Stellantis : à quand le plan de Carlos Tavares ?

Dix mois après la fusion entre PSA (Peugeot, Citroën...) et FCA (Fiat, Chrysler, Jeep, Alfa Romeo...), le groupe Stellantis n'a toujours pas dévoilé sa feuille de route stratégique. Les syndicats commencent toutefois à s'impatienter, tandis que le groupe a d'ores et déjà engagé des mesures très structurantes pour les années à venir. Les enjeux pour Carlos Tavares, patron du groupe, sont immenses. Décryptage.
Nabil Bourassi
Stellantis mise sur la personnalité de Carlos Tavares, véritable gage de performance industrielle et financière aux yeux des marchés, pour se dispenser d'un exercice de communication trop explicite.
Stellantis mise sur la personnalité de Carlos Tavares, véritable gage de performance industrielle et financière aux yeux des marchés, pour se dispenser d'un exercice de communication trop explicite. (Crédits : Reuters)

Le silence commence à devenir pesant. La direction de Stellantis refuse toujours de réagir à la réorganisation d'Opel visant à séparer les sites d'Eisenach et de Russelsheim, désormais tous deux soumis à une autorité différente. Les syndicats de la marque allemande accusent le groupe automobile issu de la fusion entre Fiat-Chrysler et PSA de « démanteler » Opel et de neutraliser le principe de cogestion, véritable dogme de la bonne entente entre syndicats et patronat outre-Rhin. Le mécontentement est tel qu'ils ont même appelé à manifester...

Chez Stellantis, la communication est en service minimum et brandit un prétexte imparable : le plan stratégique n'est pas encore prêt. Dix mois après la fusion, Carlos Tavares planche toujours sur la feuille de route qui doit guider les opérations et les objectifs du nouveau groupe pour les prochaines années.

Rien d'anormal au regard de la configuration d'un groupe de 300.000 salariés, d'autant plus que la communication de Stellantis n'a jamais donné de calendrier. Pour autant, au moment de la fusion en janvier, des cadres évoquaient la fin de l'année. Désormais, les sources proches du dossier que La Tribune a pu joindre, tablent sur le premier trimestre 2022, avec moult précautions...

4e constructeur mondial, coté à Paris, New York et Milan

Même s'il n'y a pas d'urgence au regard des excellents résultats financiers du groupe malgré la pénurie de semi-conducteurs, l'attente du plan stratégique de Carlos Tavares par les investisseurs du monde entier est à la mesure du poids du groupe dans le secteur automobile. Vendant près de 8 millions de voitures par an (hors Covid), Stellantis est en effet le 4eme groupe automobile au niveau mondial et peut se prévaloir de solides positions en Europe (autour de 20% de parts de marché), aux Etats-Unis mais aussi en Amérique Latine (Fiat est numéro un au Brésil). Cette forte internationalisation se traduit par une triple cotation boursière, à Paris, New York et Milan. Autrement dit, les enjeux autour du plan stratégique sont immenses.

Pour les analystes, Stellantis dispose d'autant d'atouts que de faiblesses. Et un plan stratégique doit leur permettre de gagner en visibilité avant de se positionner sur le titre. Ils espèrent en savoir plus sur le rythme de la restructuration que Carlos Tavares souhaite imposer à ses équipes : redéploiement industriel, réajustement des effectifs, rationalisation des sites italiens pléthoriques et sous-utilisés...

L'autre grand sujet qui mérite un éclaircissement concerne les arbitrages industriels qui vont être pris par Carlos Tavares dans un moment de profonde transformation sectorielle. Le resserrement réglementaire en Europe avec des normes de plus en plus sévères (Euro7, objectifs de baisse de CO2, fin des moteurs thermiques...) favorise l'explosion de l'électromobilité, et dans son sillage, l'émergence d'un nouveau modèle industriel porté par Tesla. Stellantis doit ainsi se positionner sur ces nouveaux modèles industriels comme l'a fait Volkswagen en début d'année. D'un côté, l'internalisation de tous les métiers en amont et en aval (le modèle Tesla), et de l'autre, et celui des écosystèmes, à l'image de Renault qui multiplie les partenariats.

Le plan d'électrification d'un montant de 30 milliards d'euros annoncé début juillet témoigne une offensive majeure pour électrifier le groupe, mais n'a pas changé la nature du modèle industriel de Stellantis.

Tout autour, il y a d'innombrables sujets hautement critiques qui nécessiteront également des arbitrages comme les mobilités alternatives, la voiture autonomie ou le financement automobile. Les analystes estiment que Carlos Tavares pourrait annoncer de nouveaux business.

