Pourquoi Renault copie-colle le modèle PSA

L'arrivée de Luca de Meo à la tête de Renault en juillet marque la fin de la doctrine de Carlos Ghosn très orientée sur les volumes. Rétrospectivement, la direction de Renault juge sévèrement le bilan de cette stratégie et veut revenir vers une action plus concentrée sur la valeur de marque. Une stratégie déployée avec succès chez PSA et largement théorisée par Carlos Tavares, ancien numéro deux de Renault...
Nabil Bourassi
(Crédits : Yves Herman)

« Nous voulons en finir avec la course aux volumes !» Cette phrase prononcée maintes fois depuis février par Clotilde Delbos, directrice générale par interim de Renault, sous ses airs laconiques, est en réalité le véritable acte de renoncement du groupe à l'ère de Carlos Ghosn.

Les premières décisions distillées ça et là sous l'impulsion de Luca de Meo, arrivé début juillet au poste de PDG du groupe, confirment cette tendance. Evidemment, cette stratégie n'est pas sans rappeler la doctrine de Carlos Tavares, PDG du groupe PSA, ancien numéro deux de Renault. Dès 2014, et plus encore avec son second plan stratégique Push to Pass (2016), Carlos Tavares avait théorisé la fin des stratégies de volume, pour se concentrer sur la valeur des produits: il vaut mieux renoncer à un point de parts de marché que de vendre des voitures à perte. En outre, créer de la valeur sur un produit est vertueux dans le cycle de renouvellement puisque les voitures sont mieux appréciées à la revente. Après plusieurs années d'exercice, le bilan de Carlos Tavares peut se résumer par un chiffre: une marge opérationnelle deux fois supérieure à celle de Renault (chiffre 2019).

Chez Renault, ça phosphore sévère depuis la chute de Carlos Ghosn en novembre 2018, et plus encore depuis celle de Thierry Bolloré, un an plus tard, considéré comme un vestige de cette culture d'entreprise. Mais la rupture semble belle et bien consommée.

La nomination de Luca de Meo est déjà en soi une manière d'acter cette rupture conceptuelle. L'italien est un authentique partisan de la stratégie de valeur comme il l'a montré chez Seat en cultivant un univers de marque cohérent et soigné avec des produits adaptés. En quatre ans, il est parvenu à augmenter le prix moyen d'une voiture de plusieurs milliers d'euros. Dans une interview au Point publiée la semaine dernière, il a d'ailleurs poser le diagnostic: "le centre de gravité de la gamme Renault doit être plus haut (...) je veux la qualité et la rentabilité". Et de citer son principal concurrent: "Carlos Tavares a fait un travail extraordinaire avec une belle montée en gamme des véhicules".

Briser la pyramide Ghosnienne

En attendant donc le plan stratégique prévu en janvier prochain, Luca de Meo a d'ores et déjà pris des premières décisions, notamment organisationnelles avec pour but de briser la configuration pyramidale du groupe héritée de l'ère Ghosn. Il s'agit de redonner de la souplesse et de l'autonomie pour miser sur la créativité et aller chercher de la valeur en interne.

Le groupe sera désormais articulé autour de quatre marques: Renault, Dacia, Alpine et une marque mobilité. Sur Dacia, il souhaite que celle-ci reste une marque d'entrée de gamme tout étant plus "cool". Quant à Alpine, elle doit confirmer sa stature de marque premium. Renault, lui, doit trouver "un nouveau souffle au design".

Par effet de comparaison, on voit à peu de choses près la même configuration du PSA avant rachat d'Opel, avec un Peugeot qui s'est totalement repositionné après avoir revu son design, un Citroën qui s'est engagé dans la voie du "feel good" (sans pour autant, il est vrai, être positionné entrée de gamme), une marque DS voulue par Tavares comme un label premium assumé, et bien entendu, la filiale Free2Move emmenée par Brigitte Courtehoux et qui implante des services de mobilité partagée ou en libre-service partout dans le monde.

Pour la marque Renault, elle restera le label principal du groupe, à l'image de Peugeot chez PSA, sans pour autant s'orienter sur un repositionnement vers le haut. Ce n'est, pour l'heure, pas l'analyse de Luca de Meo qui observe que le losange doit surtout reconquérir les segments supérieurs que sont les grands SUV et les routières. Des segments où Renault a perdu énormément de terrain et de légitimité. D'ailleurs, après avoir passé en revue les projets en cours dans les salles de design de Renault, l'italien polyglotte (il parle cinq langues) a dû faire le ménage car les projets étaient essentiellement concentrés sur des petites carrosseries.

