29 centimes d'euros, voire moins, jusqu'à 0,23 euro. C'est le prix d'une baguette de pain de 250 grammes que le grand distributeur Leclerc a promis de pratiquer dans ses magasins pendant au moins quatre mois, afin de défendre le pouvoir d'achat des Français dans un contexte de forte inflation.
"C'est un produit phare, un marqueur de l'inflation [...] Les consommateurs mémorisent les prix. Nous nous sommes engagés à bloquer ce prix à un prix bas, pendant au moins quatre mois, parce que la loi nous oblige à mettre une date", a déclaré Michel-Edouard Leclerc sur RMC le 11 janvier.
Alors qu'en France en 2021 le prix moyen de la baguette a été de 0,90 euros selon l'Insee, la décision a provoqué un tollé dans l'ensemble de la filière du blé. "Leclerc lance une campagne destructrice de valeurs pour tous les maillons de la filière céréalière française", se sont insurgés dans un communiqué commun la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), l'Association générale des producteurs de blé et autres céréales (AGPB), l'association interprofessionnelle Intercéréales, l'Association nationale de la meunerie française et la Confédération nationale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie française.
"La filière céréalière s'interroge sur les prix pratiqués par les magasins Leclerc et se demande qui peut en vivre dignement et sur quels produits vendus aux consommateurs les magasins Leclerc compenseront cette vente", poursuit le communiqué.
Une longue histoire de guerre des prix
Le groupe Leclerc est considéré par les acteurs du secteur agroalimentaire comme l'initiateur, depuis les années 60, de la guerre des prix entre grands distributeurs qui a conduit à une dévalorisation progressive des produits alimentaires en France. Ainsi, depuis 2013, les tarifs négociés par les industriels avec la grande distribution ne cessent de baisser, dénonce l'Association nationale des industries alimentaires (Ania).
Une pression à la réduction des marges et à l'amélioration de la rentabilité qui a été largement répercutée sur le maillon faible de la chaîne, les quelques 400.000 agriculteurs français, confrontés en même temps à une demande sociétale d'amélioration de la qualité de l'alimentation.
Depuis le début du quinquennat, deux lois (Egalim 1 et Egalim 2) ont tenté de corriger le mécanisme. La deuxième, adoptée par le Parlement le 14 octobre dernier, prévoit notamment l'impossibilité pour les distributeurs de remettre en cause la partie des tarifs présentés par les transformateurs qui dépend du coût de la matière première agricole.
Elle doit faire ses preuves en ce début d'année, dans le cadre des négociations commerciales pour les produits de marques nationales qui ont débuté à l'automne, et qui doivent se terminer avant le 1er mars.
Un contexte qui exacerbe les tensions
La première application d'Egalim 2 intervient toutefois dans un contexte inflationniste très propice à une exacerbation des tensions entre distributeurs et industriels. Alors que les prix de nombreuses matières premières et de l'énergie flambent, les coûts de production de l'industrie agroalimentaire croissent aussi. Or, Egalim 2 protège les transformateurs pour la seule partie liée à l'achat des matières premières agricoles.
L'annonce de Leclerc intervient "alors même que les cours des céréales et par conséquent de la farine, connaissent des prix élevés, que les coûts de production (énergies, salaires, etc...) progressent fortement", et que "le gouvernement et l'ensemble des filières travaillent pour rémunérer justement les agriculteurs", rappelle le communiqué de la filière du blé.
Des doutes quant aux résultats des négociations
Le gouvernement, qui a partagé mi-décembre les résultats du Comité de suivi des négociations commerciales 2021-2022, se veut rassurant quant à l'intégration progressive de la nouvelle loi dans les pratiques. Mais les doutes quant aux résultats des négociations persiste.
Les industriels craignent que les distributeurs continuent de leur refuser une revalorisation de leurs tarifs malgré la croissance de leurs coûts, et de devoir ainsi de nouveau réduire leurs marges. Les agriculteurs redoutent que, finalement, Egalim 2 ne soit pas appliquée, et que le prix de la matière première agricole soit finalement encore grignoté.
La campagne du groupe Leclerc ne vient donc pas les rassurer. Sur RMC, Michel-Edouard Leclerc a d'ailleurs ouvertement lié la décision de son groupe de brader la baguette aux revendications des industriels dans le cadre des relations commerciales :
"Les fournisseurs de farine ont beaucoup invoqué la hausse du prix du blé, pour demander des augmentations considérables" des tarifs, a déclaré le représentant du groupe.
Sujets les + commentés