
Où sont passées les promesses du président-candidat puis du chef d'Etat réélu, de décentraliser la politique de l'habitat ? Qu'en est-il de l'aide aux maires bâtisseurs, relancée entre 2020 et 2022 et remise sur la table mi-mai par le ministre de la Ville et du Logement en personne devant les parlementaires ?
A la lecture des propositions du Conseil national de la refondation (CNR) dédié au logement retenues par Matignon et au regard des déclarations gouvernementales le 5 juin, il est légitime de se poser la question.
« Nous avons un grand chantier à ouvrir : celui de la gouvernance des politiques du logement. L'enjeu, c'est de redéfinir la balance entre les libertés locales - qui doivent grandir - et en même temps la capacité de l'Etat à reprendre les choses en main lorsque la situation l'exige », a déclaré, hier, le ministre Klein.
« Chacun doit prendre ses responsabilités. Si nous ne parvenons pas à lever les blocages, notamment en matière de permis de construire, l'Etat est prêt à prendre les siennes », a appuyé la Première ministre, en clôture du CNR Logement.
Identifier les blocages
A cette occasion, Elisabeth Borne a fait savoir qu'elle avait « chargé » les ministres Christophe Béchu (Transition écologique et Cohésion des territoires) et Olivier Klein (Ville et Logement) de « [lui] faire des propositions dans les prochaines semaines ».
« Je souhaite que les dans les territoires concernés, les préfets engagent un dialogue avec les maires pour identifier les blocages et l'aide que l'Etat pourrait apporter », a poursuivi la cheffe du gouvernement, faisant référence aux engagements d'augmentation du nombre de logements pris par les collectivités dans les programmes locaux de l'habitat (PLH).
« Il est essentiel qu'ils soient tenus », a encore martelé Elisabeth Borne. C'est le cas à la métropole de Rennes (450.000 habitants) où sa présidente (PS) Nathalie Appéré a fixé un objectif de 4.500 logements par an, moyennant 30 millions d'euros de budget annuel. Mieux, l'édile est en train d'adopter un nouveau plan local de l'habitat à 5.000 logements chaque année en gardant la propriété des sols, ne serait-ce que pour maîtriser les coûts de sortie dans le logement libre.
« Si l'on prive les maires de ce qu'est la manière de dessiner le territoire ou si l'on systématise les autorisations d'urbanisme, ce sera un retour en arrière », met déjà en garde Nathalie Appéré.
« Nous voulons regarder là où il y a des difficultés: est-ce des questions financières ? foncières ? de la bonne ou de la mauvaise volonté ? l'absence de promoteurs ? Il y a un écart parfois entre les ambitions et les réalités », réplique ce 6 juin le ministre Klein à La Tribune.
Des déclarations qui passent mal aux yeux des principaux concernés
Toujours est-il que les déclarations successives de l'exécutif passent mal aux yeux des principaux concernés. L'association des maires de France (AMF) pointe ainsi un discours « recentralisateur » voire « particulièrement inquiétant », synonyme de « désaveu » pour les élus locaux. Ces derniers ne sont pas « des freins » à la délivrance des permis de construire, mais « souhaitent » une relance de l'incitation aux maires bâtisseurs « complètement supprimée ».
« Il est essentiel de favoriser l'offre. Pour cela, contrairement à nombre d'annonces d'hier, il est essentiel de décentraliser les politiques du logement et leurs zonages administratifs liés pour relancer efficacement la politique du logement et adapter finement les dispositifs nationaux aux enjeux locaux », écrit, dans une déclaration transmise à la presse, David Lisnard, le président (LR) de l'AMF.
Et ce sachant qu'aujourd'hui, les préfets peuvent déjà délivrer des permis de construire dans les communes carencées en logement social ou celles condamnées au tribunal administratif. Demain, que pourront faire les hauts-fonctionnaires ? C'est l'interrogation qui subsiste du côté des édiles.
« Une partie du discours d'Elisabeth Borne est une mise en accusation des maires au motif qu'ils ne feraient pas leur devoir. Sauf que l'Etat ne sait pas instruire les permis de construire. Il en a déjà repris dans le Val-de-Marne au Perreux-sur-Marne ou à Saint-Maur-des-Fossés mais là aussi, il y a eu des recours », relève Jean-Philippe Dugoin-Clément, maire (UDI) de Mennecy (Essonne) et 1er vice-président de l'association des maires d'Île-de-France (AMIF).
Une mission sur l'exploitation des données sur le logement
La Première ministre a également promis une mission sur l'exploitation des données sur le logement « pour mieux définir les besoins ». Une demande certes exprimée par les acteurs du groupe de travail sur la relance de la construction pour territorialiser l'offre de logements, jugée même « utile » par le maire francilien Dugoin-Clément, mais qui n'aura « aucun impact » sur la crise actuelle.
« Je ne veux plus de mission, je veux du concret. C'est de la réunionite, ça papote et en général, ça ne nous convient pas. Laissons-nous imaginer notre futur avec un dispositif que nous pourrions baptiser ''Village d'avenir'' », s'agace Louis Fautrel, maire « démocrate-rural » du Ferré (Ille-et-Vilaine).
