Bertrand Camus, la consécration d'un Suez-made-man

PORTRAIT. Le successeur de Jean-Louis Chaussade à la tête de Suez est un globe-trotter qui a passé un quart de siècle sur tous les continents pour le géant mondial de l’eau et de l’environnement.
Giulietta Gamberini
Bertrand Camus prend la direction générale de Suez en remplacement de Jean-Louis Chaussade.
Bertrand Camus prend la direction générale de Suez en remplacement de Jean-Louis Chaussade. (Crédits : DR)

Sur ce cinquantenaire qui a fait quasiment toute sa carrière chez Suez, Internet est encore bien avare d'informations : peu d'interviews ni même de citations, à peine quelques données biographiques sur Bertrand Camus qui, ce mardi 14 mai, a pris la direction générale de Suez en remplacement de Jean-Louis Chaussade. À peine apprend-on que, diplômé de l'École nationale des Ponts et Chaussées, il est entré dans l'entreprise en 1994, lorsqu'elle portait encore le nom de Lyonnaise des eaux.

La tentation du grand large

Mais une information importante émerge en filigrane de son CV : de l'Asie du Sud-Est à l'Amérique du Nord, en passant par l'Argentine, Bertrand Camus a vécu la grande majorité de ses 25 ans passés chez Suez à l'international, sur le terrain. L'explication, peut-être, de sa discrétion dans les médias français, mais aussi l'un de ses principaux traits distinctifs.

Fils d'un militaire muté à plusieurs reprises à travers la France, Bertrand Camus s'est en effet habitué depuis l'enfance à changer en permanence de cadre de vie. Après un parcours classique de bon élève, il se rend compte combien le mouvement permanent fait désormais partie de son ADN.

À la BNP, où il s'occupe pendant quelques années de financement de projets d'infrastructures, puis chez Suez, il se découvre une tentation pour l'appel du grand large plus que pour les divers postes qu'une carrière franco-française traditionnelle aurait exigés pour gravir les échelons. « À chaque fois, le prochain départ n'était pas prévu », souligne-t-il. Mais s'il s'est retrouvé aux quatre coins du monde, ce n'est pas par hasard, admet-il : pendant des décennies, partir à l'étranger a toujours représenté son « premier choix ».

Prendre du recul et agir rapidement

Ce parcours encore assez atypique parmi les dirigeants français lui a conféré une connaissance très pointue de l'évolution du marché international de l'eau et des déchets :

« J'ai le sentiment d'avoir suivi le basculement historique, puisqu'après avoir passé beaucoup de temps sur la façade atlantique, mon dernier poste m'a mis davantage aux prises avec l'Asie », résume-t-il.

Une compétence qui, à un moment où « la croissance se situe surtout en Chine, en Inde et en Amérique du Nord », a sans doute joué un rôle important dans sa nomination.

Mais Bertrand Camus, qui se trouvait en Malaisie lors de la crise économique asiatique de 1997, puis, cinq ans plus tard, à Buenos Aires en pleine crise argentine, et aux États-Unis en 2008, lors de la chute de Lehman Brothers, a aussi tiré de son périple une autre expertise bien utile à une époque où, comme il l'analyse lui-même, « la concurrence se fait de plus en plus importante et variée » : une vision assez précise des ingrédients nécessaires pour se sortir de « ces moments où tout peut basculer ».

Tout d'abord, une « discipline mentale », explique-t-il, consistant à se concentrer sur les seuls facteurs sur lesquels on a prise, en évitant de culpabiliser pour ceux qui vous échappent. En deuxième lieu, un savant mélange de capacité à prendre le temps d'analyser avec recul les situations et à intervenir rapidement pour éviter qu'elles ne se dégradent, mais aussi de détermination et d'intuition - qualité, selon lui, que l'on développe particulièrement en vivant à l'étranger, puisque l'on ne connaît pas les codes locaux. Surtout, la nécessité de travailler en équipe :

« Quand on est jeune, on veut tout faire seul. Mais - je l'ai compris dans ma quarantaine aux États-Unis - en situation de crise, on n'a pas le choix : on ne peut pas faire face sans ses équipes. Et une fois que l'on a intégré cette donnée, on devient beaucoup plus ambitieux face aux défis », considère-t-il.

Des équipes qu'il faut aussi savoir respecter, souligne le DG de Suez, en évoquant une leçon apprise de l'ancien PDG de la Lyonnaise des eaux, Jérôme Monod.

Dans la nouvelle phase de sa vie qui s'est ouverte le 14 mai, moins axée sur la curiosité que sur le besoin de donner du sens à un parcours qui était « plus un chemin qu'un projet », c'est donc sur cette expérience particulière qu'il compte s'appuyer, tout en souhaitant « continuer de se développer pour remplir le costume ». Mais aussi, sur la raison principale de sa fidélité à Suez : le sentiment de « faire des choses utiles » - notamment pour assurer l'accès aux services essentiels de populations de plus en plus étendues - et d'être « au cœur des enjeux de la planète ».

Sensible au besoin de sens

Sa vision à l'horizon 2030 - qu'il compte présenter à l'automne - est plutôt claire : face à la récente accélération des appels d'offres à l'étranger, « Suez, qui a déjà fait beaucoup pour diversifier ses modes d'intervention et élargir son périmètre de clients, doit retrouver un esprit de conquête à l'international », estime-t-il. Afin de conserver l'agilité nécessaire pour savoir s'adapter en permanence et aller vite malgré les lourdeurs propres parfois à un grand groupe, il va toutefois aussi falloir « faire des choix », souligne Bertrand Camus. Il envisage donc de revoir le portefeuille du groupe, « afin d'investir sur les activités les plus porteuses pour demain, notamment dans le contexte du changement climatique, et d'abandonner celles pour lesquelles d'autres acteurs ont su trouver des approches plus concurrentielles ».

Mais il mise aussi beaucoup sur une clarification de la culture de l'entreprise, afin de définir une « raison d'être » indispensable selon lui pour « motiver les nouvelles générations, souder les équipes et proposer une vision aux clients ». Au rendez-vous, surtout « des efforts en termes de diversité, notamment de genre mais pas seulement ». Une priorité qui, de la part d'un globe-trotter, ne surprend pas.

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MINI BIO

1991 : obtient son diplôme d'ingénieur civil à l'École des Ponts et Chaussées, puis intègre la BNP.
1994 : rejoint Suez et développe les activités du groupe en Asie du Sud-Est.
2000-2005 : directeur général d'Aguas Argentinas.
2008-2015 : directeur général de la division Amérique du Nord.
2015-2018 : directeur général Eau France.
2018-2019 : directeur général adjoint chargé de l'Afrique, du Moyen-Orient et de l'Asie-Pacifique.
14 mai 2019 : prend ses fonctions de directeur général de Suez.

Giulietta Gamberini

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Commentaire 1
à écrit le 21/05/2019 à 11:00
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Le départ definitif de Mestrallet est certainement une bonne nouvelle qui pourrait enfin permettre de définir une stratégie gagnante.

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