« L'inflation sur les produits alimentaires est devenue structurelle » (Dominique Schelcher, Système U)

GRAND ENTRETIEN - Dominique Schelcher, le PDG de Système U, recevait vendredi 14 avril, Elisabeth Borne, dans le supermarché d'Hanches, en Eure-et-Loir. L'occasion pour le patron de la coopérative Système U de faire part à la Première ministre de ses inquiétudes face à l'inflation qui affecte les produits alimentaires. Il pointe les risques d'effondrement des ventes en magasin et lance un appel à l'ouverture sans tarder de nouvelles négociations commerciales pour faire baisser les prix.
Fanny Guinochet
Dominique Schelcher, PDG de Système U.
Dominique Schelcher, PDG de Système U. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE : On le constate dans les rayons, les prix n'en finissent pas de grimper. Est-ce que ça va continuer ?

DOMINIQUE SCHELCHER - Nous sommes déjà à 16,2% d'inflation sur les produits alimentaires sur un an. Vont s'ajouter les hausses de tarifs liées aux négociations commerciales qui viennent de se terminer et qui dépassent les 10%. Il faut donc s'attendre à une inflation de 25% fin juin. Car les résultats de ces négociations ne sont pas encore tous répercutés sur les étiquettes. Loin de là. Cette hausse va durer au moins jusqu'à l'été. A la rentrée, ça devrait se calmer. Mais, ne rêvons pas, la période a changé : même si la situation s'améliore, l'inflation que nous voyons est devenue structurelle.

Dans ce contexte, demandez-vous une ouverture de nouvelles négociations commerciales avec les industriels de l'agroalimentaire? 

Oui, et nous sommes suivis par le ministère de l'Economie. Bercy a écrit à tous les acteurs du secteur pour les inviter à renégocier dès le mois prochain. Cela pourrait permettre de faire baisser les prix à la rentrée. Les prix de certains produits comme les pâtes ou le café, ou même les céréales, pourraient déjà être revus à la baisse. Mais, le problème, c'est que les industriels ne veulent pas se mettre autour de la table. Je trouve cela étonnant, car l'an dernier, en mars 2022, tout le monde était d'accord pour le faire quand il s'agissait d'augmenter les prix en raison de l'explosion des coûts des matières premières et du fret. Curieusement aujourd'hui, lorsqu'il s'agit de baisser les prix parce que les tarifs du blé et de l'énergie chutent, ils freinent des deux pieds et personne ne veut s'engager. Je n'ai pas de problème à le dire, l'inflation est nourrie par l'attitude de certains acteurs qui veulent reconstituer leurs marges et qui ne se soucient pas des consommateurs. La situation actuelle n'a rien à voir avec celle de l'an dernier, quand l'inflation était subie par tous les intervenants. En ce moment, il y a des envies, pour certains, de rattrapage de leur rentabilité...

Vous remettez donc en cause tout le système ?

Oui, ce système des négociations annuelles n'est plus d'actualité. Il est dépassé. Il fonctionnait quand l'inflation était à zéro et stable, mais aujourd'hui, avec la forte variabilité des prix, il ne colle plus à la réalité. Les industriels reconstituent leurs marges depuis le second semestre 2022. Je me fie au rapport de l'inspection générale des Finances demandé par le ministre de l'Economie. Comme les coûts des matières premières et des intrants ont tendance à baisser, et que par ailleurs, les prix des produits qu'ils nous vendent continuent d'être conséquents, les industriels gagnent plus qu'auparavant. Ils n'ont aucun intérêt à ce que ça change, au moins à court terme.

Le gouvernement peut-il obliger l'ouverture de nouvelles négociations ?