Le retour d'une aide aux maires bâtisseurs ?
Surtout, les élus locaux regrettent l'absence de deux engagements du pouvoir central, à commencer par « une aide qui viendrait alimenter le fonctionnement d'une collectivité locale qui s'engage à construire plus que son point mort », évoquée par le ministre Klein lors d'une audition par la commission des Finances de l'Assemblée le 16 mai.
« Oui, je souhaite qu'on accompagne les maires qui souhaitent augmenter leur population et avoir une production équilibrée entre les différents types de logements. Qu'ils aient une capacité nécessairement plus importante pour accueillir des enfants, des équipements sportifs... Cela fait partie des propositions que l'on aura », avait affirmé l'ex-maire (Divers gauche) de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).
Les exemples ne manquent pas. Dans l'Essonne, à La Ferté-Allais (4.500 habitants) et à Ballencourt (7.500 habitants), les relais d'assistantes maternelles vont fermer leurs portes à la rentrée de septembre car leurs maires n'ont plus les moyens de les faire fonctionner, pris à la gorge par l'explosion des prix de l'énergie.
Désormais, le ministre confie à La Tribune vouloir « valoriser l'augmentation de la population dans les réflexions à mener ». « C'est quelque chose que je n'exclus pas mais avec un objectif de loger et de faire cet effort de construction. L'aide aux maires bâtisseurs ne vaut rien sur la base du nombre de permis. Ce qui compte, c'est l'augmentation de la population, c'est plus d'enfants en école ou en crèche », égrène Olivier Klein.
« Cette aide existe déjà à travers la dotation globale de fonctionnement (DGF), dont le montant est calculé sur la base de la population. C'est aussi le sens du maintien du « Fonds friche », du « Fonds vert » pour les écoles... Le soutien de l'Etat est très présent dans la transition écologique », enchaîne le ministre du Logement.
Le logement est-il toujours un pilier de la réforme institutionnelle ?
Mi-mars, c'est le chef de l'Etat lui-même qui avait pris la parole sur le sujet lors d'un rendez-vous avec les associations d'élus locaux. Conformément à ses engagements de campagne, le président Macron le leur avait confirmé sa volonté de réaliser un « acte fort » de décentralisation de la compétence logement aux intercommunalités et aux communes en leur donnant les compétences et les moyens qui vont avec.
« Le logement devait être un pilier de la réforme institutionnelle et devrait être décentralisé, déconcentré. C'est un virage à 180°C », s'étonne Michel Fournier, maire (Sans étiquette) des Voivres (Vosges) et président de l'association des maires ruraux de France (AMRF).
« Pourquoi ne va-t-on pas plus loin alors qu'on travaille très bien avec l'Agence nationale de l'habitat, un système déconcentré ? Nous maîtrisons le cadastre, connaissons les besoins, libérons du foncier aménagé, bref nous pouvons apporter des réponses concrètes », renchérit Jérôme Baloge, maire « radical » de Niort (Deux-Sèvres), vice-président des Intercommunalités de France chargé du Logement et président du groupe de travail « Transition écologique » de Villes de France.
Peut-on faire mieux et plus vite ?
D'autant que dès mi-février, les cinq plus grandes associations d'élus - l'assemblée des départements de France (ADF), l'association des maires de France (AMF), France urbaine (grandes villes et métropoles), Intercommunalités de France et Régions de France - avaient été reçues par les ministres Christophe Béchu (Transition écologique et Cohésion des territoires), Dominique Faure (Collectivités locales) et Olivier Klein (Ville et Logement).
À la sortie du rendez-vous, le gouvernement Borne avait communiqué sur sa « volonté de discuter sans tabou ni entraves » sur les trois thèmes du Conseil national de la refondation (CNR) dédié au logement : « mieux loger », « construire mieux » et « rénover et bâtir durable ». Trois groupes de travail avaient en effet été mis en place en parallèle de ce dernier : l'un sur les aides à la rénovation, un deuxième sur le zonage et un troisième sur la construction.
« Peut-on faire mieux et plus vite en décentralisant une partie de la politique du logement ? Ce n'est pas une fin en soi, mais ça reste évidemment un chantier sur lequel nous allons continuer à travailler », rétorque aujourd'hui le ministre Klein.
Le président Macron se réserverait les conclusions globales du CNR
Sauf que selon nos informations, ni l'Elysée ni les ministres de l'Hôtel de Roquelaure n'ont revu les édiles concernés contrairement à ce qui était planifié mi-mai. D'aucuns avancent ainsi que le président Macron se réserverait les conclusions globales du Conseil national de la refondation (CNR).
Un dispositif axé sur le bien-vieillir, l'école, le plein-emploi, la santé et la transition écologique qu'il avait lui-même lancé à un autre CNR, le Centre national du rugby, le 8 septembre dernier à Marcoussis (Essonne).
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