« Être une femme est une opportunité dans l'industrie » (Christel Heydemann, Schneider Electric)

INTERVIEW. En cette journée internationale des droits des femmes, la présidente de Schneider Electric France, qui vient d'être missionnée par le gouvernement sur la conciliation du temps familial et professionnel, précise sa feuille de route dans le cadre de la relance écologique et économique du pays. Pour Christel Heydemann, le secteur financier est indispensable pour réussir cette transition.
César Armand
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Quel a été l'impact de la Covid-19 sur votre activité en 2020 et comment envisagez-vous l'avenir près d'un an après le début de cette crise ?

CHRISTEL HEYDEMANN - La France a été un des pays les plus impactés par le choc provoqué par la Covid-19 et le premier confinement. Cela nous paraît loin et, en même temps, cela reste un sujet d'actualité. L'impact s'est ressenti sur les résultats du groupe, avec une baisse de chiffre d'affaires de 4,7% en 2020, bien qu'il faille souligner notre belle performance au second semestre avec deux trimestres successifs en croissance. Schneider Electric a montré la résilience de son modèle et nous continuons à nous adapter à la situation avec deux préoccupations majeures.

La première est de s'assurer que tous nos collaborateurs travaillent en toute sécurité où qu'ils se trouvent. Partout dans le monde, et pas seulement en France, nos usines se sont peu arrêtées grâce au respect des protocoles et à la mobilisation sans faille de nos collaborateurs.

La deuxième est d'accompagner tous nos clients dans cette nouvelle normalité, à commencer par ceux des infrastructures critiques. Nous fournissons des équipements et des services à plus de 40% des hôpitaux dans le monde, à des dizaines de milliers de centrales de traitement de l'eau... Autant de secteurs qui ont été mis à rude épreuve ces derniers mois et que nous sommes fiers de servir.

Le plan de relance de 100 milliards d'euros intime à l'industrie d'être plus verte et plus numérisée. Comment y prenez-vous votre part ?

Nous investissons dans l'innovation pour faire en sorte que tous les produits que nous vendons aient un impact positif sur l'environnement. Ils représentent aujourd'hui 70% de notre chiffre d'affaires et, à horizon 2025, 80%. Nous sommes engagés à atteindre la neutralité carbone sur les scopes 1 et 2 (émissions directes de CO2 et émissions indirectes liées aux consommations énergétiques, Ndlr) dès 2025, et nous travaillons avec nos 1.000 premiers fournisseurs, comme ST Microelectronics qui est aussi notre client, pour le scope 3 (toutes les autres émissions indirectes, Ndlr).

Pour des entreprises comme Faurecia, avec qui nous venons de signer un partenariat, nous faisons du conseil en feuille de route carbone, ou comme Nexans que nous accompagnons dans leur transformation digitale, nous avons une approche systémique. En faisant accéder leurs équipes à des données clés sur l'ensemble de la chaîne de valeur grâce à notre plateforme logicielle, nous améliorons leurs performances opérationnelles et leur efficacité énergétique.

Prendre les bonnes décisions part effectivement toujours de la mesure et des données. Cette crise a démontré l'apport du numérique dans la résilience des organisations, de même que dans l'automatisation de la gestion des infrastructures. Les usines automatisées et pilotées à distances ont été plus résilientes que les usines moins connectées.

Notre modèle d'affaires est porté par nos partenaires de proximité, comme les artisans électriciens, les installateurs, les tableautiers... Nous avons accompagné certains pendant le premier confinement pour la réception à distance de leurs commandes dans nos usines et pour mettre en place ce type de solutions numériques.

Vous avez en outre participé à la « task force » du futur-ex PDG de Saint-Gobain, Pierre-André de Chalendar, sur la rénovation qui a débouché sur le déblocage de 6,7 milliards d'euros. Est-ce à la hauteur des ambitions ?

Le secteur du bâtiment en France représente près de 45% de la consommation d'énergie et près de 25 % des émissions de gaz à effet de serre, il y a donc là un enjeu majeur de décarbonation. Ainsi, s'il y a actuellement un débat légitime autour de la RE2020, je la considère comme une avancée positive pour les bâtiments neufs.

