Immobilier : les entrées de ville, le nouveau terrain de jeu des promoteurs pour construire des logements

Décriées aujourd'hui, les « boîtes à chaussures » commerciales mono-fonctionnelles ont le mérite d'offrir des hectares potentiellement reconvertibles sur d'anciennes terres agricoles. Demain, les professionnels de l'habitat neuf, confrontés à la non-artificialisation des sols, en feront leurs fonciers. A condition que le modèle économique suive. Explications.
César Armand
Un supermarché Auchan au sein de la zone commercial du Pontet en Provence-Alpes-Côte d'Azur. (Photo d'illustration)

Mettre fin à l'étalement urbain, synonyme de relégation économique et sociale et de catastrophe climatique. La prise de conscience ne date pas d'hier, mais elle s'est accélérée ces deux dernières années. Depuis septembre 2020 et le lancement du plan « France Relance » à 100 milliards d'euros, le gouvernement déploie en effet un « Fonds friche » - désormais doté de 750 millions - pour aider les acteurs publics et privés à recycler des terrains déjà utilisés. Le texte « Climat & Résilience » de 2021 est, lui, venu inscrire le double objectif de diminuer de moitié l'artificialisation nette des sols dans les dix ans et de la neutraliser à horizon 2050.

 A cela, s'ajoute le « Fonds vert », une enveloppe de 2 milliards d'euros au service des élus locaux dès 2023, dont 300 millions pour abonder le « Fonds friche » d'après le président de l'association des maires de France. Et ce sans oublier le deuxième volet du programme de revitalisation des villes moyennes « Action Cœur de ville » riche de 5 milliards d'euros qui se concentrera, notamment, sur les entrées de ville. Ces « boîtes à chaussures » commerciales mono-fonctionnelles mais bien desservies ont le mérite d'offrir des hectares potentiellement reconvertibles sur d'anciennes terres agricoles.

Une prime à la conversion des surfaces commerciales obsolètes

Sachant que les fonciers disponibles comme ceux-ci sont rares et chers, les promoteurs immobiliers rivalisent d'idées pour se les réapproprier. Directeur général du groupe Altarea, spécialisé dans le développement de commerces, de bureaux et de logements, Jacques Ehrmann propose, par exemple, une prime à la conversion des surfaces commerciales obsolètes sur le modèle de la prime à la casse automobile.

« Cette mesure permettrait en effet de faciliter la mutation de ces emprises au bénéfice d'usages alternatifs dont des logements sociaux, d'aider le commerce physique en réduisant l'offre commerciale de mètres carrés périphériques et de renforcer la densité commerciale des centres-villes », souligne celui qui est aussi président de la Fédération des Acteurs du Commerce dans les territoires.

Le locataire recevrait une prime à la réinstallation dans un centre-ville ou un équipement commercial moderne, sous forme de prime ou de crédit d'impôt. Le propriétaire du local percevrait, lui, une compensation partielle du manque à gagner « provisoire » entre le départ de son locataire et le nouvel usage du foncier. Avec un premier objectif à 1 million de mètres carrés obsolètes, Jacques Ehrmann évalue la mesure à 1,3 milliard d'euros, dont 500 millions financés par le e-commerce.

La construction hors-site pour livrer au milieu des acteurs sur place

« Je suis convaincue qu'une grande partie des fonciers de demain sont les toitures ou les parkings d'aujourd'hui », abonde la directrice générale chargée de l'immobilier chez GA Smart Building, spécialiste de la construction hors-site, une technique qui vise à produire en usine des modules avant de les acheminer in situ. Sophie Meynet imagine déjà plusieurs étages de logements ou de bureaux livrés en quelques semaines/mois sur et/ou à côté de rez-de-chaussée actifs.

« Il s'agit d'une vraie solution pour les acteurs sur place qui s'inquiètent souvent de l'impact d'un chantier de construction sur leur chiffre d'affaires (...) Cela permet au passage de requalifier et de renaturer des espaces qui ont en grandement besoin avec moins de risque de recours », ajoute-t-elle.

200 millions d'euros de deux filiales de la CDC et de Frey

Un phénomène qui devrait s'amplifier avec l'annonce de la Banque des territoires (groupe Caisse des Dépôts), de CDC Habitat - filiale logement de la ''Caisse'' - et de la foncière commerciale Frey. A eux trois, ils viennent de mettre sur la table 200 millions d'euros pour créer une société de portage qui se positionnera, pour une durée de vingt ans, sur des zones commerciales vieillissantes dans les grandes agglomérations tendues en logements.

D'après leurs calculs, il existe en effet 243 zones commerciales en périphérie des 21 plus grandes urbaines françaises d'un total de 55.000 hectares, c'est-à-dire un potentiel de 70 millions de mètres carrés à usages mixtes, soit 1 million de logements.

