Une fois de plus, le gouvernement hausse le ton envers la grande distribution, dans l'espoir d'obtenir des assouplissements dans le bras de fer qui l'oppose durement aux industriels de l'agroalimentaire depuis des mois. Ce jeudi, le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau, le ministre délégué à l'Industrie Roland Lescure et la ministre déléguée au Commerce Olivia Grégoire, ont appelé « à la mise en place d'un moratoire sur les pénalités logistiques » appliquées par les grands distributeurs à leurs fournisseurs lorsque la livraison de marchandises ne respecte pas les termes du contrat (retards, quantités inférieures etc.).
Un appel qui n'a rien de contraignant, misant encore une fois sur « la responsabilité des enseignes de la distribution alimentaire ». Mais qui est comprise par les ministres comme une « demande de suspension totale de la pratique », pouvant même être suivie d'une interdiction radicale, ou du moins d'un strict encadrement législatif, a expliqué l'exécutif le 30 septembre à la presse.
Une situation de plus en plus critique pour l'agroalimentaire
Fortement affectés par la hausse des prix de l'énergie comme des matières premières, ainsi que par les perturbations logistiques liées d'abord à la crise sanitaire, puis à la guerre en Ukraine, les industriels de l'agroalimentaire déplorent une situation de plus en plus critique pour le secteur. En 2022, ils ont subi des hausses de coûts de 29% pour les matières premières agricoles, 26% pour les emballages et 57% pour l'énergie, selon l'Association nationale des industries alimentaires (Ania). Une situation qui érode leurs marges et qui pourrait même conduire à des « rayons vides » voire des « fermetures d'entreprises », met en garde l'Ania.
La grande distribution, au nom de la préservation du pouvoir d'achat de ses clients dans un contexte déjà inflationniste, résiste toutefois à leurs demandes d'augmentation des tarifs. Les négociations commerciales autour des marques nationales, qui de manière inédite ont été reprises dès le lendemain de leur fermeture officielle en mars 2022, n'aboutissent pas aux résultats espérés:
« Depuis mars, nous avons obtenu à peine la moitié des augmentations que nous avons demandé aux distributeurs... et seulement quand les négociations aboutissent, ce qui n'est pas toujours le cas. Cela couvre juste les augmentations de la matière première agricole », calcule le président et directeur général de la Fédération nationale de l'industrie laitière (Fnil), François-Xavier Huard.
« Des manquements manifestes aux obligations légales » des distributeurs
Dans ce contexte déjà tendu, les industriels dénoncent également un abus par les distributeurs des pénalités logistiques. Le gouvernement vient de prendre ardemment leur défense.
« Répondant aux demandes expresses des parties aux négociations commerciales et conformément aux dispositions légales, la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, ndlr) a mis en ligne le 11 juillet dernier des lignes directrices apportant des précisions doctrinales sur les modalités d'application des pénalités logistiques découlant du cadre révisé de la loi Egalim 2. Malgré la publication de ces lignes directrices, qui se sont appuyées notamment sur les travaux de la Commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC), les signalements se sont multipliés. Des manquements manifestes aux obligations légales ont été signalés : absence d'actualisation des conventions logistiques ; persistance de la déduction d'office des pénalités logistiques ; dispositifs de contournement, de facturation ou de sur-commande ; indisponibilités prolongées des plateformes numériques de traitement des pénalités logistiques ; taux de services déraisonnables », déplore le communiqué de l'exécutif.
Inquiétude face au "risque d'une casse industrielle"
« Le taux de service demandé en moyenne, de 99%, frôle le déraisonnable ».Il n'est pas fondé sur une « évaluation du préjudice réel subi, comme préconisé par la DGCCRF » et est « impossible à atteindre par les industriels, confrontés à de véritables difficultés de production », a précisé vendredi le gouvernement, en exprimant une « incompréhension majeure de l'attitude des distributeurs » et son inquiétude face à « un risque de casse industrielle ». Alors que « ce sont les filières agricoles et alimentaires qui portent la charge » des conséquences des crises énergétique, sanitaire et environnementale, la grande distribution, ne prenant pas en compte ces difficultés, poursuit dans une "démarche une demande d'étouffement des industriels », estime l'exécutif.
Il pointe du doigt « une spécificité française dont on se passerait bien", qui consiste souvent en "une rente sur le dos des industriels ». Quelques démarches louables sont toutefois mises en avant : le choix de Lidl et Aldi de ne pas appliquer de pénalités, ou le moratoire mis en place depuis le printemps par Système U pour les PME.
De nouvelles procédures d'injonction administrative à venir
En parallèle de son appel « à renouer avec l'esprit de solidarité et de coopération pragmatique qui avait généralement prévalu en 2020 pendant la crise sanitaire », le gouvernement demande aussi à la DGCCRF de renforcer ses procédures d'enquête face aux « nombreux signalements reçus », en affirmant attendre « la plus grande fermeté vis-à-vis de ces pratiques intolérables ».
« Plusieurs procédures d'injonction administrative sous astreintes financières ont été engagées depuis février, afin que les contrats et les pratiques soient conformes aux dispositions de la loi Egalim 2. D'autres le seront dans les prochains jours », précise le communiqué.
Et pour éviter que les prochaines négociations commerciales annuelles sur les marques nationales, qui s'ouvrent le 1er décembre, éternisent le bras de fer, le gouvernement insiste aussi sur la nécessité que les clauses de renégociation des tarifs soient désormais mieux formulées. Il y a dix jours, La coopération agricole demandait encore plus : « l'indexation des coûts de l'énergie dans la fixation des prix des produits alimentaires », ainsi que « la modification de la temporalité des négociations commerciale » -aujourd'hui régie par la loi qui fixe un rendez-vous annuel avec une échéance au 1er mars-, afin de « pouvoir rediscuter les tarifs en fonction de l'inflation ou de la déflation des coûts de production » plusieurs fois par an.
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