Pricing Power, nouvelle religion du groupe

Et Luca de Meo pourrait reprendre à son compte le concept de pricing power (capacité à défendre les prix), élevé au rang de boussole absolue chez PSA dans la conception des voitures, quelle que soit la marque, généraliste ou premium. Certes, Luca de Meo connait parfaitement ce concept qu'il a largement défendu chez Seat, mais nul groupe n'a autant poussé l'esprit du pricing power que Carlos Tavares chez PSA: fin des ventes tactiques, fin des modèles de niche, des gammes pléthoriques, place à la cohérence des produits bien finis dans des réseaux de distribution assainis, aux stocks maîtrisés. Toutefois, et dans un premier temps, Renault risque de payer très cher cette stratégie en termes de part de marché avec des volumes en forte baisse. D'autant que les nouveaux modèles de la nouvelle stratégie n'apparaîtront pas avant 2023. Il faudra alors assumer les conséquences dans des usines déjà en sous-régime comme à Douai...

La restructuration industrielle du groupe Renault fait également partie de la panoplie de la méthode Carlos Tavares, mais pour l'heure, les annonces faites sont assez classiques: redéploiement d'activités, baisse des effectifs... Le patron de PSA est allé encore plus loin avec le concept de compactage des sites industriels consistant à vendre du foncier, réorganiser les usines pour optimiser l'espace, dédier des espaces aux sous-traitants (pas gratuitement)... Carlos Tavares annonce avoir baissé le point mort de la rentabilité financière d'un million de voitures grâce à cette stratégie de rationalisation industrielle. Renault pourrait travailler sur cette étape dans un second temps.

Un casting très PSA...

Pour accompagner son acculturation de travail, la marque au losange ne s'est pas contentée de se séparer de Thierry Bolloré, ancien numéro deux de Carlos Ghosn. Elle a méthodiquement débauché une séries de cadres dirigeants chez PSA, parmi lesquels Gilles Le Borgne, le très respecté patron de la R&D dont le départ de PSA avait surpris tout le monde. Récemment, c'est Gilles Vidal, le designer-star de Peugeot qui a quitté l'ADN, le laboratoire Peugeot de Velizy, pour intégrer, non loin de là, le technopôle de Renault à Guyancourt (Yvelines).

Un potentiel plus important que PSA à l'international

Le "reset" de Renault en matière stratégique est salué par l'ensemble des marchés. Le groupe est effectivement lourdement affecté par les conséquences des années Ghosn qui se caractérisent notamment par des marges très faibles (4,5% de marge opérationnelle en 2019, soit 1,5 point de moins qu'en 2019).

Pour autant, Renault ne ressemblera pas en tous points à PSA. D'abord, son empreinte internationale est plus forte. La marque au losange est très forte en Russie, mais également en Amérique Latine. En outre, le groupe semble renouer avec Nissan après une crise de près d'un an et demi où le fil n'a cessé de se distendre. Jean-Dominique Senard, patron de l'Alliance, veille à ce que les discussions se poursuivent et espère tirer de nouveaux gisements de synergies avec le groupe nippon. De ce point de vue là, Renault semble plus avancé que PSA, car même si Carlos Tavares parvient à faire aboutir son projet de fusion avec le groupe Fiat Chrysler, la nouvelle entité produira deux millions de voitures de moins que l'Alliance.

Lire aussi : Comment Carlos Tavares a transformé PSA en machine à cash

Nabil Bourassi

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Commentaires 6
à écrit le 09/09/2020 à 9:00
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Il y a toujours beaucoup de gens pour chanter les louanges du 'gagnant' du moment et 'démolir' le 'perdant'. La vie n'est pas si simple. Bien sûr que les volumes font partie de l'équation de la rentabilité. Tout entrepreneur sait que les résultats d...

à écrit le 09/09/2020 à 3:47
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C'es Renault qu'il vous faut, tout faux.

à écrit le 08/09/2020 à 14:23
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SI si un jour Renault vendra de belles voitures! Qui de ma génération n'a pas rêvé de posséder une Rambler! Mais ça n'a pas fait tilt dans leur tête une Renault se doit d'être moche,(r16; r12 etc, rouilleuse de peur r20 r30, dangereuse 4 cv, Dauphi...

à écrit le 08/09/2020 à 9:34
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Non seulement Renault n'a pas amélioré la qualité de ses voitures mais Nissan a vu sa fiabilité tomber a un niveau lamentable sous Ghosn.

le 09/09/2020 à 7:09
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il y a pire se voir refuse une reparation par une concession car votre voiture a plus de cinq ans alors j'ai propose le rachat d'un neuf avec reprise de l'ancien et la encore un refus depuis plus de renault

à écrit le 08/09/2020 à 9:05
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La course aux volumes doublée de gros soucis fiabilité. Que dire des problèmes à venir pour les nombreux véhicules équipés du moteur 1.2 TCe lorsque ceux-ci vont dépasser les 50 000 km. Dans cette affaire, Renault joue la montre pour limiter le champ...

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