Avec l'Ukraine, l'accord sur les prix alimentaires est mort-né : les négociations doivent reprendre, dit le gouvernement

Le chamboulement de la chaîne alimentaire causé par la guerre en Ukraine justifie l'ouverture de nouvelles négociations commerciales entre les grands distributeurs et leurs fournisseurs, estime le gouvernement. Elles viennent pourtant de se clôturer.
Giulietta Gamberini
Il faut que les TPE et les PME puissent modifier leurs contrats avec leurs clients pour prendre en compte les hausses des prix, sinon (...) c'est les plus petites entreprises qui vont souffrir le plus, c'est justement ce que nous voulons éviter. (...) , a expliqué le ministre de l'Economie Bruno Le Maire.
"Il faut que les TPE et les PME puissent modifier leurs contrats avec leurs clients pour prendre en compte les hausses des prix, sinon (...) c'est les plus petites entreprises qui vont souffrir le plus, c'est justement ce que nous voulons éviter. (...) , a expliqué le ministre de l'Economie Bruno Le Maire. (Crédits : JOHANNA GERON)

Moins de trois semaines après leur clôture officielle, les négociations annuelles entre distributeurs et industriels sur les marques nationales doivent déjà reprendre. C'est ce que souhaite le gouvernement en raison des perturbations de la chaîne agro-alimentaire française causées par la guerre en Ukraine.

Lire: Comment le conflit entre la Russie et l'Ukraine menace l'agriculture française

"Compte tenu de la modification significative des conditions économiques, les distributeurs doivent adapter les contrats les liant à de nombreux fournisseurs. De nouvelles négociations doivent ainsi être ouvertes sur la base d'un dialogue transparent et constructif entre les parties avec la mise en œuvre des mécanismes d'indexation, renégociation ainsi que du cadrage des pénalités logistiques", a déclaré le ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie, mercredi, dans le cadre de l'annonce par le gouvernement de son plan de résilience.

"L'ensemble des acteurs de la chaîne agroalimentaire sera réuni dès vendredi", a-t-il assuré.

Des négociations "déjà caduques"

Destinées à fixer le prix payé par les grands distributeurs à leurs fournisseurs, les négociations sur les marques nationales se tiennent chaque année entre l'automne et le 1er mars, date butoir fixée par la loi sous peine de sanctions. Toujours très tendues, elles l'ont encore plus été cette année à cause du contexte inflationniste, qui a poussé les industriels à demander des hausses de 6-8% visant à couvrir l'augmentation de leurs coûts de production, alors que les distributeurs ont continué comme les autres années, de s'y opposer au nom de la défense du pouvoir d'achat des ménages.

Lire: Prix alimentaires : négociations explosives entre la grande distribution et les fournisseurs

Finalement, dans l'alimentaire, elles ont abouti en moyenne, selon une estimation encore temporaire du ministère de l'Agriculture, à des hausses de 3%. Un résultat inédit puisqu'elles se terminaient depuis des années en déflation, mais insuffisant pour les industriels. "Cela nous permet à peine de répercuter la moitié des hausses subies, celles correspondant au coût des matières premières agricoles", qu'une loi adoptée en octobre, la loi Egalim 2, venait d'ailleurs de rendre non négociables, explique Jérôme Foucault, président de l'Adepale, fédération professionnelles des entreprises agroalimentaires de transformation.

"Elles ne tiennent pas compte d'autres importantes augmentations des coûts: de l'énergie et de l'emballage par exemple, souligne-il.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, en outre, la situation ne fait que s'aggraver. Tant la Russie que l'Ukraine sont en effet des exportateurs importants de plusieurs céréales et oléagineux ainsi que  d'intrants agricoles, dont le conflit met en danger le transport et les productions à venir. Les prix des plus importants facteurs de production de l'agriculture et de l'industrie agroalimentaire (les céréales, les engrais, les oléagineux, mais aussi l'énergie et de nombreux matériaux), déjà touchés par l'inflation, continuent de galoper, et certaines chaînes d'approvisionnement doivent se réorganiser.

"Les négociations conclues pour cette année sont déjà caduques", conclut Jérôme Foucault.

"Un grand nombre d'avenants" à venir

Or, la loi prévoit des mécanismes permettant de les adapter à une situation hautement évolutive telle que celle actuelle. La loi Egalim 2 a notamment imposé l'inclusion dans les conventions générales de ventes issues des négociations d'une clause d'indexation des matières premières agricoles. En théorie, elle permettrait de répercuter sur le distributeur les hausses liées à l'augmentation de ces coûts de manière automatique. Seule condition: que les indicateurs des coûts sur lesquels elle s'appuie aient été publiés, ce qui n'est pas encore le cas pour toutes les filières, note Boris Ruy, avocat associé au cabinet Fidal.

Egalim 2 a également renforcé l'obligation, déjà prévue dans le Code de commerce, d'inclure dans les conventions annuelles portant sur des produits alimentaires une clause de renégociation. Elle peut désormais être activée non plus seulement en cas d'évolution du coût des matières premières agricoles, mais aussi de l'énergie, du transport et des emballages. Toutefois, non seulement elle n'oblige qu'à se remettre autour de la table, sans impliquer qu'un accord sera trouvé, note Jérôme Foucault. Surtout, il semble difficile de l'utiliser quelques semaines à peine après la conclusion des conventions, estime maître Ruy.

