Rouvrir les usines automobiles en plein confinement ? Le sang des délégués CGT n'a fait qu'un tour ! Chez Renault, ils ont multiplié les pétitions estimant que la direction mettait les salariés en danger alors que l'épidémie de coronavirus n'est toujours pas endiguée. Chez Toyota, dont la production reprend ce jeudi, même son de cloche: les représentants de la confédération n'ont pas signé l'accord trouvé au CSE, pourtant signé par les autres syndicats.
Habituer les salariés aux nouvelles règles sanitaires
Pour les industriels, il s'agit de reprendre l'activité de manière progressive pour sensibiliser les équipes à de nouveaux process visant à assurer leur sécurité sanitaire: prise de température, parcours fléchés, nettoyage régulier des postes, port du masque obligatoire... Il faut également repenser le poste de travail en prenant en compte la distanciation sociale nécessaire pour limiter les risques de contagion.
Chez Toyota, on explique ainsi qu'une seule plage horaire est mise en place à partir de ce jeudi, et que les trois équipes qui assurent normalement les trois huit (24h sur 24) vont faire une rotation afin de roder les nouvelles directives de distanciation sociale, quitte à faire remonter des retours d'expérience et améliorer les process. L'usine de Valenciennes va ainsi démarrer très doucement puisqu'elle ne vise qu'un rythme de 50 voitures par jour, contre 300 en vitesse de croisière.
De son côté, Renault a commencé à rouvrir ses sites mécaniques qui fabriquent essieux ou boîtes de vitesse. La première usine d'assemblage qui ouvrira ses portes sera celle de Flins le 28 avril prochain.
Chez Valeo, on vient également de signer un accord avec les syndicats, hors CGT, sur les conditions de reprise d'activité. L'équipementier automobile a déjà rouvert 13 de ses 23 sites de production en France, qui tournent autour de 15 à 30% de leur activité normale. Valeo dit être prêt en cas de reprise de la production. Il explique s'être inspiré des retours d'expérience en Chine où il avait dû fermer l'ensemble de ses usines, avant d'opérer leur remise en service. En mars, Valeo a déjà retrouvé 60% de son chiffre d'affaires enregistré il y a un an.
PSA: il faut partir à point...
PSA a adopté la stratégie inverse. Le groupe automobile aux quatre marques (Peugeot, Citroën, DS, Opel) n'envisage pas de reprises tant que les concessions n'auront pas rouvert leurs portes. "Nous travaillons bien entendu sur des process qui nous permettront un redémarrage en toute sécurité pour nos salariés", nous explique un porte-parole du groupe. Le groupe PSA estime que les stocks serviront à alimenter le réseau de distribution en attendant que les usines se remettent en pleine vapeur. Pourtant, les concessions ont d'ores et déjà rouvert en Allemagne. Certes, les trois marques historiques du groupe sont structurellement faibles sur le premier marché européen, mais Opel risque toutefois d'être pénalisé puisque très présent sur son marché domestique. La marque prend toutefois ce risque, dans un contexte de redéploiement de sa stratégie commerciale fondée sur la fin des ventes tactiques et des remises à outrance.
Une reprise incertaine
Pour les constructeurs, il s'agit d'anticiper et de répondre présent lors de la reprise. Pourtant, rien n'est moins sûr pour Bernard Jullien, maître de conférence à l'université de Bordeaux et spécialiste de l'industrie automobile.
"L'hypothèse des constructeurs automobiles est une reprise en V, ils ont la conviction que la crise actuelle est sanitaire, et pas économique, se fondant sur des postulats d'avant-crise qui témoignaient de fondamentaux de marchés robustes. Or, il faut bien reconnaître que de nombreux éléments contredisent ce scénario. Si l'on s'en réfère aux ratios connus dans le passé, une baisse d'un point du PIB se répercute par un multiple de 4 sur le marché automobile. Il faut donc s'attendre à une baisse nette et durable des ventes, de l'ordre de 30 à 40% pour les douze prochains mois", estime le professeur qui fait référence en France dans le domaine automobile.
Vers une prime à la casse ?
Dès lors, pourquoi anticiper une reprise aussi hypothétique ? "Renault prend le risque de se retrouver avec des stocks et des invendus", persifle un concurrent qui entrevoit un retour à la crise de 2008. Ou alors, le constructeur au losange compte-il sur une prime gouvernementale pour tirer le marché ?
Bernard Jullien affiche là encore son scepticisme : "il semblerait que ce ne soit pas l'orientation la plus probable des autorités publiques. Un tel dispositif, dans un contexte de crise, encouragera notamment les importations car les voitures qui profitent généralement d'une prime à la casse, sont des voitures de segment A et B, soit des voitures produites à l'étranger, y compris par les marques françaises. S'il y a de l'argent public à verser pour soutenir le secteur, mieux vaut aider directement les entreprises, plutôt que de creuser le déficit commercial".
Dans un scénario d'une reprise très progressive, les constructeurs pourraient alors non plus se préoccuper de relancer la production, mais bien de redimensionner leurs capacités, autrement dit, de réduire sites et effectifs... La crise ne fait que commencer...
Sujets les + commentés