"Sous Trump, l'automobile américaine a vécu sur ses acquis", Xavier Mosquet

INTERVIEW. En 2016, Donald Trump avait largement fait campagne sur la réindustrialisation automobile des États-Unis, durement éprouvés par les lourdes restructurations de la crise des subprimes. Quel bilan tirer de ces quatre années de mandat du président républicain ? Xavier Mosquet, directeur associé au Boston Consulting Group, et ancien conseiller de Barack Obama lors de la crise de 2009, fait le point.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE - En 2016, Donald Trump avait consacré une partie de sa campagne électorale à dénoncer la désindustrialisation automobile. Quel bilan peut-on faire de ces quatre années de mandat pour l'automobile américaine ?

XAVIER MOSQUET - L'analyse de l'administration Trump de l'époque disait que l'industrie automobile américaine avait détruit des emplois à cause d'accords internationaux qui étaient défavorables à l'industrie américaine. Elle a ainsi remis en cause l'accord du Nafta [en français : Alena, Ndlr] devenu l'USMCA [en français : ACEUM, pour Accord Canada-États-Unis-Mexique, Ndlr].

Cet accord avait effectivement contribué à transférer des emplois des États-Unis au Mexique, mais il avait aussi contribué à renforcer la compétitivité de l'industrie automobile américaine. Le nouvel accord contraint les importations automobiles en provenance du Mexique à augmenter son contenu fabriqué aux États-Unis. C'est une façon d'augmenter le coût de production au Mexique dans le but de rapatrier la production sur le territoire américain.

En réalité, il semblerait qu'il y ait surtout eu un effet d'annonce. Car s'il y a bien eu quelques rapatriements, ils se sont faits à la marge, et les investissements opérés aux États-Unis se seraient, pour la plupart, de toute façon faits sur le sol américain. Il n'y a aucune logique économique à rapatrier des emplois mexicains aux États-Unis sauf à renchérir le coût de production américain.

Il y a pourtant une industrie automobile américaine avec de nombreux travailleurs...

Même si on voulait rapatrier des emplois aux États-Unis, il aurait fallu investir lourdement dans la formation mais également dans la modernisation des usines afin de gagner en compétitivité pour justifier ce rapatriement. Ce qui n'a pas été fait. Au Michigan, grande région automobile, les électeurs qui avaient adhéré au message de Donald Trump en 2016, n'ont vu aucun changement. L'État vient de basculer dans le camp démocrate.

Il y a d'autres accords internationaux qui ont été rediscutés...

Les traités avec la Chine et l'Europe ont également été remis à plat par l'administration Trump, et c'était une bonne chose. Pour rappel, les taxes sur les importations chinoises d'automobiles sont de 2,5% quand les voitures américaines sont taxées 15% en Chine. Idem avec l'Europe qui taxe 10% les importations de voitures américaines tandis qu'à l'inverse cette taxe n'est que de 2,5%.

Ce système est hérité d'une époque où il était nécessaire de soutenir l'industrie automobile au sortir de la seconde guerre mondiale dans le cas de l'Europe, ou pour accompagner l'émergence de la Chine dans les années 1980. Aujourd'hui, plus rien ne s'oppose à rééquilibrer les tarifs douaniers entre ces marchés.

Il était donc nécessaire d'entamer cette discussion qui n'avait jamais été envisagée auparavant. Fallait-il le faire de manière agressive ? Je ne sais pas. Il est vrai que pour le moment, à part une hausse du coût de l'acier chinois qui a impacté les coûts de production américain, il y a eu très peu d'effets. Ce qui est certain c'est que, quelle que soit la nouvelle administration qui prendra ses fonctions, elle poursuivra ces discussions pour les mener, j'espère, à leur terme.

En arrivant il y a quatre ans, Donald Trump n'avait pas trouvé une industrie automobile en si mauvais état...

En effet, l'administration Trump avait trouvé, en 2016, une industrie automobile en bonne santé et largement restructurée mais qui, depuis, a vécu sur ses acquis. Elle a toutefois subi une hausse de plusieurs centaines de dollars par voiture produite suite à la refonte du Nafta. Mais elle a aussi profité de la politique fiscale de Donald Trump. Le président américain avait baissé les impôts, ce qui a été favorable au marché automobile. Ainsi, alors que nous attendions une stabilisation du marché, voire craint une légère baisse, cette politique a permis de prolonger cette dynamique de croissance en volume mais également en valeur avec des produits plus riches et mieux équipés. C'est entre autres pour cela que les industriels automobiles américains traversent la crise du Covid-19 dans de meilleures conditions que lors de la crise de 2009.

Le monde de l'automobile a beaucoup évolué en quatre ans... L'administration Trump a-t-elle été à la hauteur de cette transformation ?

Sur l'innovation, elle a probablement manqué une occasion de positionner les États-Unis sur le marché de l'électrification. L'Europe et la Chine mènent une politique extrêmement volontariste en matière d'électrification à travers une réglementation très stricte, alors qu'aux États-Unis, le gouvernement n'a pas tranché. Résultat, les constructeurs américains se sont laissés distancer en matière d'électrification alors même que ce marché va croître partout dans le monde et finira par s'imposer sur le marché américain. Seul Tesla fait figure d'exception. Mais il est clair que les États-Unis risquent de se retrouver sans capacités de production de batteries. C'est un vrai problème à long terme. À l'inverse, les États-Unis ont pris une longueur d'avance sur la voiture autonome grâce notamment à Waymo, GM Cruise, Aptiv ou Aurora. Mais la voiture électrique trouve une réalité de marché très concrète tandis que celui de la voiture autonome n'est pas pour tout de suite.

Quel est le défi de la prochaine administration ?

Il y a un enjeu à permettre que les constructeurs américains renforcent leur compétitivité à l'international. On a pu constater qu'ils étaient très en retrait en Europe et en difficulté en Asie. Cela passera nécessairement par des réglementations plus exigeantes pour calquer le marché américain sur les mêmes contraintes que les marchés européens et chinois. Cela passera aussi par davantage d'investissements. Enfin, il y a un véritable enjeu à refinancer les infrastructures routières qui sont largement détériorées. Mais j'insiste, il faudra favoriser de manière beaucoup plus volontariste l'électrification du marché. Car je crains qu'il ne soit déjà trop tard...

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Commentaire 1
à écrit le 10/11/2020 à 8:44
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Il n'y a pas que Trump qui a remis en question l'ALENA (en majuscule svp ce n'est pas une personne hein !) mais à peu près tous les intellectuels du monde. Alors oui la finance n'est pas intello ça on l'avait bien compris mais quand même, arrêtez...

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