Il est important de se pencher également sur la rénovation du parc existant. Or, pour les particuliers, c'est aujourd'hui d'une complexité sans nom ! Avec les autres experts de la « task force », nous avons notamment recommandé d'élargir Ma Prime Rénov' à l'ensemble des Français, alors que les plus aisés n'y étaient plus éligibles. C'est chose faite. Pour les bâtiments tertiaires et publics, cela fait dix ans qu'on discute du Décret Tertiaire. Pour baisser de 40% les consommations d'ici à 2030, les dernières modalités d'applications sortent enfin. Nous sommes sur la bonne voie, mais nous pourrions aller plus vite.

Qu'attendez-vous justement de la mission confiée à Olivier Sichel, un entrepreneur du numérique devenu numéro deux de la Caisse des Dépôts ?

C'est la reconnaissance que pour accélérer la rénovation des logements, il faut adresser l'enjeu financier et nous avons besoin des acteurs des banques pour accompagner et simplifier le parcours.

A propos de finance, vous avez lancé en 2020 votre première émission d'obligations durables pour un montant nominal de 650 millions d'euros. La finance serait-elle enfin prête à financer la transition écologique ? Les green bonds vont-ils se généraliser ?

Le secteur financier est indispensable à la réussite de la transition écologique. Il n'a sans doute pas pris ce virage le premier, mais il est aujourd'hui de plus en plus mobilisé. La crise de la Covid-19 a en outre accéléré l'attention portée par la communauté financière et par les parties prenantes d'une entreprise aux critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance, Ndlr) et à la performance RSE (responsabilité sociétale des entreprises, Ndlr). Outre les débats autour du projet de loi Climat & Résilience, en cours d'examen au Parlement, nous sommes convaincus que le chemin de la transition écologique passe par cette mobilisation.

Depuis quinze ans, nous publions et communiquons tous les trimestres notre baromètre Schneider Sustainability Impact à nos parties prenantes. Nous venons de faire paraître nos nouveaux engagements 2021-2025. Cette transparence constante nous a permis de réaliser la première émission obligataire liée à des engagements de développement durable. Nous sommes parmi les premiers au monde, mais d'autres suivront.

En ce 8 mars, journée internationale des droits des femmes, seules 5 entreprises du CAC40 comptent plus de 4 femmes à leur comité exécutif. Comment briser le plafond de verre dix ans après la loi Copé-Zimmerman qui impose la parité dans les conseils d'administration ?

Chez Schneider Electric, le comité exécutif est féminin à près de 40%. Saviez-vous que 60% du chiffre d'affaires du groupe est pilotée par des femmes ? Au-delà de ma présidence en France, Barbara Frei dirige les opérations en Europe et Annette Clayton l'Amérique du Nord.

Parmi nos clients et partenaires, je travaille avec de nombreuses femmes dirigeantes. Elles ne sont pas nécessairement aussi visibles que moi, mais être une femme est une opportunité actuellement dans l'industrie.

L'égalité femme-homme est d'ailleurs la grande cause du quinquennat. La promesse est-elle tenue ?

Je ne me permettrais pas de juger ce quinquennat, mais il y a une vraie prise de conscience de la société sur ces enjeux, comme sur la question du harcèlement et tout le débat sur la diversité et la parité dans les entreprises.

Moi-même je suis convaincue que plus les équipes sont diverses, en termes d'âge, de passeport, de background social, et pas seulement en termes de genre, plus elles sont efficaces.

Concrètement, comment y répondez-vous ?

Nous sommes convaincus qu'il est essentiel d'adresser un large champ de pratiques visant à supprimer tous les biais et autres freins entravant une gestion dynamique des parcours de carrière des femmes et notamment leur accès aux plus hautes responsabilités. Cela doit en passer par un fort volontarisme et des ambitions clairement affichées. Nous avons ainsi l'objectif pour 2025 d'atteindre au moins 50% de femmes dans nos recrutements dans le groupe, 40% à des postes de management et 30% parmi nos cadres dirigeants.

