Biodiversité : Schneider Electric mesure son empreinte grâce à un outil inédit

L'entreprise a utilisé le Global Biodiversité Score, élaboré par la CDC Biodiversité - filiale du Groupe Caisse des Dépôts -, pour identifier les principales sources de son impact sur la dégradation des écosystèmes. Les résultats serviront à définir sa stratégie pour réduire son empreinte.
Giulietta Gamberini
L'extraction des métaux, et notamment du cuivre, est l'une des sources de l'empreinte sur la biodiversité de Schneider Electric, qui veut ainsi travailler sur sa traçabilité.
L'extraction des métaux, et notamment du cuivre, est l'une des sources de l'empreinte sur la biodiversité de Schneider Electric, qui veut ainsi travailler sur sa traçabilité. (Crédits : Reuters)

Parmi les urgences écologiques, depuis l'Accord de Paris de 2015, le changement climatique avait remporté la vedette. Mais pendant les dernières années, une autre crise majeure s'est progressivement imposée à l'attention générale: le déclin dramatique de la biodiversité, seulement en partie causé par le réchauffement. En raison du Congrès mondial de la nature de l'UICN - Union internationale pour la conservation de la nature - prévu en juin à Marseille, puis de la COP15 Biodiversité de l'Onu programmée en octobre en Chine, l'année 2020 devait d'ailleurs y être en large partie consacrée... si le Covid-19 n'était pas passé par là, en obligeant de tout reporter.

A la différence de la préservation du climat, dont les objectifs et la métrique sont désormais définis et partagés, la protection de la biodiversité se heurte toutefois encore à des incertitudes, portant sur la mesure de la crise comme de ses causes. Une défaillance qui contribue au retard dans la définition des objectifs et des stratégies publiques et privées. Pour les entreprises, elle a engendré jusqu'à présent une difficulté à définir son propre niveau de responsabilité, et donc des actions qui ne soient pas purement anecdotiques. Les recherches avancent toutefois aussi dans ce domaine, et les entreprises s'approprient leurs résultats: c'est notamment le cas de Schneider Electric qui, main dans la main avec la CDC Biodiversité, branche de la Caisse des dépôts et des consignations, vient de mener une expérience inédite.

Un outil de mesure spécifique pour les entreprises

"Tout a commencé en 2019, lorsque nous avons décidé d'élaborer une véritable stratégie opérationnelle en matière de biodiversité, allant au-delà des actions que nous avions déjà engagées en matière par exemple de conservation de l'eau", raconte Xavier Houot, directeur environnement chez Scheider Electric. "C'est alors que nous avons pris conscience de la nécessité de pouvoir mesurer notre empreinte", poursuit-il.

A la recherche d'une expertise sur laquelle s'appuyer, l'entreprise se lance alors dans une revue mondiale des initiatives en cours visant à établir une métrique de la biodiversité, aussi nombreuses que variées en termes d'objectifs poursuivis. Elle finit par choisir d'acheter une prestation de service à la CDC Biodiversité, qui a élaboré un outil de mesure des atteintes à la biodiversité spécifiquement conçu pour les entreprises : le Global Biodiversity Score (GBS).

"Ce sont son caractère scientifique, son adaptation aux besoins des organisations complexes et son approche globale, tenant compte de l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement, qui nous ont convaincus", témoigne Xavier Houot.

Un million et demi d'euros consacrés au GBS

Inspiré par une publication de 2016 de chercheurs hollandais portant sur les liens entre changement climatique et perte de biodiversité, le GBS élargit cette approche aux quatre autres sources de pression sur la biodiversité identifiées par la Convention sur la diversité biologique: la destruction et la fragmentation de milieux naturels, les pollutions, la surexploitation des ressources naturelles et les espèces exotiques envahissantes, explique Antoine Cadi, directeur recherche et innovation à la CDC Biodiversité. Il se fonde sur l'"abondance moyenne spécifique" ou "MSA" ("Mean Specific Abundance"), dont les valeurs varient de 0 à 100%.

"Cette métrique exprime la capacité d'un système de se régénérer à partir de la diversité des espèces présentes et de leur variété génétique. Elle privilégie ainsi une approche fonctionnelle", précise Antoine Cadi.

Son avantage est également qu'elle est élaborée à partir d'une méta-analyse de publications précédentes: elle peut donc être utilisée mondialement sans besoin de mesurer auparavant l'état initial de chaque écosystème -sauf dans certains milieux pour lesquels les publications précédentes sont insuffisantes, comme celui marin.

En trois ans, la CDC Biodiversité a consacré un million et demi d'euros au développement du GBS, validé par un conseil scientifique international constitué par l'Office national de la biodiversité et dont les observations sont partagées sur internet. Afin de s'assurer de sa correspondance à leurs besoin et à leurs pratiques, elle l'a testé auprès d'une trentaine d'entreprises et d'institutions financières. Scheider Electric est toutefois la première à l'avoir utilisé pour évaluer l'ensemble de ses activités et de ses sites, en montrant ainsi que les atteintes à la biodiversité existent bien au-delà des secteurs normalement les plus pointés du doigt ou les plus visiblement dépendants de l'abondance des ressources naturelles, note Antoine Cadi.