Non, Bercy peut inciter mais le gouvernement n'a aucune marge juridique. Ces négociations annuelles sont inscrites dans le Code du commerce. C'est pour cela que j'en appelle aussi à l'opinion. Car les consommateurs sont les premiers perdants. Et cette perte se ressent déjà dans les rayons. Les Français réduisent leurs achats. Les volumes ont baissé de 9% les trois premiers mois de cette année. Les ménages les plus modestes n'achètent plus de poissons, de viande, de produits frais, de légumes, et de fruits... Près de 40 % des personnes les plus vulnérables sautent des repas, car ils n'ont plus les moyens de se nourrir. Avant, on parlait d'arbitrages, aujourd'hui de restrictions. Les consommateurs vont à l'essentiel. Attention, à la crise de pouvoir d'achat qui se profile. Elle promet d'être violente. Elle peut entraîner des tensions sociales importantes, dans un pays déjà à vif après le conflit sur les retraites.

Comme d'autres enseignes vous avez mis en place des produits à prix bloqués... cela ne suffit-il pas ?

Nous l'avons fait dès le mois de février : 150 produits à prix bloqués. Et nous voyons combien ces produits partent très vite. Leurs ventes connaissent une progression de 35%. A tel point que nous avons dû parfois changer de fournisseurs ou nous réorganiser, car nous ne parvenions pas à suivre et avions des ruptures de stocks. Mais la prise en charge de ces produits à prix coûtant représente pour nous des dizaines de milliers d'euros. C'est notre rôle. Mais cela a un coût. L'inflation est telle depuis plusieurs mois, que nous prenons sur nous. Si nous ne le faisions pas, les produits alimentaires seraient beaucoup plus chers dans nos magasins. Le paquet de pâtes coûterait bien plus si nous avions répercuté toutes les demandes de hausses de tarifs. Sans compter que nous poursuivons les promotions aussi souvent que nous le faisions auparavant, sur les fruits et légumes frais par exemple. Nous essayons d'accompagner au mieux les ménages. Mais nous n'avons pas tant de marge que cela.

Pourtant, les supermarchés comme les vôtres continuent d'engranger des marges...

Notre chiffre d'affaires, l'an dernier, a augmenté de 4%, à 23,88 milliards d'euros, hors carburants. Et même s'il progresse, c'est en trompe-l'œil. Car, les marges dans la grande distribution sont très faibles. 2 % à peine. Ce qui veut dire que sur 100 euros de ventes, il n'en reste que 2 aux commerçants. Or, ce niveau est le minimum pour investir, pour que les banques continuent à nous suivre et nous prêtent de l'argent. Je le vois dans mon magasin. J'ai dû mettre des panneaux photovoltaïques sur les parkings, comme le veut la loi... C'est très bien cette mesure écologique, et je ne la remets pas en cause, mais c'est un investissement qu'il faut payer. La branche de la grande distribution a estimé que cette obligation légale d'installer des panneaux allait représenter 10 milliards d'euros d'investissement pour le secteur. Il faut bien le financer. Nous ressentons une ambiance anti-grande distribution dans le pays : on nous caricature en permanence, on nous cloue au pilori. Alors que nous sommes le premier employeur privé de France !

Le risque c'est une baisse de l'activité, de la production, et même des emplois... il me semble que toute la filière risque de sortir perdante. Car cette moindre consommation peut durer. La baisse des volumes s'accélère. Les Français s'adaptent. Et on le voit de plus en plus, il y a un questionnement de plus en plus important autour du consentement à payer pour l'alimentation. En d'autres termes, "je vais acheter moins car c'est bon pour la planète". Le changement est sociétal. Si les volumes continuent de s'effondrer, certains, qui ont des usines, vont avoir moins d'activité et auront du mal à les faire tourner autant. Et le danger concerne aussi les agriculteurs.

Pourquoi les industriels freinent-ils autant alors qu'ils seront perdants au final ?

Il faudrait leur demander... Mais leur argument, c'est de dire que des clauses de revoyure existent. Elles ont été introduites par Egalim 2, mais en réalité, on le constate : ça ne marche pas. En tout cas, ils ne sont pas pressés de les mettre en œuvre.

Fanny Guinochet

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Commentaires 18
à écrit le 18/04/2023 à 9:18
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On a voulu engager une guerre économique totale contre la Russie ? On a largement favorisé l'inflation des prix de l'énergie et, par répercussion, ceux de l'alimentaire. Ou quand les zozos font de la politique avec des bons sentiments et nous entraî...