Il faut contribuer à changer les représentations des jeunes filles, en intervenant dans les collèges et lycées pour promouvoir les métiers techniques au féminin pour qu'elles se dirigent vers ces métiers, de la même manière qu'il faut donner des clés en interne aux femmes pour qu'elles se sentent à l'aise pour réussir.

Il y a quelques années, nous pouvions considérer cela comme un débat de féministes. Dorénavant, ces sujets sont bien plus sur la table avec des comportements beaucoup moins acceptables comme le sexisme. Si la route parait encore longue, c'est parce que nous partons de loin.

Jeudi dernier, le gouvernement vous d'ailleurs a missionnée avec le sociologue Julien Damon sur la conciliation du temps familial et professionnel. Comment allez-vous orienter votre travail ?

Nous allons écouter et regarder ce qui fonctionne, en France comme à l'international. Nous voulons promouvoir l'égalité femmes-hommes et la conciliation vie familiale/vie professionnelle, en prenant bien en compte les différents contextes professionnels entre petite ou grande entreprise. Le congé parental est aujourd'hui très peu valorisé de façon générale. Nous tacherons de faire des propositions concrètes.

Autre enjeu sociétal et non des moindres : les jeunes, premières victimes de la période actuelle. Comment y répondez-vous ?

L'apprentissage au sein du groupe s'inscrit dans une longue tradition qui n'a fait que se renforcer au fil des années. Notre PDG Jean-Pascal Tricoire s'est mobilisé personnellement dans le cadre des mesures de soutien à l'apprentissage, nous voulons montrer que nous sommes très actifs sur la promotion de l'apprentissage aux nouveaux métiers pas encore couverts par l'Education nationale. Face à la crise, nous avons pris l'engagement d'augmenter fortement notre nombre d'apprentis, nous devrions compter plus de 1.000 alternants en France en 2021.

Lire aussi : Soutien aux jeunes : la Bourgogne-Franche-Comté met 4 millions d'euros sur la table

César Armand

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Commentaires 8
à écrit le 08/03/2021 à 15:51
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Une anecdote qui vous étonnera, dans les jeux de guerre sur internet dits mmorpg, généralement des milliers de joueurs, une personne est le héros le président le général en chef, or ça correspond une gestion de guerre comme dans la réalité, préparer ...

le 10/03/2021 à 6:28
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Étonnant alors que depuis qu'on fait de la discrimination positive dans notre société, la situation de notre pays n'a jamais été aussi mauvaise. Depuis que les recruteurs ont privilégié le profil à la compétence, la situation ne fait que de ce dégrad...

à écrit le 08/03/2021 à 12:50
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Vive les Schneidériennes électrifiées.

à écrit le 08/03/2021 à 10:11
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Je confirme le titre. Dans la grosse societe francaise ou je travaille sont prioritaire pour les promotions les minorités et les femmes. Autrement dit si vous etes un homme blanc vos chances sont tres tres limitees et les femmes sont quasiment assure...

le 09/03/2021 à 9:22
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+1

le 09/03/2021 à 18:25
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Ce que vous dite est vrai , je l'ai vécu professionnellement et cela fait souvent rager car le niveau de compétence de ces personnes qui captent ces' emplois ou promotions crée des situatiions très très injustes et mal vécues par ceux qui en sont le...

le 10/03/2021 à 9:04
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Donc les compétences n'entrent pas en ligne de compte chez-vous, ou alors comme plein de boîtes ou je suis passé, 18 ans en intérim avec déplacements voulus (refus continuel de cdi), il en fallait 2 pour en faire un et encore, d'ou le recours à des i...

à écrit le 08/03/2021 à 8:38
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Oui mais le secteur financier appartient à ce qu'il se fait de pire en matière de conservatisme social. Donc être enthousiaste est une chose, être réaliste en est une autre. C'est dans les années 2000 je crois bien que VOLKWAGEN a offert une femm...

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