Urbanisme : pourquoi la loi sur le Zéro artificialisation nette (ZAN) des sols vire au casse-tête

D'ici à 2032, le rythme d'artificialisation des sols devra diminuer de moitié, avant d'atteindre le "zéro artificialisation nette" (ZAN) des sols en 2050. Si tout le monde s'accorde sur ce double objectif de la loi "Climat & Résilience", l'association des maires de France (AMF) a saisi le Conseil d'Etat sur deux décrets d'application. Le Sénat et l'Union nationale des aménageurs (Unam) ont suivi le mouvement, poussant le nouveau ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires Christophe Béchu à sortir de son silence et à recevoir les élus locaux. Décryptage.
César Armand
(Crédits : Reuters)

La « ZAN » ou « zéro artificialisation nette » des sols ne rend pas zen ceux qui sont chargés de l'appliquer. Au contraire. Depuis un mois, le sujet donne lieu à des passes d'armes entre les maires, le Sénat et le gouvernement.

Acte I : une réglementation stricte depuis la loi  « Climat & Résilience »

Toutes ces opérations qui consistent à « transformer un sol naturel, agricole ou forestier, par des opérations d'aménagement pouvant entraîner une imperméabilisation partielle ou totale, afin de les affecter notamment à des fonctions urbaines ou de transport » font en effet l'objet d'une réglementation stricte depuis la promulgation de la loi « Climat & Résilience » en août 2021.

Considérée, par le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, comme l'une des « causes premières du changement climatique et de l'érosion de la biodiversité », l'artificialisation des sols n'est rien d'autre que la conséquence de l'étalement urbain.

C'est pourquoi le gouvernement a légiféré pour que d'ici à 2032, la consommation totale des espaces à l'échelle nationale ait diminué de moitié, avant d'atteindre la « zéro artificialisation nette » (ZAN) en 2050. Aujourd'hui, le taux d'artificialisation est de 10%, mais devrait s'élever à 14% en 2050, estime la Fabrique de la Cité (groupe Vinci). La réduction doit se faire d'abord à l'échelle régionale puis au niveau local.

Lire aussiPlus de logements neufs, moins de pollution : la difficile équation de l'immobilier à l'heure du « zéro artificialisation nette » (ZAN)

Acte II : le Conseil d'Etat saisi sur deux décrets d'application

Sauf que l'association des maires de France (AMF) a saisi le Conseil d'Etat, le 22 juin, sur deux décrets d'application de la loi « Climat & Résilience » publiés le 29 avril. Le premier décret porte sur les objectifs et les règles générales des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) « en matière de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols » ; le second sur « la nomenclature de l'artificialisation des sols ».

L'AMF reproche au gouvernement de donner « un coup de frein aux dynamiques locales », jugeant que ces deux décrets ont été publiés « dans la précipitation » et « dans une approche de recentralisation rigide ».

Acte III : le Sénat se saisit du dossier

Un point de vue partagé par Jean-Baptiste Blanc. Au nom de la commission des Finances, le sénateur (Les Républicains) du Vaucluse vient de publier, le 29 juin, un rapport de contrôle budgétaire sur les outils financiers en vue d'atteindre l'objet de « zéro artificialisation nette des sols ».

Lire aussiFinancement du « zéro artificialisation nette » (ZAN) des sols : le « zéro pointé » du Sénat au gouvernement

Sur le terrain, le modèle économique reste en effet à définir, écrit l'ex-élu de Cavaillon. Il n'y a, actuellement pas de financement, la pression foncière joue en défaveur des terres naturelles et agricoles et il est généralement moins coûteux de construire des logements neufs que de « reconstruire la ville sur la ville », pointe-t-il. (Cf. vidéo 2'30" ci-après)

Des éléments de langage repris par sa collègue François Gatel lors de la séance de questions au gouvernement du 13 juillet. La présidente (UDI) de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation s'est exprimée sur des décrets d'application « quasi kafkaïens », « qui déforment l'esprit de la loi » et [qui] « nous conduisent collectivement dans une impasse ».

Aussi a-t-elle demandé au nouveau ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires s'il acceptait « la proposition du Sénat de réviser les conditions de mise en œuvre du ''zéro artificialisation nette'' (ZAN) ». En réponse, Christophe Béchu, nommé neuf jours plus tôt, a reconnu « un manque d'information et d'outils pour être capables d'atteindre l'objectif ».

Acte IV: la réponse du ministre Christophe Béchu

« Je vous invite très officiellement à ce que nous nous retrouvions afin, dans le respect de l'objectif fixé, de réfléchir aux modalités de sa mise en œuvre et, peut-être, à la réécriture d'une partie des décrets - pour éviter que, visant un objectif, on en atteigne un autre ! », a ajouté le ministre.

« Pour ma part, je propose que, collectivement, nous tirions des enseignements de la manière dont nous fabriquons la loi. Aucun texte ne devrait être présenté au Parlement sans une étude d'impact complète et systémique, pour que la cohérence des politiques du Gouvernement soit respectée », a répliqué, juste après, Françoise Gatel.

