Ce devait être une année faste pour les constructeurs automobiles français... Le déploiement en année pleine des Clio et Captur pour Renault, et des 208 et 2008 pour Peugeot. Des modèles où les deux groupes ne se contentent pas de faire leurs meilleures ventes, mais où ils ont réussi à imposer un leadership en Europe. Ils avaient même ajouté un enjeu supplémentaire avec cette nouvelle génération : celui de la montée en gamme, histoire de ne pas se contenter de faire du volume, mais d'aller chercher de la rentabilité. Mais la crise du coronavirus est venue gâcher la fête: des concessions confinées, des marchés qui s'effondrent, des usines à l'arrêt et du cash qui part en fumée malgré les mesures de chômage partiel... Pour les constructeurs automobiles, c'est une catastrophe financière.
Des déboires accélérés par la crise
Pour Renault, la situation est même critique. La marque au losange est entrée dans la crise du coronavirus déjà extrêmement affaiblie. Elle a dû gérer une crise managériale un an et demi après la chute de son patron charismatique, Carlos Ghosn, et l'éviction en novembre de ce qui restait de son management avec le départ de Thierry Bolloré. Elle a également dû affronter une crise stratégique avec un plan produit en partie raté, notamment sur les segments luxe, qui a affaibli son image de marque.
Depuis deux ans maintenant, Renault voyait sa marge opérationnelle baisser, jusqu'à peser la moitié de celle enregistrée par son concurrent PSA en 2019. Face à l'accélération de ses déboires avec la crise du Covid, Renault a été contraint de recourir dans l'urgence à un prêt garanti par l'État de 5 milliards d'euros assorti de conditions de transformation. Le groupe a aussi dû annoncer un plan d'économies très important.
Tout n'est pas sombre cependant dans ce tableau. Renault voit son management entièrement renouvelé avec l'arrivée de plusieurs pointures au bilan reconnu par tous. Ainsi de Gilles Le Borgne, l'ancien patron de la R&D à PSA, qui a pris les manettes de la recherche chez Renault fin 2019. Son entregent mais également sa capacité à décloisonner les départements d'ingénierie ont fait des merveilles dans le groupe aux quatre marques (Peugeot, Citroën, DS, Opel). Renault espère améliorer à son tour l'intégration technologique et l'innovation de ses produits avec cette nouvelle dynamique managériale.
Ensuite, c'est l'arrivée, le 1er juillet dernier, de Luca de Meo à la tête de la direction générale de Renault qui fait espérer les équipes. L'ancien de Seat s'est d'ores et déjà adressé aux actionnaires de l'entreprise lors d'une assemblée générale digitale, célébrant une « entreprise glorieuse ». Cet Italien francophone et francophile est un « homme du marketing », comme le décrivent certaines mauvaises langues, mais il a montré sa capacité à reconstruire une marque autour de produits bien finis et d'une stratégie de gamme cohérente.
Autre bonne nouvelle, l'Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi semble repartir sur de nouveaux rails après la présentation par Jean-Dominique Senard, son patron, d'un nouveau projet industriel : davantage de partages de plateformes, de spécialisation et d'échanges des parties prenantes... Renault devrait profiter à plein de nouvelles opportunités d'innovation et de nouveaux gisements de compétitivité laissés jusqu'ici en jachère.
Le virage électrique est enfin pris
Chez PSA, on est moins inquiet grâce à une solidité financière qui a forcé l'admiration des marchés ces dernières années. La stratégie du groupe pourrait toutefois être contrariée cette année, notamment par l'interruption du déploiement du plan produit qui doit permettre d'augmenter les ventes mais surtout d'améliorer la qualité de celles-ci grâce à des produits mieux finis, et des finitions plus élevées et donc plus rentables. L'enjeu est de ne pas rater le coche de l'électrification qui était clairement jusqu'ici le chaînon manquant du groupe dirigé par Carlos Tavares.
Ce dernier s'est décidé à déployer une gamme électrifiée à la toute fin 2019 et début 2020 : des voitures 100 % électriques (208, DS3 Crossback, 2008...) ou des hybrides rechargeables (C5 Aircross, 3008, DS7 Crossback...). C'est aussi la poursuite du repositionnement de Citroën et de DS qui est en jeu en 2020. Le premier vient de lever le voile sur sa nouvelle C4, qui redonne de l'élan à la réidentification de la marque, tandis que DS est encore, avec sa DS9, dans une phase d'appropriation du label premium, un segment largement trusté par les marques allemandes.
Mais l'autre grand dossier de PSA reste la fusion avec Fiat Chrysler Automobile (FCA) qui semble patiner. La Commission européenne vient d'enclencher la seconde phase de son enquête sur les bonnes pratiques concurrentielles, là où Carlos Tavares (PSA) et Mike Manley (FCA) espéraient un feu vert dès la phase 1. L'agenda du processus de fusion prend ainsi du plomb dans l'aile, et expose le projet à toutes les incertitudes dans un contexte de détérioration du marché. Ainsi, le deal de fusion à 50/50 est-il encore d'actualité alors que FCA a eu recours à un prêt garanti par l'État italien de plus de 6 milliards d'euros ? Pour rappel, les marchés s'étaient déjà interrogés sur la pertinence des termes du rapprochement capitalistique qui signifiait une prime de 40% à l'endroit des actionnaires italiens. Que se passera-t-il si les comptes de FCA continuent de se détériorer au regard d'une stratégie produit peu offensive ? Du côté de PSA, on refuse de commenter ces sujets, arguant que les discussions se poursuivent.
Ainsi, les constructeurs français, qui espéraient un rebond en 2020, vont devoir prendre des décisions stratégiques historiques, dont les effets vaudront pour les dix à vingt prochaines années. Une excellente occasion de vérifier la sentence qui veut que, dans toute crise, il faut savoir saisir les opportunités.
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