
Quand le 16 janvier dernier, l'Assemblée nationale a entamé l'examen de la proposition de loi Descrozaille visant à « sécuriser l'approvisionnement des Français en produits de grande consommation », c'est peu dire que le monde de la distribution a été chamboulé.
Et pour cause : la mesure phare du texte déposé par le député Renaissance, Frédéric Descrozaille, le 29 novembre, donnait des sueurs froides aux distributeurs : si un accord sur les négociations commerciales annuelles n'était pas trouvé d'ici au 1er mars avec les industriels, elle introduisait la possibilité d'une rupture de contrat. En outre, en cas de non-accord, les prix payés par le distributeur devaient être ceux proposés par les fournisseurs et non ceux en vigueur décidés à l'issue des précédentes négociations.
C'était-là l'une des principales évolutions au regard de la situation actuelle et celle qui fait le plus grincer des dents chez les distributeurs. Interrogé par La Tribune, Système U estimait que cette mesure pourrait faire grimper les prix de 30% sur le panier moyen. « Nous connaissons les hausses de prix exigées par les industriels, elles sont de 20% à 30%. Les industriels auront tout intérêt à ne pas se mettre d'accord avec les distributeurs pour, in fine, que leur demande d'augmentation de prix aboutisse », avait dénoncé l'enseigne.
Mais depuis les choses ont un peu changé. Les députés de la commission économique de l'Assemblé nationale ont, en effet, allégé la mesure jugée brutale, en imposant d'une part un délai d'un mois pour entamer des discussions de sortie de contrat, notamment pour fixer les conditions d'un préavis de rupture, et ce, en présence d'un médiateur. D'autre part, pendant le préavis de rupture, « toute commande effectuée par le distributeur se fait sur la base des conditions générales de vente en vigueur, y compris le barème des prix unitaire, » et non au prix demandé par le fournisseur comme prévu initialement. Mi-janvier, le texte a été adopté à l'unanimité en première lecture par l'Assemblée nationale.
La question des prix payés par les distributeurs en cas de non-contrat à nouveau tranchée
Le 8 février, c'est la commission des affaires économiques du Sénat qui a rendu sa copie. Concernant l'article 3 tant contesté par la grande distribution, elle est revenue sur la question de la rémunération des fournisseurs. L'amendement précise, en effet, qu'en cas d'absence d'accord entre fournisseurs et distributeurs, le tarif applicable durant le préavis de rupture « devra désormais tenir compte non seulement de la durée de la relation commerciale, mais également des conditions économiques du marché sur lequel opèrent le fournisseur et le distributeur mettant fin à leurs relations ». Des conditions qui peuvent être « le taux d'inflation, le coût des intrants » ou encore « la hausse moyenne de tarif acceptée par les distributeurs concurrents qui ont conclu un accord avec le fournisseur ». Actuellement, la législation en vigueur désavantage les industriels, a dénoncé la commission du Sénat, puisque, s'ils subissent une hausse de leurs coûts de production, le maintien du tarif en vigueur peut les conduire « à produire "à perte", mettant potentiellement en danger [leur] équilibre financier et donc [leur] capacité d'investissement, d'embauche, ou d'innovation ». En outre, la nouvelle mouture de cet article 3, qui maintient donc un préavis à l'issue de la période de médiation, permet d'éviter « les risques de rupture d'approvisionnement (la loi n'autorisant plus la rupture brutale à la fin de la médiation) » mais aussi ceux « de déréférencement soudain que craignaient les PME ( petites et moyennes entreprises, ndlr) (puisqu'un préavis devra toujours être respecté) ».
Les distributeurs autorisés à ne pas appliquer de marge sur certains produits
Au-delà de l'article 3, la Commission des affaires économiques du Sénat s'est intéressée à une autre spécificité de l'encadrement des relations entre fournisseurs et distributeurs. La loi Egalim 2018 prévoit, en effet, un relèvement de 10 % du seuil de revente à perte pour les produits alimentaires (SRP+ 10). L'objectif est de contraindre les distributeurs à réaliser un minimum de marge sur tous leurs produits, même ceux vendus à prix coûtant ou les produits d'appel pour éviter qu'ils ne fassent pression pour tirer à la baisse les tarifs d'achats des produits agricoles, impactant donc négativement les revenus des agriculteurs. Une mesure qui avait, à l'époque, été validée par le Sénat et ensuite prolongée. Mais depuis, l'inflation a rebattu les cartes et la commission économique du Sénat estime désormais que le SRP+ 10 contribue à la hausse des prix. Alors que la proposition de loi de Frédéric Descrozaille prévoyait de prolonger cette mesure jusqu'au 15 avril 2026, la commission a, elle, inscrit sa suspension jusqu'au 1er janvier 2025, ce qui permettra, selon elle, « une diminution de l'inflation à hauteur de 600 millions d'euros par an ». Le SRP+ 10 « n'ayant jamais fait la preuve de son efficacité pour améliorer le revenu agricole », selon elle.
Une affirmation contestée par les premiers concernés : les agriculteurs. Selon Patrick Bénézit, secrétaire général adjoint à la FNSEA, syndicat agricole majoritaire, cette mesure, dans le cadre des lois Egalim, a bel et bien permis « de progresser dans la prise en compte des coûts de production des agriculteurs. Si on enlève un des trois piliers, ça déstabilise forcément l'ensemble », dénonce-t-il auprès de La Tribune. Se disant « abasourdi » par cette mesure à laquelle « on ne s'attendait absolument pas », il réfute également son caractère inflationniste, pointé par la Commission du Sénat. D'autant que « la commission veut baisser les prix d'un côté en les augmentant de l'autre » puisqu'elle veut étendre l'encadrement des promotions au-delà de l'alimentaire, pointe-t-il.
L'encadrement des promotions étendu à tous les produits de grande consommation
C'est, en effet, l'un des autres changements proposés par la commission économique du Sénat. L'article 2 ter B étend l'encadrement des promotions, actuellement en vigueur seulement pour les produits alimentaires, à tous les produits de grande consommation. Selon elle, la situation en l'état fait courir « un risque important de destruction de valeur, au détriment de l'emploi, de l'investissement et de l'innovation dans le secteur non-alimentaire ». D'autant que la portée inflationniste de cette mesure est minime : « le non-alimentaire représente à peine 20 % de la valeur des produits de grande consommation » et « ne fait pas l'objet d'achats quotidiens », argue-t-elle.
Des mesures qui tendent un peu plus les relations entre industriels et distributeurs déjà houleuses alors que se déroulent en ce moment-même et jusqu'au premier mars les négociations commerciales annuelles, dans un climat d'inflation encore au plus haut dans l'alimentaire.
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