'Emmanuel Macron. Ce jour-là, le Premier ministre australien "ne lui a rien dit qui laissait présager cela et ils sont convenus de poursuivre le travail", a-t-on précisé de même source. "Le Président a écrit longuement à Morrison pour répondre à ses préoccupations. La réponse de Morrison a été purement dilatoire".

9/ Les Européens ont-ils soutenu la France ?

Les Européens ont été très discrets et ont peu soutenu la France. Cinq jours après l'annonce de l'abandon du programme de sous-marins, la présidente de la commission européenne Ursula von der Leyen a estimé dans une interview accordée à CNN que "l'un de nos membres a été traité de manière inacceptable". "Nous voulons savoir ce qui s'est passé et pourquoi", a-t-elle précisé. Le président du Conseil européen, Charles Michel, a dit avoir du mal à comprendre la décision des Américains, des Australiens et des Britanniques. "L'Amérique est de retour. Tel était le message historique adressé par cette nouvelle administration mais désormais nous nous posons des questions. Que cela signifie-t-il ? L'Amérique est-elle de retour ? Est-elle de retour en Amérique ou ailleurs ? Nous ne savons pas", s'est-il interrogé.

"Il est très étrange de placer l'Europe en dehors du jeu dans la région indo-pacifique", a-t-il poursuivi. "Les principes élémentaires d'une alliance sont la loyauté et la transparence (...). Ce n'est pas le choix qu'a fait notre allié."

La France, comme souvent, ne pourra pas compter sur l'appui du Danemark. La Première ministre danoise a apporté son soutien... à Joe Biden, un fidèle défenseur des relations entre l'Europe et les Etats-Unis, selon elle. Elle a estimé que l'annulation par l'Australie du contrat de sous-marins avec la France ne pouvait servir de motif à un différend transatlantique. Quant à l'Allemagne, elle n'a pas perdu son temps... en Australie. "Nous voulons approfondir notre dialogue sur la sécurité spatiale. À cette fin, l'amiral David L. Johnston (le numéro deux de l'état-major australien, ndlr) et moi avons signé aujourd'hui, à Berlin, une lettre d'intention pour le 'Military Space Partnership'. Nous nous concentrons sur les données et les capteurs au sol", s'est félicité le 20 septembre dans un tweet le chef d'état-major de la Bundeswehr, le général Eberhard Zorn.

10/ Comment la France peut-elle sortir par le haut ?

Toute la question est de savoir désormais comment la France va-t-elle sortir par le haut de cette crise ? Il semble clair que Paris est allé au bout de ce qu'elle pouvait faire dans la crise avec les États-Unis. La semaine dernière, Emmanuel Macron et Joe Biden ont promis lors d'un appel téléphonique de restaurer la confiance entre France et Etats-Unis après la crise des sous-marins australiens, qui aurait pu être évitée par "des consultations ouvertes" en amont, selon un communiqué commun de l'Élysée et de la Maison Blanche. "Des consultations ouvertes entre alliés sur les questions d'intérêt stratégique pour la France et les partenaires européens auraient permis d'éviter cette situation. Le Président Biden a fait part de son engagement durable à ce sujet", a indiqué le communiqué. Au-delà de cette déclaration, il semblerait que les Etats-Unis ont en compensation laissé la France gagner en Grèce un gros contrat de 5 milliards d'euros.

Michel Cabirol

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Commentaires 6
à écrit le 02/10/2021 à 15:50
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Pourquoi ne pas s'entendre avec les Chinois ? La France reconnait la souveraineté Chinoise sur la Mer de Chine du Sud avec les Spratleys, les Paracels et .. Taïwan jusqu'aux frontières de l'Australie ! La Chine reconnait la souveraineté Française sur...

à écrit le 29/09/2021 à 10:28
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Une bonne idée que cette rétrospective et c'est là que nous constatons qu'à force d'avoir des dirigeants politiques toujours plus faibles car toujours plus soumis à ceux qui ont l'argent les relations diplomatiques sont de plus en plus faibles. Le pa...

à écrit le 28/09/2021 à 10:11
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Bref! Après les déroutes, on se cherche des excuses pour enfumer le bon peuple!

à écrit le 28/09/2021 à 9:32
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Malheur au pays dont le Prince est un enfant. La France n'a plus de politique étrangère, plus d'industrie, et sa dette abyssale laisse planer de graves menaces. Bref, est-ce encore un allié sûr ?

le 28/09/2021 à 13:49
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Les états-unis n'ont pas fini de faire payer la note de la fuite francaise en Irak considérée par eux et à juste titre comme une trahison.

à écrit le 28/09/2021 à 8:16
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Australie Allemagne, les italiens a qui le tour? On se fait tailler des croupières par nos «  alliés «  qu attend t on en France pour réagir et sortir de ces programmes pseudos alliés ? En attendant la chine «  travaille » les mouvements indépendant...

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