Mattel, Coca Cola et McDonald's sont-ils immortels ?

Plusieurs grandes enseignes multinationales américaines connaissent des mouvements à leur tête depuis début janvier en raison de leurs difficultés à convaincre des consommateurs dont les habitudes évoluent. Le signe qu’une page est en train de se tourner ? Mauro Guillen, économiste hispano-américain de l’université de Pennsylvanie partage son analyse.
Marina Torre
Mattel tente de relancer les ventes de sa célèbre poupée Barbie en lui faisant par exemple revêtir un costume de "cheffe d'entreprise" ou de super-héroïne.

Barbie déprime, le Big Mac se brade, Coca-Cola supprime des milliers de postes... Les emblèmes américains des produits de grande consommation vacillent. Les démissions des patrons de Mattel et McDonald's annoncées fin janvier 2015 mettent en lumière de profonds changements dans les habitudes de consommation - évolutions qu'auraient mal anticipé ces organisations tentaculaires. Mauro Guillen, enseignant-chercheur à l'école de management de Wharton à l'université de Pennsylvanie, et spécialiste entre autres de l'internationalisation des marques et de la diffusion des innovations, livre son éclairage sur les causes et les enjeux de ces turbulences.

LA TRIBUNE : D'où proviennent principalement les difficultés de ces entreprises, symboles de "l'american way of life" ?

Mauro Guillen : Le point commun de certaines de ces entreprises, notamment Mattel et Coca-Cola, c'est qu'elles sont trop dépendantes du marché européen. Comme l'économie européenne va mal, elles aussi ! Ensuite bien sûr, chacune affronte des situations spécifiques. Dans le cas de McDonald's c'est un marché saturé; dans celui de Mattel la perte de contrats de licence avec Disney au profit d'Hasbro, et une défection de jeunes consommateurs de plus en plus attirés par les jeux vidéos. Désormais les enfants préfèrent jouer avec des tablettes...

Comment l'évolution de l'âge du public influe-t-il sur ces marques ?

Les clientes de Barbie rajeunissent. Il faut en outre prendre en compte le vieillissement de la population, surtout dans les pays les plus anciennement industrialisés. Dans ces pays, la population enfantine se réduit, la taille du marché aussi.

Dans quelle mesure ce vieillissement représente-t-il aussi un problème pour les marques de soda ou la restauration rapide ?

Dans leur cas, l'évolution sociale à prendre en compte serait surtout le goût pour un mode de vie plus sain. Malgré tous ses efforts pour améliorer son image, McDonald's reste associé à la « malbouffe » dans le regard d'une partie du public.

Quelles multinationales ont à vos yeux "mieux" répondu à ces changements de société?

Depuis longtemps déjà Pepsi a mieux su se diversifier en vendant aussi des jus de fruits, je pense par exemple à Tropicana. Pepsi vend aussi de l'eau. Mais évidemment dans ce domaine, le groupe a rencontré Nestlé et Danone sur son chemin.

Dans le jouet, Lego apparait comme le seul fabricant de jouets qui a su innover, qui s'est battu pour continuer à prospérer. Il y a quinze ans, il semblait dans une impasse mais il a rebondi en changeant de stratégie et en misant sur les jeux vidéos ou sur des moyens de communication innovants comme le film, avec une tentative beaucoup mieux réussie que Mattel avec Barbie.

Quel type d'organisation vous semble mieux adaptée pour suivre les changements d'habitude de consommation ?

Il se trouve que Lego est une entreprise familiale. Sans bien sûr généraliser, le fait qu'une entreprise reste une affaire de famille dont les membres s'impliquent vraiment pour s'assurer qu'elle soit viable sur le long terme apparaît comme un point particulièrement positif.

Vous citez beaucoup Lego qui est Danois. Les Etats-Unis seraient-ils donc moins pourvoyeurs de grands succès mondiaux qu'auparavant ?

Non, il en reste bien sûr, dont certaines sont des compagnies familiales. C'est le cas de Walmart qui s'en sort plus ou moins bien selon les régions du monde.