à écrit le 17/04/2023 à 14:21
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Les dirigeants de la BCE savaient très bien ce qu'ils faisaient quand ils ont refusé d'augmenter leurs taux d'intérêts en 2020-2021. On a le résultat maintenant

à écrit le 17/04/2023 à 14:07
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En meme temps quand on voit l'inflation immobiliere de ces dernieres années, on se dit que les gens avaient de la marge au niveau budget pour mettre autant dans leurs logements. On peut imaginer un rééquilibrage: les gens paieront plus pour s'alimen...

le 18/04/2023 à 10:35
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L'inflation immobilière est surtout la conséquence de la cavalerie sur les taux depuis 2008.... Avec des taux négatifs si tu avais accès au crédit et ben tu te goinfre. Plus dur sera la hausse...

à écrit le 17/04/2023 à 13:53
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Et encore les gens pleurent pour le soutien de l'etat.

à écrit le 17/04/2023 à 13:42
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Au moins si les prix augmentent ça devrait favoriser les circuits courts qui deviendront plus compétitifs. Il faudrait en profiter pour les aider à décoller avec une vraie politique fiscale qui les favorise. L'augmentation des prix de l'alimentaire e...

à écrit le 17/04/2023 à 12:47
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Les baisses de prix sont là sur les marchés de gros, l’électricité peut baisser si le gouvernement le découple du prix du gaz qui baisse mais comme on a un déficit qui oblige l’état à emprunter pour payer ses fonctionnaires chaque mois on n’aura de b...

à écrit le 17/04/2023 à 12:19
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L'energie rencherie, logique que tout ce qui necessite du gas-oil, du gaz de l'essence, surcote les tarifs. Remerciez le genie de bercy, lemaire qui voulait mettre la Russie etc....

à écrit le 17/04/2023 à 11:42
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L'inflation sur les produits alimentaires est CONVENUE entre la macronie et les industriels de l'agrochimie et de l'industrie pharmaceutique pour payer les ruineux vaccins et multiples rappels reconnus maintenant comme inutile ;

le 17/04/2023 à 20:01
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pfizer a eu un benefice de 1000 dollars par seconde durant un an.....

à écrit le 17/04/2023 à 11:38
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Lorsqu'on néglige à ce point notre production d'électricité, pire qu'on aligne son prix sur celui du gaz il y a des conséquences.. Raison invoquées: réchauffement climatique, la guerre...

à écrit le 17/04/2023 à 10:35
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En revanche, les salaires et les pensions ne montent pas, difficile les fins de mois. Pendant ce temps là, l;État taxe et règlemente, pas drôle cette période.

à écrit le 17/04/2023 à 10:19
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Le rayon surgelé est, de loin, celui qui augmente le plus, avec près de 20% de hausse en un an.+32% sur les viandes surgelées Un bond lié en premier lieu au coût de l'énergie, rappelle Emmanuel Fournet, directeur analytique chez Nielsen IQ. "Un rayon...

à écrit le 17/04/2023 à 9:23
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Sans doute l'effet cliquet, comme le prix de la farine quand le blé voit son prix augmenter, il faut, malheureusement, le répercuter, mais rien ne change quand le blé devient abondant et son prix baisse fortement. Des marges bonnes à prendre. J'ai c...

à écrit le 17/04/2023 à 8:51
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Il est essentiel de ne plus s'attendre a vivre aussi bien que nos parents, cela nous donne l'occasion de revenir en arrière dans un monde réel !

le 17/04/2023 à 9:30
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@oui mais A toute époque des gens ont vécu très bien et d'autres dans des difficultés. On ne revient jamais en arrière, le futur sera autre, différent mais ne sera plus ce qu'il a été.

à écrit le 17/04/2023 à 8:45
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Deconsommation et boycott de certain produit ou marque

à écrit le 17/04/2023 à 8:22
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Bien, on redecouvre les processus de diffusion, donc j'attends avec impatience le deuxième tour salarial, et les commentaires d'économistes qui vont expliquer que c'est provisoire..

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