
Passera ou ne passera pas ? L'Assemblée nationale entamera les débats le 16 janvier prochain autour de la loi Descrozaille qui vise à « sécuriser l'approvisionnement des Français en produits de grande consommation ». Alors que les industriels et les distributeurs sont en pleines négociations des prix, le député Renaissance, Frédéric Descrozaille, a déposé une proposition de loi le 29 novembre dernier visant à diminuer le pouvoir de la grande distribution dans les discussions de prix. Une proposition de loi qui a insurgé les distributeurs avec, pour chef de file, le patron du groupe Leclerc qui dénonce un projet « scandaleux » qui « limite les promotions » et qui « promet d'être chaud sur les tickets de caisse ».
Ce texte, étudié mercredi dernier par la commission des Affaires économiques, a été validé à l'unanimité par les députés sous réserve de quelques changements. La principale modification concerne l'article 3 du texte qui prévoyait qu'en cas de non accord au 1er mars entre les distributeurs et les industriels, les prix fixés soient ceux des fournisseurs et une rupture de contrat en cas de désaccord des distributeurs. Les députés de la commission ont allégé cette mesure brutale en imposant un délai d'un mois minimum pour entamer des discussions de sortie de contrats en présence d'un médiateur. Un changement qui ne convainc pas du côté des distributeurs. « Au moment où tous les citoyens ont beaucoup de charges qui augmentent, ce qui nous est proposé-là ne va pas dans le bon sens », dénonce Système U.
Vers une explosion des prix pour 2023 ?
Sur les quatre articles que contient la proposition de loi du député Renaissance, c'est avant tout cet article 3 qui fait grincer des dents. Jusqu'à maintenant, si aucun accord de prix n'était trouvé entre les distributeurs et les industriels à la fin de la date butoir des négociations, soit au 1er mars, le prix restait identique à celui qui existait avant les négociations. Une injustice selon le député Renaissance, qui préfère « un retour à zéro sur les négociations » et la rediscussion du contrat entre les parties prenantes. Pour les distributeurs, cet article entraînera une hausse des prix allant jusqu'à 30% sur le panier moyen.
« Nous connaissons les hausses de prix exigées par les industriels, elles sont de 20% à 30%. Les industriels auront tout intérêt à ne pas se mettre d'accord avec les distributeurs pour, in fine, que leur demande d'augmentation de prix aboutisse », estime le groupe Système U.
Une situation balayée par Frédéric Descrozaille qui estime que « les industriels savent bien qu'ils ne peuvent pas demander des hausses de prix trop importantes ». Même son de cloche du côté du directeur de l'Institut de liaisons des entreprises de consommation (Ilec), Richard Panquiault, qui voit cet article comme une position médiane, où aucune des deux parties n'aurait l'ascendant sur l'autre.
« Cet article est à haut risque pour tout le monde. Il entraîne des conséquences tellement importantes entre les deux parties que ça les forcera à trouver un accord parce que, pour les industriels, le plus risqué serait une rupture de contrat. Pour moi, le plus dangereux est de rester dans la situation actuelle. »
Petites entreprises contre multinationales
Cet article 3 pose surtout la question du rapport de force entre les multinationales et les petites entreprises. En effet, les premières possèdent certaines marques incontournables pour la distribution qu'il sera plus compliqué de déréférencer pour les distributeurs. Ceux-ci céderont alors plus facilement aux hausses de prix. Les petites entreprises sont quant à elles plus dépendantes de la grande distribution, souvent leur principal canal de diffusion sur le marché.
« Avec cette loi, nous sommes dans un contre-effet économique de ce qui se fait actuellement et qui est plutôt en faveur d'une aide aux petites entreprises », souligne Boris Ruy, avocat spécialisé en conseil et contentieux de la concurrence et de la distribution.
Un effet que dément fermement le député, estimant que « ça ne se joue pas entre les multinationales et les petites entreprises, mais entre les marques nationales et les marques de distributeurs ». Selon lui, les distributeurs ont trop de marge sur leurs marques et répercutent l'inflation dessus massivement. En octobre dernier, le cabinet Nielsen IQ annonçait une inflation de 13,5% pour les premiers prix,12% pour les marques de distributeurs (MDD) standards contre 8% pour les marques nationales.
Le député assure vouloir « tenir bon » sur cet article, admettant tout de même que sa version initiale, sans recours à un mois de délai avec un médiateur pour discuter de la fin du contrat, représentait une « bombe atomique ». Les changements effectués par la commission des Affaires économiques ce mercredi n'ont cependant pas atténué la colère des distributeurs.
Mieux contrôler les centrales d'achats à l'étranger
Autre article et deuxième positionnement compliqué : les négociations hors de France. Ces dernières années, certains distributeurs ont installé des centrales d'achat dans des grandes villes européennes : Eurelec pour Leclerc à Bruxelles, Eureca pour Carrefour à Madrid, pour ne citer qu'elles. Ces centrales d'achat dans l'Union européenne permettent d'étendre les forces de frappes des distributeurs. Pour Frédéric Descrozaille, il s'agit surtout d'un dispositif « pour contourner la loi française ».
En effet, la grande distribution n'applique pas les règles de négociation françaises dans les autres pays européens, en particulier la loi EGALIM qui protège les agriculteurs, alors même que les produits seront ensuite vendus sur le territoire national. Ces centrales d'achat possèdent des adresses à l'étranger et, par conséquent, elles appliquent la loi du territoire dans lequel elles se trouvent. Par exemple : Eurelec pour Leclerc applique le droit belge, beaucoup moins strict dans les règles de négociation que la France.
« L'objectif de l'article est simple : dès lors que le contrat s'oriente en France, il faut appliquer le droit français même si c'est un contrat discuté à l'international avec une multinationale », explique Richard Panquiault.
Pour Système U, cet article a peu de chances de passer, au regard du droit européen. Pour rappel, Eurelec avait été poursuivi en justice par la DGCCRF pour détournement de la loi française et a gagné le procès en décembre dernier.
Désaccord sur l'encadrement des promotions
Enfin, l'article 2, qui prévoit la prolongation de la loi ASAP pour l'encadrement des promotions, n'a été validé que partiellement par la commission. Cette loi, mise en place en 2020, empêchait les industriels d'effectuer des promotions excessives sur les produits alimentaires. « Cette pratique d'offre hyper agressive attire le client et le fidélise et ça, c'est le fournisseur qui paie, ce n'est pas gratuit. Les distributeurs esquintent toute une filière, car ils détruisent de la valeur et ils se rattrapent sur la MDD », s'insurge Frédéric Descrozaille.
Cette loi à l'essai devait s'arrêter en avril 2023, mais elle a été reconduite sans grande difficulté accompagnée du seuil de revente à perte relevé de 10%. Système U se dit plutôt favorable au prolongement de cette mesure. En revanche, le député Renaissance souhaitait également étendre la restriction des promotions aux produits non-alimentaires. Une décision « dommageable » selon l'enseigne alimentaire, qui a rapidement été rejetée par la commission.
La proposition de Frédéric Descrozaille a surpris les deux parties prenantes des négociations, en particulier pour son timing. Boris Ruy martèle : « il faudrait a minima reporter cette loi après la fin des négociations, ce n'est pas le moment opportun actuellement parce que ça va générer du stress. L'urgence est rarement bonne conseillère, il faudrait affiner la réflexion et prendre du recul. Là, c'est une proposition de loi qui arrive un peu comme un cheveu sur la soupe. »
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