Crise du gaz : le grand retour du charbon en Europe

L'Allemagne, l'Autriche, la Bulgarie, l'Italie, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, et même la France. Tous ces pays européens ont prévu, ou étudient la possibilité, de recourir davantage au charbon afin de sécuriser leur approvisionnement en électricité, alors que l'énergéticien russe Gazprom coupe progressivement son robinet de gaz vers le Vieux Continent. Un retournement de situation pour ces pays qui, avant l'invasion russe de l'Ukraine, entendaient sortir du charbon au plus vite.
Juliette Raynal
La centrale à charbon de Saint-Avold, en Moselle, a été mise en service en 1951 puis fermée en mars dernier. Exploitée par l'entreprise tchèque GazelEnergie elle pourrait redémarrer ponctuellement pour sécuriser l'approvisionnement électrique de la France l'hiver prochain.
La centrale à charbon de Saint-Avold, en Moselle, a été mise en service en 1951 puis fermée en mars dernier. Exploitée par l'entreprise tchèque GazelEnergie elle pourrait redémarrer ponctuellement pour sécuriser l'approvisionnement électrique de la France l'hiver prochain. (Crédits : Jean-Marc Pascolo)

L'invasion russe de l'Ukraine va-t-elle ralentir la sortie du charbon des pays européens ? Si la fin du combustible noir ne semble pas être remise en question par les différents pays ayants pris des engagements en la matière, le chemin vers sa sortie sera, sans nul doute, bien plus tortueux. En effet, l'Allemagne, l'Autriche, la Bulgarie, l'Italie, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, et même la France, ont tous prévu, ou envisagent, de recourir davantage au charbon dans les prochains mois pour faire face à une éventuelle pénurie de gaz russe, qui représentait jusqu'à présent 40% du gaz brûlé par les Vingt-Sept.

Et les annonces se sont musclées ces derniers jours après que le géant russe Gazprom ait annoncé, la semaine dernière, plusieurs baisses de livraisons de gaz via le gazoduc Nord Stream, sur fond de bras de fer entre les pays occidentaux et la Russie dans le contexte de la guerre en Ukraine. Résultat, le débit est fortement réduit vers l'Allemagne, l'Autriche et l'Italie. La France, elle, ne reçoit plus une goutte de gaz russe par pipeline, même si les importations de gaz russe liquéfié par bateaux méthaniers se poursuivent. Et, en avril et mai derniers, Gazprorm avait déjà coupé le robinet de gaz vers la Pologne, la Bulgarie et la Finlande.

Stocker pour l'hiver

Face à cette situation de crise, les pays touchés cherchent à réduire au maximum leur consommation de gaz pendant cette période estivale afin de constituer des réserves pour l'hiver prochain, période pendant laquelle l'absence de gaz russe aura le plus d'effets dommageables compte tenu des besoins en chauffage.

La semaine dernière, le Parlement européen et le Conseil, regroupant les Vingt-Sept, ont d'ailleurs trouvé un accord sur le stockage de gaz. Il prévoit que les Etats membres remplissent leurs réserves à au moins 80% de leurs capacités d'ici novembre. Ce niveau minimum devra grimper à 90% les hivers prochains.

Dans ce contexte extrêmement tendu, de plus en plus de gouvernements se tournent vers le charbon pour produire de l'électricité, en remplacement du gaz naturel utilisé dans les centrales thermiques.

Le charbon étudié comme solution de secours en France

Le gouvernement français, qui prévoyait initialement une sortie du charbon dès 2022, est ainsi en discussions avec l'entreprise tchèque GazelEnergie, propriétaire de la centrale à charbon Emile Huchet, à Saint-Avold, dans la Moselle. Fermée depuis le mois de mars dernier après 71 années d'activité, cette centrale de 600 mégawatts pourrait redémarrer ponctuellement pour sécuriser l'approvisionnement électrique du pays l'hiver prochain, alors que près de la moitié du parc nucléaire tricolore est actuellement à l'arrêt pour diverses raisons, dont un phénomène de corrosion sous contrainte.

Un décret doit fixer les conditions de sa réouverture. Sa publication, selon GazelEnergie, est suspendue à deux éléments : les résultats d'un audit d'EDF sur la disponibilité de son parc nucléaire pour l'hiver 2022/2023, ainsi qu'un rapport de RTE (le gestionnaire du réseau de transport d'électricité) qui doit actualiser ses scénarios prévisionnels pour l'hiver prochain.

Les « travaux de RTE pourraient conclure à l'opportunité d'autoriser le redémarrage ponctuel de cette centrale », confirmait, en mars dernier, l'entourage de Barbara Pompili, alors ministre de la Transition écologique.

