Il ne fait plus de doute que l'Allemagne devrait annoncer sous peu - peut-être au salon aéronautique ILA de Berlin - qu'elle ne participera pas au programme de modernisation de l'hélicoptère de combat Tigre en portant ses appareils au standard 3 sous maîtrise d'oeuvre Airbus Helicopters. Une nouvelle fois Berlin s'avère être un partenaire peu fiable pour la France en matière de coopérations européennes dans le domaine de l'armement. La liste est longue, trop longue des renoncements allemands sur des programmes en coopération avec la France lancés en juillet 2017 : armement du Tigre (missile MAST-F devenu aujourd'hui Akeron-LP), programme d'avions de patrouille maritime MAWS (Berlin a commandé des P-8A Poseidon de Boeing) et, enfin, très certainement le Tigre Mark 3.
Si l'Allemagne confirmait la décision de lâcher le Tigre Mark 3, elle provoquerait une nouvelle frustration légitime à Paris et surtout n'engendrerait pas de la confiance en France alors que cette dernière a privilégié Berlin en tant partenaire majeur dans le domaine de la défense. Enfin, la France prendrait une nouvelle gifle d'autant qu'Emmanuel Macron s'est beaucoup investi pour faire émerger et lancer toutes ces coopérations. Les prochaines prises de parole de Sébastien Lecornu, le nouveau ministre des Armées très proche du président, seront dès lors scrutées à l'aune des décisions allemandes.
Tigre Mark 3 n'est pas la priorité de Berlin
Les Allemands ont jusqu'à fin juin environ pour communiquer à la France et à l'Espagne sa décision de rester dans ce programme. Au Paris au Forum qui s'est tenu début juin, le PDG d'Airbus Helicopters Bruno Even semblait pessimiste sur la participation de l'Allemagne dans ce programme. Interrogé pour savoir s'il avait eu des signaux positifs venus d'Allemagne, il avait répondu qu'"Ils ne sont pas positifs au niveau opérationnel et au ministère de la Défense par rapport à la priorité, qui serait donnée au Tigre Mark 3". "Je considère néanmoins que tout est possible parce que la décision sur ce type de programme est politique", avait-il ajouté prudemment laissant la porte ouverte aux responsables politiques allemands. Au salon ILA, les Allemands devraient confirmer qu'ils restent à quai.
Bruno Even ne "croit pas à une option américaine", qui n'est "pas réaliste". Toute la question est de savoir si Berlin va offrir des compensations à Airbus Helicopters, en privilégiant naturellement les usines allemandes du constructeur. Au-delà de l'entretien et du traitement des obsolescences du Tigre allemand actuel, qui n'a pas été remis en cause, Berlin va-t-il acquérir des appareils de combat plus légers de type H145, voire des H135, à Airbus Helicopters ? Cela semblerait logique. Enfin, les compétences de Donauwörth seront utilisées dans le cadre du Tigre Mk3, indépendamment de la venue de l'Allemagne sur ce programme.
Les différences entre Paris et Berlin
Entre la France et l'Allemagne, "on a un sujet de fond, qui ne va pas forcément s'atténuer compte tenu des moyens supplémentaires que les Allemands vont investir dans leur défense", estimait-on il y a peu de temps encore à Paris. Des différences capitales. En France, les armées expriment des besoins opérationnels, auxquels les industriels s'efforcent de répondre. "En Allemagne, les choses ne fonctionnent pas dans ce sens-là. Les industriels de défense produisent des équipements de défense et les armées les achètent ou pas", explique-t-on à la Tribune. Ainsi, dès l'annonce par Berlin du fonds de défense de 100 milliards d'euros, les industriels allemands ont présenté leur facture aux autorités allemandes, dont un qui pouvait fournir jusqu'à 42 milliards d'euros de matériels militaires.
En outre, "il n'y est pas l'équivalent d'une DGA en Allemagne. Cela crée une difficulté pour nous Français. L'absence de symétrie fait que nous avons parfois des difficultés à trouver des interlocuteurs, à les identifier et à identifier les lieux de décisions. Ce n'est pas simple", explique-t-on à Paris.
Enfin, le gouvernement allemand est très sensible aux préoccupations des industriels allemands. "Vu de France, on a du mal à comprendre que quand un industriel renâcle, le gouvernement allemand ne puisse pas orienter, inciter, convaincre, persuader certains industriels qu'il est important de voir le problème différemment, et donc d'essayer d'apporter une solution", explique-t-on à Paris. C'est le cas sur le programme MGCS (char du futur) bloqué par Rheinmetall et le SCAF (Système de combat aérien du futur), bloqué par Airbus (phase 1B). Ce point "montre une différente notable entre la France et l'Allemagne". Au final, les coopérations franco-allemandes sont très compliquées à lancer. D'autant qu'il faut y ajouter les problèmes de coalitions, les relations entre la Chancellerie et le Bundestag, les règles institutionnelles allemandes...
Sujets les + commentés