« Nous pourrions également tomber d'accord, monsieur le ministre, sur le fait qu'il est nécessaire de contrôler l'imagination parfois débordante de ceux qui écrivent les décrets d'application, et qui se prennent parfois pour le législateur », a-t-elle ajouté.

« Enfin, nous devons prendre la peine d'écrire ensemble les textes, en amont si possible. Cela nous évitera de passer du temps à les corriger avec les associations d'élus, mais aussi avec les sénateurs », a conclu la présidente de la délégation sénatoriale.

Acte V : les élus locaux reçus au ministère de la Transition écologique

Elle ne croit pas si bien dire. Le sujet est revenu sur la table le 19 juillet lors d'une réunion au ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires entre les ministres Christophe Béchu, Olivier Klein (Ville et Logement), Caroline Cayeux (Collectivités), Dominique Faure (Ruralité) et les onze associations d'élus locaux (*).

A l'ordre du jour : « l'agenda territorial » promis par la Première ministre Elisabeth Borne lors de son discours de politique générale du 6 juillet. Sans surprise, les représentants de l'association des maires de France (AMF) ont sauté sur l'occasion pour évoquer la ZAN des sols ainsi que la « nécessité » de réécrire les décrets et d'obtenir des études d'impact.

« Si nous voulons que nos avis soient entendus, nous ne devons plus être saisis en urgence », explique, à La Tribune, le président (LR) de l'AMF, David Lisnard.

« Le ministre ne touchera pas à la loi, mais regardera comment la rendre applicable sur le terrain », appuie son vice-président délégué (PS), André Laignel.

Lire aussiSobriété énergétique: bientôt au tour des collectivités territoriales


A eux deux, ils ont également réitéré leur demande d'abandonner la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), inscrite dans le programme du président-candidat et confirmée par la Première ministre en vue du projet de loi de finances 2023.

La CVAE rapporte en effet 7 milliards d'euros aux communes, intercommunalités et départements. L'équipe d'Emmanuel Macron a toujours affirmé que ces montants seraient compensés, mais les élus locaux continuent de s'interroger sur le bien-fondé de la mesure.

« S'il n'y a de fiscalité économique et le ZAN, comment peut-on réindustrialiser ? Nous sommes face à des injonctions contradictoires », insiste André Laignel. 
« J'ai agrandi ma zone industrielle de 14 hectares, mais j'ai deux entreprises sur le coup pour 11 hectares. Comment vais-je faire ? » martèle le maire d'Issoudun (Indre).

Lire aussiFinances locales: les collectivités sont-elles vraiment épargnées par l'effort de 10 milliards d'euros ?

Epilogue : le « fonds friche » sera pérennisé dans la loi de finances 2023

Hasard du calendrier, le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires vient de communiquer sur le « fonds friche », lancé justement dans le cadre du plan de relance pour aider les acteurs politiques, privés et publics à transformer des terrains artificialisés.

Sur les 750 millions d'euros prévus d'ici à fin 2022, 121 millions de subventions viennent d'être attribués à 264 lauréats au profit d'un million de mètres carrés de logements, 179.000 m² d'équipements publics et 750.000 m² de surfaces économiques dont près de 200.000 m² de surfaces industrielles. Dès septembre 2021, le chef de l'Etat a confié aux parlementaires le soin de pérenniser le dispositif dans le cadre de la loi de finances 2023.

Dans l'attente des débats au Parlement à l'automne prochain, l'Union nationale des aménageurs (Unam) monte déjà au créneau. Si son président François Rieussec « se réjouit » que Christophe Béchu « ait l'esprit de s'interroger et envisage de remettre en cause les décrets pour atteindre les objectifs », il appelle le ministre à « laisser plus de liberté et d'inventivité aux territoires ».

« Entre la posture jupitérienne et l'abandon des objectifs [2032 et 2050], trouvons une voie opérationnelle », enchaîne-t-il.
Le patron de l'Unam recommande ainsi des contractualisations entre les élus locaux et les opérateurs qui feraient office d'autorisations d'urbanisme. « Sortons des hiérarchies ! », conclut-il.

En réalité, concilier écologie et économie nécessitera rien de moins qu'un vrai choc de simplification. Une gageure au royaume des normes et des réglementations...

Lire aussiPrésidentielle: Macron ou Le Pen, le choc de simplification attendra

_______

[*]

Les onze associations : l'assemblée des départements de France (ADF), l'association des maires de France (AMF), l'association des maires ruraux de France (AMRF), l'association nationale des élus du littoral (ANEL), l'association nationale des élus de montagne (ANEM), l'association des petites villes de France (APVF), France Urbaine (grandes villes et métropoles, Ndlr), Intercommunalités de France, Ville & Banlieue, Villes de France (villes moyennes, Ndlr) et les Régions de France.

César Armand

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 22/07/2022 à 8:54
Signaler
Quand il faudra s'attaquer aux structures routières, cela sera vraiment un problème mais, cela coïncide avec la fin de la voiture et des déplacements inutiles; donc, voyons le coté positif!;-)

à écrit le 21/07/2022 à 19:03
Signaler
Quand on voit la poursuite des construction des entrepôt Amazon et des zones commerciales sur des terres arables la France marche sur la tête depuis 40 ans ….

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.