Un décret à la rentrée ?

Chaque année, les études prévisionnelles de RTE pour l'hiver sont publiées au mois de novembre, mais compte tenu du contexte exceptionnel, le gestionnaire du réseau prévoit de communiquer aussi en septembre sur un inventaire des solutions existantes permettant de sécuriser l'approvisionnement en électricité de l'Hexagone, et dont le redémarrage de la centrale de Saint-Avold fait partie. La publication du décret pourrait alors intervenir dans la foulée.

« La décision du redémarrage, ou non, de la centrale de Saint-Avold, revient à la DGEC (la Direction générale de l'énergie et du climat, rattachée au ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires, ndlr) », précise toutefois RTE.

Par ailleurs, la centrale à charbon de Cordemais, située en Loire-Atlantique, la dernière en activité dans l'Hexagone, a fonctionné davantage l'hiver dernier, un décret ayant permis de relever temporairement le nombre d'heures de fonctionnement des centrales à charbon pour éviter tout risque de pénurie d'électricité. Les deux tranches de 600 MW, qui composent la centrale, sont actuellement à l'arrêt pour maintenance et doivent redémarrer début octobre pour faire face à la demande électrique, plus intense à cette période de l'année. Au total, chacune devra fonctionner 600 heures, sur la période du 1er mars au 1er décembre.

La fermeture de la centrale, prévue au plus tard en 2026, est conditionnée au fonctionnement à plein régime de l'EPR de Flamanville, dont la dernière ligne droite du chantier ressemble encore à une course d'obstacles.

Redémarrage d'une centrale en Autriche, goût "amer" en Allemagne

Le cas français est loin d'être isolé. Ce lundi soir, les Pays-Bas ont annoncé la levée des restrictions de production électrique au charbon afin de compenser une baisse des approvisionnements en gaz en provenance de Russie.

« Nous levons immédiatement les restrictions de production pour les centrales électriques au charbon de 2022 à 2024 », a indiqué ce lundi le ministre du climat et de l'énergie néerlandais, Rob Jetten, en précisant que les centrales électriques au charbon peuvent à nouveau fonctionner à pleine capacité, au lieu du maximum de 35 %.

En Autriche, l'exécutif a annoncé hier soir le redémarrage prochain de la centrale à charbon située à Mellach, dans le sud du pays. Un revirement pour ce gouvernement, qui entend produire 100% d'électricité d'origine renouvelable d'ici 2030. Actuellement à l'arrêt, la réouverture de la centrale devrait cependant prendre plusieurs mois.

Là aussi, il s'agit de remplacer le gaz russe afin de pouvoir continuer à constituer des réserves, a expliqué le gouvernement alors que le taux de stockage de gaz dans le pays se situait à 39%, à la mi-juin.

En Allemagne, qui jusqu'à présent importait près de 35% de son gaz depuis la Russie, le gouvernement autorise désormais l'utilisation des centrales à charbon dites « de réserve », normalement utilisées qu'en dernier recours.

« C'est amer, mais c'est indispensable pour réduire la consommation de gaz » a réagi le ministre écologiste de l'Economie et du Climat Robert Habeck, tandis que le gouvernement a réaffirmé maintenir son objectif d'abandonner cette énergie polluante en 2030.

Le Royaume-Uni, la Bulgarie et l'Italie misent aussi sur la roche noire

De son côté, Londres avait annoncé, fin mai, se préparer à faire tourner plus longtemps ses centrales à charbon. Le ministre de l'Energie Kwasi Kwarteng a ainsi demandé aux opérateurs des trois dernières centrales à charbon du pays, qui devaient fermer à partir de septembre, de les maintenir ouvertes.

Le gouvernement bulgare, lui, a annoncé en début d'année le report sine die de la fermeture de ses centrales, alors qu'il s'agit de l'un des pays de l'Union européenne les plus attachés au combustible noir. En 2020, le charbon a ainsi fourni près d'un quart de l'électricité nationale. L'Italie n'est pas en reste. En mars dernier, le gouvernement de Mario Draghi a approuvé des mesures d'urgence visant à pallier une éventuelle pénurie de gaz, dont l'option de rouvrir ses centrales à charbon.

Le recours au charbon, compensé par la "chasse au gaspi"

A l'échelle mondiale, tout laisse donc à penser que la production d'électricité à partir de la roche noire devrait atteindre des sommets en 2022, alors même que les quantités d'électricité produites à partir du charbon ont déjà bondi de 9% en 2021, dopées par la reprise économique mondiale. Or, la production d'électricité reste le premier secteur émetteur de CO2 dans le monde, avec 41 % du total des émissions dues à la combustion d'énergie.

