
Honda est un véritable ovni de l'industrie automobile. Cinquième constructeur automobile mondial avec 5 millions de voitures vendues en 2019 et près de 121 milliards d'euros de chiffre d'affaires - soit autant que PSA et Renault réunis - le groupe japonais ne pèse, avec moins de 150.000 voitures vendues par an, que 0,8% de parts de marché en Europe. Une situation qui ne devrait pas s'arranger avec la fermeture des deux usines qui alimentaient jusqu'ici ce marché. L'usine de Swindon au Royaume-Uni a été vendue l'année dernière, tandis que celle de Kocaeli en Turquie doit fermer ses portes en 2022. Pourtant troisième marché du monde, l'Europe européen n'est pas une priorité pour Honda.
Il n'y a pas de marché européen
Le groupe japonais déplore le manque d'homogénité de ce marché. Trop de réglementations nationales, de normes ou de cadres fiscaux différents. Autrement dit, parler de marché européen est un abus de langage d'après Honda. En outre, la bascule de l'électrification pousse Honda à replier ses capacités de production en Asie pour retrouver de la proximité avec les fournisseurs de batteries notamment. D'autant qu'il n'y a plus de barrières douanières entre le Japon et l'Union européenne.
Pour le groupe dont le siège est à Tokyo, les trois priorités sont la Chine, les Etats-Unis et évidemment le Japon. D'ailleurs, son véritable marché de prédilection reste l'Amérique du Nord qui a représenté près de 55% de son chiffre d'affaires 2017, contre 13% seulement pour le Japon. L'Europe a représenté seulement 5% de son chiffre d'affaires. Et cette situation s'est encore aggravée en 2020 avec la crise du Covid qui a beaucoup plus frappé l'Europe (les périodes de confinement y ont été plus longues et plus contraignantes). Ainsi, Honda a vendu six fois plus de voitures au Japon qu'en Europe, et 15 fois plus aux Etats-Unis.
Un nouveau SUV sur le segment B
Pour autant, le groupe a toujours indiqué qu'il ne remettait pas en cause sa présence sur le Vieux continent. D'ailleurs, il vient de présenter son nouveau HR-V, ce SUV installé sur le segment très dynamique des SUV très compacts (face au Renault Captur et Peugeot 2008). Cette nouvelle génération constitue une véritable opportunité pour Honda Europe, mais elle a du mal à s'inscrire dans une dynamique de gamme. La marque a, certes, récemment renouvelé toute sa gamme avec une nouvelle Jazz (2020) et un nouveau CR-V (lancé en 2018), mais elle reste cantonnée à quatre modèles seulement. Plus inquiétant pour le groupe nippon, le positionnement de la marque reste flou. La nouvelle Civic, un best-seller, qui a été présentée aux Etats-Unis quelques semaines après le nouveau HR-V, ne sera pas lancée en Europe, en tout cas pas sous cette mouture. Il faudra attendre 2022 pour voir un modèle s'en rapprocher. Mais l'agenda est également resté flou.
Pour autant, la situation européenne ne reflète pas la réalité de la puissance de Honda à l'échelle mondiale. Le groupe pèse ainsi plus de 9% de parts de marché sur l'un des marchés les plus complexes du monde, les Etats-Unis. Il y commercialise d'ailleurs une marque sportive premium totalement inconnue en Europe, Acura. D'ailleurs, l'Amérique du Nord génère l'essentiel de ses profits.
En Chine aussi le groupe est puissant avec 2 millions de voitures par an, bien loin devant la performance du groupe Stellantis, pourtant présent avec six marques (Peugeot, Fiat, Citroën, DS, Jeep...). Et enfin, Honda est le premier motoriste du monde avec 21 millions de moteurs produits par an ! Car Honda ne fabrique pas seulement des voitures, il fabrique aussi des tondeuses à gazon (il dispose d'ailleurs d'une usine en France), des moteurs pour bateaux... Mais aussi et surtout des deux roues. Honda vend 18 millions de scooters et motos dans le monde, et est même numéro un en Europe.