Les défis critiques du logiciel et de la Chine

En fonction du modèle acquis, Stellantis se positionnera différemment dans la chaîne de valeur, mais également dans la prise de risques financiers. Dans cette perspective, l'un des dossiers brûlants reste le logiciel qui pourrait représenter jusqu'à 60% de la valeur d'une automobile en 2030, d'après le cabinet PwC. Volkswagen a décidé d'y consacrer des milliards et des milliards d'euros.

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L'autre volet qui fait frémir tous les analystes est plus prosaïque, mais hautement critique. Carlos Tavares doit révéler son plan de reconquête de la Chine. Le groupe, malgré ses 12 marques, est quasi-inexistant sur le premier marché automobile du monde, pourtant considéré comme incontournable. Il pourrait commencer par racheter les participations de ses partenaires locaux dans les différentes coentreprises sur place. 

La loi chinoise les autorisera effectivement à opérer en Chine sans nouer d'alliances à partir du printemps prochain. Carlos Tavares a longtemps justifié les difficultés des filiales de PSA (Citroën, Peugeot ou DS) sur place par un déficit managérial dû à ces partenaires locaux, souvent guidés par des intérêts politiques intérieurs.

Carlos Tavares devra également expliquer quelles marques seront dédiées à ce plan de bataille. Citroën qui a divulgué en septembre une voiture adaptée aux pays émergents a annoncé qu'elle sera lancée en Inde et en Amérique Latine, mais n'a pas cité la Chine. 

Le groupe pourrait également recourir à des marques premium à la réputation mondiale comme Maserati ou Alfa Romeo, mais leur gamme sont encore en cours de reconstruction et n'ont pas vocation à faire des volumes. Peugeot et Opel ont également vocation à participer à cette guerre, mais là encore, il faudra éclaircir par quels moyens commerciaux et quelle stratégie de gamme.

Des questions se posent également sur le nouveau modèle de distribution que Stellantis veut bâtir en Europe. Le constructeur a récemment dénoncé, non sans fracas, ses contrats avec ses distributeurs. Là aussi, c'est le silence complet. Carlos Tavares veut-il passer à la vente directe en digitalisant davantage la vente de voiture ? Les concessionnaires sont furieux de la brutalité de la méthode, et dénoncent le manque de visibilité de la direction.

Carlos Tavares moins bavard ?

Comment relancer Chrysler aux Etats-Unis ? Quid de l'hydrogène ? Carlos Tavares est attendu sur énormément de dossiers... D'où, probablement, le temps long pour apporter des réponses. Le patron qui a redressé PSA en s'auto-proclamant « psychopathe de la performance » est réputé pour être un patron extrêmement méthodique qui ne laisse rien au hasard. D'autant qu'il marche sur des œufs... 

L'ancien numéro deux de Renault, qui avait participé au redressement de Nissan aux côtés de Carlos Ghosn dans les années 2000, connaît par cœur les points de frictions lors d'une fusion industrielle, et les risques opérationnels qu'ils comportent.

En réalité, Stellantis a été contraint de laisser échapper plusieurs annonces stratégiques qui ne pouvaient plus attendre. Le plus spectaculaire a été le plan d'électrification annoncé en juillet avant d'être complété début août lors des résultats semestriels. Le groupe a également engagé des premières mesures de rationalisation industrielle comme à Turin, fief historique de Fiat qui dispose de plusieurs sites. Ainsi, celui de Mirafiori accueillera les salariés du site de Gruliasco qui, selon toutes vraisemblances, devrait disparaître. L'usine de Termoli (centre de l'Italie) sera transformée en gigafactory de batteries électriques. 

Carlos Tavares n'a pas non plus attendu d'annoncer son plan stratégique pour repositionner plusieurs marques dont Opel qui doit immédiatement monter en gamme pour se positionner face à Volkswagen. Cette même marque doit également basculer dans le 100% électrique, tout comme Abarth, Fiat ou DS, avant la fin de la décennie.

Mais Stellantis pourrait devenir moins bavard que ne l'avait été PSA à l'époque des plans Back to the Race, ou Push to pass (successivement plan de redressement, puis plan de croissance). Le nouveau groupe ne veut plus crier urbi et orbi les ingrédients de sa recette gagnante, largement copiée par les concurrents... Notamment par Renault. 

Stellantis mise sur la personnalité de Carlos Tavares, véritable gage de performance industrielle et financière aux yeux des marchés, pour se dispenser d'un exercice de communication trop explicite. Mais, si les analystes peuvent se contenter de ce gage, les syndicats, eux, devraient être plus exigeants.

Nabil Bourassi

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Commentaire 1
à écrit le 17/10/2021 à 18:11
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Son prochain objectif est de réduire les drastiquement les effectifs. Déjà une usine Opel fermé en Allemagne jusqu'en 2022 et qui pourrait ne pas rouvrir. Le grand ménage va commencer.

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