« Il manquait un outil pour faciliter le déploiement du renouvellement urbain et répondre à l'acquisition foncière tout en supportant les risques et la capacité de ce projet en phase d'investissement. La société se rémunérera avec les loyers des activités encore en place puis en cédant les fonciers réaménagés. Dans une 2e phase, les promoteurs prendront le relais, suivi d'une 3è où des investisseurs acquerront des logements ou des commerces », expliquent, à La Tribune, pour la Banque des territoires (40% du capital), Olga Chaufray, responsable des Investissements immobiliers commerces et Sergio Dias, responsable des investissements du Pôle Immobilier d'entreprise.

2.500 à 5.000 logements

Dès lors que la foncière aura remembré et réaménagé le foncier, elle le cédera avec un cahier des charges précis sur l'exigence environnementale, les certificats et les qualités d'usage aux promoteurs. « Nous mènerons avec eux des opérations en co-promotion et aurons un droit de priorité sur 40% de la programmation des logements », affirme la présidente du directoire de CDC Habitat (30% du capital).

« Notre ambition environnementale est forte : par exemple avec la renaturation partielle de parkings, le traitement d'îlots de chaleur ou la biodiversité. Là réside notre double intérêt à agir : la production d'habitats et la recomposition de quartiers plus attractifs avec de la mixité d'usages », poursuit Anne-Sophie Grave.

« CDC Habitat en qualité d'investisseur pourra avoir un droit de premier regard sur la production de logements. De la même manière pour Frey sur la partie commerce. Soit deux investisseurs potentiels dérisquant ainsi les issues de ces opérations », appuie le Pdg du groupe Frey, Antoine Frey, qui joue déjà ce double rôle d'investisseur et d'aménageur à Strasbourg moyennant 75 millions d'euros.

Avec ce véhicule financier, les parties prenantes pourront « traiter à la fois sept sites différents », dit-il encore, dont trois-quatre sur lesquels Frey a déjà travaillé en amont. Ces projets à dix-quinze ans, dont des premières phases à cinq-six ans, devraient accueillir, à terme, entre 2.500 et 5.000 logements, confie Anne-Sophie Grave, la patronne de CDC Habitat.

Une levée des freins administratifs

Un créneau sur lequel se positionne aussi le Crédit Agricole Immobilier qui déclare son intérêt pour les parcelles en entrées de ville à condition qu'elles soient maillées à un réseau de transport. A ceci près que son approche repose à la fois sur le logement et des produits « plus inclusifs » tournés vers la santé et le handicap, comme un hôtel hospitalier ou un foyer de femmes victimes de violence, souligne Patrice Sauvaget, directeur développement et partenariats.

Reste que les acteurs attendent, encore et toujours, de l'Etat une levée des freins administratifs qui subsistent : les concertations en amont, les recours en aval, et la transférabilité des mètres carrés. « Rendre possible le transfert des droits d'autorisation d'exploitation commerciale au sein d'une zone permettrait à un commerce de déménager dans des locaux nouveaux sans que cela soit considéré en commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) comme des mètres carrés supplémentaires », conclut Antoine Frey.

César Armand

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Commentaires 7
à écrit le 14/12/2022 à 7:20
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Les médias de masse sont ce qu'ils sont. Ils pourraient effectivement être différents mais alors ce ne serait pas pareils. Quant à l'énergie qui pourrait être économisée, cela n'est pas évident car nombreux ont des capteurs solaires dans leur rédacti...

à écrit le 13/12/2022 à 17:04
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Et ne pourrait-on pas penser quelquefois à les (re)transformer en espaces verts dont les villes manquent fortement ?

à écrit le 13/12/2022 à 9:34
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Tout cela est la faute de la privatisation pour ponctionner le capital français en matière de nucléaire au profit de boite de spéculation énergétique qui ont besoin de rareté pour faire encore plus monter les prix.

le 13/12/2022 à 11:09
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Oh oui, lumière céleste, montre-nous la voie du bon goût et du raffinement dont tu es l'ambassadeur universel.

à écrit le 12/12/2022 à 19:22
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Entièrement d'accord avec vous... les employés du secteur textile passent leur temps non pas à travailler mais à se plaindre. Qu'ils aillent en Chine où leur salaire sera de 400€ ou en Corée du Nord où ils travailleront gratis. Comme vous, j'en ai as...

le 12/12/2022 à 23:42
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Un peu facile de critiquer quand on n’ est pas concerné…. Vous on va vous enlever les déductions fiscales que les enfants font bénéficier … responsable du déficit des comptes sociaux du pays - le seul en Europe à pratiquer ce dispositif ….

le 13/12/2022 à 8:56
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Parce qu'il n'y pas de corruption aux mondes des sovjets?

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