Réplique sismique ! Au lendemain de l'annonce de Renault de la « suspension » de ses activités en Russie, c'est toute la stratégie du groupe à l'international qui est remis en question. Et pour cause, le constructeur automobile français était sur le point de divulguer plan d'attaque offensif dans tous les pays émergents, une sorte de nouveau volet de la stratégie Luca de Meo, patron de Renault depuis juillet 2020. Ce plan, dont les grandes lignes avaient été révélées dans nos colonnes, devait même débuter en Russie même avec la présentation imminente d'une nouvelle gamme de produits dédiée à ce marché. Pour rappel, la Russie est le second marché de Renault, après la France avec 500.000 voitures vendues. Mais seulement 100.000 voitures vendues sont "badgées" d'un losange. Les 400.000 restants sont des Lada, la marque de la filiale locale, Avtovaz, rachetée il y a dix ans par le Français.
La très stratégique gamme Entry fragilisée
Ainsi, Lada a développé sa propre gamme (Niva, Vesta, Largus, Xray), laquelle a été conçue à partir de la même plateforme "Entry" (pour la gamme des produits à bas coûts), dont la filiale roumaine du groupe, Dacia, s'est faite une spécialité. C'est à partir de cette plateforme, mais également à partir du partage de nombreuses pièces, que cette stratégie dite "Entry" était donc pensée pour attaquer l'ensemble des pays émergents dans lesquels Renault s'était taillé une place : Brésil, Argentine, Turquie, Algérie, Maroc, Inde, Afrique du Sud...
Oui mais l'équation économique de cette gamme n'est plus la même s'il faut lui amputer 500.000 voitures... « Sans la Russie, il sera très difficile de rentabiliser les pays émergents », confirme Bernard Jullien, maître de conférence à l'université de Bordeaux, spécialiste de l'industrie automobile.
Chez Renault, le management accuse encore le coup de cette succession d'événements géopolitiques qui, il y a encore un mois, lui était totalement inimaginable. Pour rappel, une semaine avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie, Luca de Meo affichait son optimisme sur la continuité des opérations au pays de Vladimir Poutine, tandis que ses cadres organisaient une grande opération de communication pour le lancement de cette nouvelle gamme.
Pas de commentaires donc... Il est trop tôt. Mais à Boulogne-Billancourt, certains cadres admettent qu'il y a un sujet sur cette nouvelle donne et le modèle économique du plan spécial pour les pays émergents.
La fin de l'époque Ghosn
Selon Bernard Jullien, un vieux clivage à l'intérieur de Renault pourrait renaître sur la stratégie à poursuivre hors Europe notamment sur le choix des produits : faut-il vendre des Renault ou rebadger des Dacia. Jusqu'ici, Renault, sous l'impulsion de son ancien patron Carlos Ghosn, a privilégié une approche de volumes avec des produits d'entrée de gamme. Dans ces pays, Renault commercialisait donc des modèles Dacia sous sa marque, comme le Duster ou le Sandero, non sans succès d'ailleurs. Mais cette stratégie n'était pas assez profitable d'après Luca de Meo qui a observé que les trois quarts des profits étaient réalisés en Europe. Il souhaitait donc trouver un nouvel équilibre qui réconcilie montée en gamme sans compromettre le positionnement tarifaire accessible de Renault dans les pays émergents. Mais le plan qui devait être annoncé dans l'année pourrait subir de nouveaux ajustements.
En interne, on pousse également la réflexion sur l'impact de l'aléa géopolitique dans les arbitrages de la nouvelle stratégie, pour éviter qu'elle ne revienne comme un boomerang. Et d'ironiser sur l'instabilité des pays sur lesquels s'est focalisé Carlos Ghosn : Russie, Iran, Algérie, Turquie... Ce paradigme prend encore plus d'acuité au moment où l'invasion de l'Ukraine ouvre une nouvelle page dans l'ordre du monde et remet en question la prépondérance du modèle occidental. Entre l'Iran (que le constructeur français a été obligé de quitter en 2018 après la fin de l'accord sur le nucléaire) et la Russie, Renault aura perdu près de 600.000 voitures par an, soit 16% de ses ventes totales.
L'aléa géopolitique, nouvelle contrainte pour les constructeurs
Luca de Meo qui avait déjà été surpris (à plus petite échelle) le risque géopolitique à l'époque où il dirigeait Seat avec la crise du référendum d'indépendance de la Catalogne (où siège la marque automobile espagnole). Il doit cette fois affronter une question beaucoup plus complexe et redéfinir une doctrine. Un exercice hautement complexe à l'heure où les incertitudes dominent la vie économique et géopolitique...
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