Comment analysez-vous l'éventualité d'un rachat des soupes Campbell, autre grand symbole de la société de consommation, par 3G Capital Partner, le fonds brésilien qui détient Heinz et Burger King ?

Cela arrive tout le temps. L'économie américaine a toujours été ouverte aux investissements étrangers. Si cela devait se produire dans le cas de Campbell, ce ne serait pas particulièrement surprenant.

Certaines des marques emblématiques de l'américanisation pourraient-elles disparaître ?

Absolument. Une marque naît et meurt, pourquoi pas elles ?

Tous ces mouvements à la tête de ces grands distributeurs et fabricants de produits de grande consommation signalent-ils la fin d'une époque ?

Bien sûr que, c'est la fin d'une époque. Mais cela fait déjà quelques temps déjà qu'une page a été tournée. Pour ces marques, la concurrence et l'émergence de nouveaux modèles se fait sentir depuis dix ans.

Pour que ces grandes enseignes redorent leur blason, que leur faudrait-il changer  ?

Visiblement certains dirigeants n'ont pas su anticiper les évolutions des modes de consommation. Ces organisations devraient peut-être recruter des dirigeants venus d'ailleurs, extérieurs à leur entreprise et même à leur industrie, de vrais « outsiders ». Comme IBM qui, il y a quelques années a recruté quelqu'un qui ne venait pas du tout de l'informatique. [Louis Gerstner, nommé PDG dans les années 1990 avait occupé des postes chez MasterCard et McKinsey. Le sauvetage du groupe centenaire, avec une réorientation vers la fourniture de services, lui est en partie attribuée ndlr]

Vous avez également évoqué de nouveaux modes de communication. McDonald's lance une nouvelle opération ce lundi qui consiste à distribuer de la nourriture gratuitement à certains clients contre des "preuves d'amour". Une initiative qui fait déjà l'objet de railleries. Pour faire du « bruit » sur les réseaux sociaux, les marques peuvent-elles tout se permettent désormais, même si cela risque de leur retomber dessus ?

Evidemment. Ce qui compte, c'est d'essayer, de prendre le risque. Même s'il y a un risque d'échec, et même surtout s'il y a un risque d'échec. Avoir des idées ne suffit pas, il est bien sûr toujours compliqué de faire en sorte qu'elles fonctionnent. Le fondement même de l'économie, c'est d'explorer, de tenter.

Marina Torre

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Commentaires 7
à écrit le 05/02/2015 à 9:25
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"Il se trouve que Lego est une entreprise familiale. Sans bien sûr généraliser, le fait qu'une entreprise reste une affaire de famille dont les membres s'impliquent vraiment pour s'assurer qu'elle soit viable sur le long terme apparaît comme un point...

à écrit le 04/02/2015 à 16:08
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Complètement loupé par Mattel ! Pour répondre à la tendance forte du marché, ils auraient du introduire une BarBie en Burka, avec son petit ami Ken en djihadiste barbu.

à écrit le 04/02/2015 à 14:48
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Excellent thème. J'ai suggéré que l'on explore mieux la concentration des entreprises et particulièrement des entreprises américaines sont les mieux adressées. Les USA comptent environ 550 entreprises de la plus grosses, Wall-Mart, à celles réalisant...

à écrit le 04/02/2015 à 10:41
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C'est nous qu'on va crever plus vite si on bouffe trop de Mac Do et si on boit trop de Cola!

à écrit le 04/02/2015 à 10:09
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Le nauffrage de Kodak est une preuve que les grandes marques quasi hégémoniques peuvent disparaitre. Plus elles sont hégémoniques plus il y a le risque de ne pouvoir s'adapter à un marché changeant. Quant au marketing, le regard du consommateur est d...

le 04/02/2015 à 14:50
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Le jus de fuit Innocent appartient à Coca-Cola.... Innocent et les mains pleines.

à écrit le 04/02/2015 à 9:25
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le mieux c'est d'acheter une Barbie divorce ... comme ça vous avez la maison de Ken, la moto de Ken, le bateau de ken ... etc.... gratos !

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