Les deux-roues, la véritable cash machine
Paradoxe: si il est une fantastique machine à cash, le deux roues rapporte beaucoup moins de volumes d'affaires que l'automobile. La marge opérationnelle de cette branche était de 10% en 2017 tandis que celle de l'automobile était de 7,5%. Elle est également plus résiliente. Sur le premier trimestre 2021 (qui correspond au dernier de l'exercice fiscal japonais), le deux roues a atteint une marge de 13,7% contre 1,6% pour l'automobile. La performance du deux roues est telle que même si cette activité ne réalise que 12% du chiffre d'affaires de Honda (72% pour l'automobile), elle a rapporté, en valeur absolue, quasiment deux fois plus de profits (exercice 2019), voire trois fois plus sur l'année marquée par le Covid.
Mais l'automobile reste l'essentiel du business du groupe et devrait donc continuer à nécessiter beaucoup d'investissements, notamment en R&D. Surtout en ces temps de transition énergétique. D'autant que le constructeur japonais a mis presque tous ses œufs dans le panier de la propulsion hybride, quasiment en même temps que Toyota. Tout comme la Prius, la Honda Insight a été lancée à la fin des années 1990. Aujourd'hui, toute la gamme Honda est électrifiée mais manque encore d'électrique à batteries. De ce point de vue, le motoriste a pris de l'avance sur Toyota puisqu'il a lancé une petite Honda e en 2019.
L'électrique à tâtons
Cette petite voiture a suscité une curiosité médiatique intéressante avec sa petite "bouille", son tableau de bord digitalisé reproduisant un aquarium où il est possible de taquiner des poissons en 3D en touchant l'écran. Mais ses performances modestes (220 km d'autonomie) rapportées à son prix (32.000 euros) n'en font pas un modèle compétitif. Il faudra attendre la fin de l'année pour voir un modèle plus ambitieux et crédible avec un SUV 100% électrique... Même si Honda parvient à creuser l'écart avec son rival Toyota sur l'électrique, il risque d'être très en retard sur un marché de plus en plus encombré de modèles face à la taille encore réduite des débouchés.
Honda continue de croire en l'hydrogène, un autre point commun avec Toyota. Même si sa Clarity n'a jamais été commercialisée en Europe, elle reste l'une des rares berlines hydrogènes commercialisées dans le monde. Et Honda prévoit d'élargir sa gamme à partir de 2025.
Dans ce contexte, et à l'heure de la consolidation industrielle automobile, Honda peut-il envisager un avenir en solo ? Au Japon, le fabricant de la Civic est de plus en plus isolé. Pour rappel, Nissan a racheté Mitsubishi, tandis que Toyota multiplie les partenariats, notamment avec Suzuki. De son côté, Honda a préféré s'appuyer sur un gros poisson en dehors de l'archipel : General Motors. Le groupe américain a signé deux partenariats avec le Japonais, l'un sur l'électrification, l'autre sur la voiture autonome. D'ailleurs, les deux industriels n'hésitent pas à parler "d'Alliance". Il s'agit de construire des gammes de voitures électriques distinctes mais à partir d'une plateforme commune et d'une centralisation des achats de pièces comme les éléments de la propulsion électrique. Honda compte sur l'avènement de la technologie de la batterie solide, (plus performante en autonomie, en temps de recharge et en longévité), pour accélérer son offensive dans la voiture électrique. D'ailleurs, le constructeur japonais a annoncé qu'il arrêterait les moteurs thermiques en 2040.
Allié à General Motors sur la voiture autonome
Sur la voiture autonome, Honda a dû casser sa tirelire pour entrer dans le capital de GM Cruise, la filiale de General Motors. Il consacrera 2,75 milliards de dollars dans cette aventure sur douze ans (dont 750 millions pour prendre 5% du capital). GM Cruise, valorisé près de 30 milliards d'euros (deux fois plus que lors de la prise de participation de Honda) est l'une des structures les plus avancées au monde en matière de voiture autonome. Ce qui assure à Honda d'être sur la ligne de départ le jour où la technologie sera mature.
Dans le processus de profonde transformation qui secoue l'industrie automobile, Honda est donc parvenu à poser les jalons d'une trajectoire ambitieuse: autonomie, électrification, neutralité carbone en 2030... Le tout en préservant jalousement son indépendance et sa culture d'ingénierie. Une vraie leçon pour les constructeurs, notamment européens, qui n'ont pas trouvé d'autres réponses que de consacrer des fortunes dans la consolidation industrielle.
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