Les répercussions économiques de la guerre en Ukraine, déclarée quand la plupart des conventions étaient déjà signées ou en cours de signature, semblent en revanche permettre aux industriels de recourir à deux autres outils juridiques applicables à tous les contrats, pour obliger les distributeurs à rediscuter les tarifs. Il s'agit de la cause de force majeure ainsi que de l'obligation de renégociation, qui s'applique lorsque, pendant sa durée, l'économie du contrat est bousculée par un élément externe et pas prévisible au moment de la signature, explique Boris Ruy.

"Cela laisse prévoir la prochaine signature d'un grand nombre d'avenants", estime l'avocat.

"Pas de souveraineté alimentaire sans le maillon industriel"

Selon l'Adepale, cela est nécessaire afin d'éviter que des industriels de l'agro-alimentaire "se retrouvent en déficit et aillent solliciter l'Etat", en demandant notamment l'aide promise mercredi par le gouvernement aux entreprises fortement affectées par la hausse des coûts énergétiques.

 "Structurellement, et à l'exception de quelques filières, les valeurs ajoutées du secteur sont insuffisantes pour investir dans l'innovation, la transition énergétique et la revalorisation du personnel", ajoute Jérôme Foucault, pour qui il faut "préserver notre outil industriel car il n'y aura pas de souveraineté alimentaire sans un maillon industriel solide".

"On ne peut pas rester que sur des intérêts mercantiles, d'autant plus que cette crise exige une accélération de la transition énergétique qui demande des investissements lourds . Il faut que la grande distribution participe à un élan de solidarité nationale", plaide-t-il.

"Ensuite, le consommateur fera ses arbitrages", conclut le président d'Adepale.

Appels à la solidarité et à la responsabilité

Le gouvernement, en tous cas, compte effectivement sur la "solidarité" des distributeurs pour assurer le caractère "ciblé" des soutiens qu'il a promis de déployer dans le cadre du plan de résilience. Ainsi, l'aide transitoire promise pour quatre mois aux éleveurs doit "permettre de compenser les pertes des élevages le temps que les mécanismes des négociations commerciales, dont l'encadrement est aujourd'hui renforcé grâce à la loi Egalim 2, assurent la transmission à l'aval des hausses du coût de production des produits", a précisé le Premier ministre Jean Castex.

Lire: Ukraine : le gouvernement français au chevet des agriculteurs

"Face à une telle situation, je sais pouvoir compter sur l'esprit de responsabilité des acteurs économiques et sur l'exigence de solidarité au sein des filières, pour passer ces temps difficiles. C'est pourquoi j'ai mandaté la médiation des entreprises pour lutter contre les abus et s'assurer de la bonne application des règles encadrant les relations commerciales", a-t-il tenu à préciser.

Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a même été plus explicite.

"Il faut que les TPE et les PME puissent modifier leurs contrats avec leurs clients pour prendre en compte les hausses des prix, sinon (...) c'est les plus petites entreprises qui vont souffrir le plus, c'est justement ce que nous voulons éviter. (...) il faut que les donneurs d'ordre jouent aussi le jeu et fassent preuve de solidarité (...)".

Le gouvernement a déjà à plusieurs reprises promis des contrôles et des sanctions de la Direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), et a répété sa menace mercredi.

Lire: Négociations des prix dans la grande distribution : sans accords le 1er mars, l'Etat sanctionnera

Une perturbation durable

Les distributeurs accepteront-ils toutefois de réduire leurs marges, voire d'augmenter les prix en rayons, avec le risque de perdre des consommateurs déjà grevés par l'inflation des prix de l'énergie ?

"Il est temps que les négociateurs empêchent les spéculateurs de venir se faire du blé sur les consommateurs français", déclarait encore ce mardi sur Cnews Michel-Édouard Leclerc, président du comité stratégique E.Leclerc.

Pendant dix ans de déflation, "on a joué le rôle du méchant, mais vous allez voir qu'on va être d'une grande utilité". "En ce moment, on négocie durement", ajoutait-il.

D'autant plus que dans le contexte de volatilité des prix actuel, les négociations conclues demain risquent d'être de nouveau caduques quelques jours plus tard. "La perturbation n'en est qu'au début", reconnaît Jérôme Foucault, pour qui il pourrait bien y avoir de nouveau besoin de renégocier "dans l'été". Il rappelle d'ailleurs aussi la nécessité de prendre en compte les hausses subies par les fabricants de marques de distributeurs (MDD), dont les prix sont renégociés tout au long de l'année, et à qui Egalim 2 ne s'applique que partiellement.

Lire: Les marques de distributeurs, prochain chantier de test de la loi Egalim 2

 "La loi ne peut pas régler les problèmes de prix, seule la négociation peut fonctionner", en conclut Boris Ruy, pour qui cette nouvelle intervention du gouvernement doit être interprétée comme un aveu d'échec d'Egalim 2.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 3
à écrit le 18/03/2022 à 23:19
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Cela est-il un aveux que la loi du marché ne fonctionne pas ?

à écrit le 18/03/2022 à 11:31
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Moi la question que je me pose, jusqu'oû le FSB a t-il infiltré la politique Française et ses fonctionnaires( c'est la question tabou)Vu toutes les erreurs faites depuis 2007. Bien sur on peut renvoyer d'un revers de main et continuer à dormir , mais...

à écrit le 18/03/2022 à 11:18
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C'est le problème de l'abandon de la gestion politique, de la pensée à long terme, de l'ambition pour une nation, on est sur leur stupide pragmatisme qui impose la pensée à court terme, un problème une solution aussi stupide soit elle et on fait tour...

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