L'empreinte due essentiellement à la chaîne d'approvisionnement

En intégrant les données et les modèles déjà utilisés par les entreprises pour construire leurs "bilans carbone", le GBS révèle en effet que la quasi-totalité de l'empreinte biodiversité de Schneider Electric découle de son "scope 3", lié non pas à la fabrication des produits, mais à leur approvisionnement, transport, fin de vie, etc. 70% de cette empreinte est par ailleurs due aux émissions de gaz à effet de serre.

"Cela signifie que nos efforts vers la neutralité carbone à l'horizon 2040, vont aussi avoir un impact positif sur notre empreinte biodiversité", se réjouit Xavier Houot, vice-président responsable du développement durable.

Le reste de l'empreinte biodiversité découle toutefois essentiellement d'un enjeu moins maîtrisé: l'exploitation des ressources naturelles. Deux sources d'approvisionnement en sont responsables: le recours au bois, utilisé pour les emballages et les palettes, et l'extraction des métaux, notamment du cuivre. L'utilisation du GBS ouvre ainsi au groupe un nouveau chantier clé pour une meilleure protection de la biodiversité: l'amélioration de la traçabilité de la chaîne d'approvisionnement.

Lire: Métaux rares (1/3) : doit-on craindre pour l'approvisionnement ?

Un travail à mener sur la traçabilité

L'entreprise compte ainsi commencer par le lancement d'un "programme de travail important avec ses fournisseurs de rang 1", consistant à obtenir davantage d'informations tant sur les emballages que sur les composantes de chaque produit, dans l'espoir de "créer un effet domino" tout au long de la chaîne, explique Xavier Houot. Elle parie aussi sur l'émergence progressive de nouveaux outils de traçabilité digitale et de certification, aujourd'hui encore imparfaits. Une meilleure connaissance de l'origine des divers matériaux permettra notamment de choisir de s'approvisionner là où l'empreinte de la biodiversité est moindre, explique Xavier Houot.

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Le travail déjà engagé pour améliorer le recyclage des métaux comme des emballages, et pour élargir la deuxième vie de tous les produits, profitera en outre non seulement à la réduction des gaz à effet de serre, mais aussi à l'empreinte biodiversité, calcule Schneider Electric. L'entreprise intégrera d'ailleurs le GBS dans son Schneider Sustainability Impact (SSI): son outil de mesure interne des progrès réalisés par le groupe par rapport à 21 indicateurs en ligne avec les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies.

Une "première solution au niveau de la crise" de la biodiversité

"Sa première application par Schneider Electric confirme donc bien l'intérêt principal du GBS, grâce à son aptitude à distinguer entre types de pressions et à les décliner par activités et pays: permettre de définir les actions prioritaires", souligne Antoine Cadi. Afin non pas tellement de noter les diverses performances, ni d'établir des classements, mais d'accompagner l'ensemble des entreprises vers une réduction de leur atteinte, souligne-t-il.

"Le GBS leur permet désormais d'adopter leurs engagements internes et externes en meilleure connaissance de cause: en sachant combien de temps leur objectif final va prendre en fonction des efforts déployés", précise l'expert.

L'espoir est ainsi d'accélérer la transition. "Face à l'ampleur de la catastrophe et à la dépendance de l'économie mondiale des services fournis par la nature, les aires réservées, la nature en ville, ne suffisent plus", estime Antoine Cadi.

"Il faut désormais aborder la biodiversité comme le changement climatique, établir un scénario de zéro perte nette de biodiversité et responsabiliser les acteurs pour rentrer dans une démarche concrète de trajectoire", met-il en garde. "Mais nous devons aller plus vite qu'on ne l'a fait pour le climat", estime l'expert, pour qui le GBS représente une "première solution au niveau de la crise".

Pour en élargir l'utilisation, la CDC Biodiversité a ouvert depuis mai une nouvelle phase, consistant dans la concession d'une licence permettant à des cabinets de conseil de former des entreprises à son utilisation. Elle consacrera également encore 3 millions d'euros à son perfectionnement d'ici 2024.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 3
à écrit le 13/11/2020 à 15:12
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Difficile de comprendre l'impact d'une excellente entreprise de fourniture d'équipements électriques pour les entreprises sur le climat.

à écrit le 13/11/2020 à 10:50
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Le Green Washing a de beaux jours devant lui. La température aussi qui n'en finira pas de monter, les eaux aussi et des catastrophes climatiques en cascade. De la com', toujours de la com' et de la publicité à en vomir.

à écrit le 13/11/2020 à 9:03
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Vous ne trouvez pas que, pour l'instant hein, je suis peut-être mauvaise langue et en fait nos actionnaires milliardaires qui détruisent la planète et l'humanité depuis des décennies machinalement sans y penser ont été frappés brusquement par l'intel...

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