Toutefois, Patrice Geoffron, directeur du centre de géopolitique de l'énergie et des matières premières de Paris-Dauphine, se veut rassurant et ne voit « pas à court terme une forte montée des émissions de CO2 en Europe ».

En effet, selon lui, deux phénomènes devraient se contrebalancer sur le court terme : d'un côté, l'impératif de sécuriser l'approvisionnement du système électrique en mettant des options sur des centrales à charbon. Et, de l'autre, l'effet de la hausse des prix des énergies fossiles sur le pouvoir d'achat, qui devrait inciter naturellement les consommateurs particuliers et entreprises à la sobriété énergétique.

Fin mars, le professeur d'économie émettait toutefois un point de vigilance, lors d'une conférence de presse : « Plus de charbon (temporairement, ndlr) pourquoi pas, mais faire sortir de terre plus de centrales à charbon ce serait très problématique ».

Juliette Raynal

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Commentaires 20
à écrit le 22/06/2022 à 8:12
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Le retour des "Gueules Noires" de notre enfance livrant le charbon pour l'hivers!;-)

à écrit le 21/06/2022 à 17:56
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"Crise du gaz : le grand retour du charbon en Europe" Pas grand-chose a la TV sur ce sujet.

le 22/06/2022 à 8:15
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il suffit que l'allemagne decide et les ecolos disent merci et m macron aussi son impresionant silence en tand que president de l'europe souligne qu'il se tape des francais

à écrit le 21/06/2022 à 14:12
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La guerre en Ukraine n'est pas le souci de nos verts, mais les réalités sont têtues, pas de commentaire des verts qui préfèrent peut-être Poutine ? La campagne électorale à zappé sur l'Ukraine, les pro russes NUPES se sont faits petits, pas bon élect...

à écrit le 21/06/2022 à 9:42
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Adieu vielle Europe, que le diable t'emporte, c'était pourtant bien.... C'est qui le patron de ce bazar??

le 21/06/2022 à 10:13
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Les USA à l'aide de tous leurs sbires euro-atlantiques et européistes qui nous vendent cette soupe...

à écrit le 21/06/2022 à 9:10
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On veut nous faire isoler les logements, acheter une voiture électrique, bref , culpabiliser en permanence. Pendant ce temps là, les allemands vont polluer massivement l'Europe avec leur charbon. En plus, ils s'opposent au nucléaire , seule énergie q...

à écrit le 21/06/2022 à 8:30
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Les sanctions contre la Russie sont une aberration écologique.

le 21/06/2022 à 10:39
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Il ne fallait rien faire ????

le 21/06/2022 à 14:20
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Il ne faut pas compter sur les boulets d'EDF pour mettre en route leur satané EPR de Flamanville 3

le 22/06/2022 à 6:19
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@Marc, il fallait faire respecter les accords de Minsk, comme convenu en temps et en heure, et ne pas mépriser la Russie.

à écrit le 21/06/2022 à 8:21
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Pas de souci, on brûlera du charbon "vert" et on plantera des arbres pour compenser

à écrit le 20/06/2022 à 23:40
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Deux questions France a 56 reacteurs nucleaire mais elle a besoin d'une centrale aux charbons pk?Deuxiemme question pk les tcheques conduisent les centrales en France.E le dernier question pk tout les centrales aux charbons sont en Alsace cette regio...

le 21/06/2022 à 7:14
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le silence de m macron sur le retour des central a charbon en europe signifie une fois de plus que ce president fait tout ce qu'il peu pour pénaliser les francais et leur compliquer la vie

à écrit le 20/06/2022 à 21:30
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C'est cool , vu que je dois me séparer de ma chaudière au gaz super performante que j'ai acheté pour remplacer ma salamandre Godin au charbon pour cause de difficultés à trouver du boulet et de la houille , je suis ravi car le gaz ,il y a pratiquemen...

à écrit le 20/06/2022 à 20:36
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Bonjour, Malheureusement avec cette guerre en Ukraine et les sanctions économiques qui est découlent, s'était sûr que le Park des centrales a charbon aller fonctionner a pleins régime... Seul les imbéciles aurait crus une autres histoires.... Main...

à écrit le 20/06/2022 à 19:29
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La transition énergétique et les réunions COPs, le plus gros morceau de pipeau qu'ait joué l'état profond en Europe

à écrit le 20/06/2022 à 19:05
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Ben quoi, on ne mise plus sur les ENR ??? L'Allemagne a dépensé 600 Md$ dans ces énergies pour une puissance installée de 130 GW, 2 fois le parc nucléaire français. Magnifique résultat d'une ineptie politique et surtout technique. Prise de conscience...

le 21/06/2022 à 9:36
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Puissance installé ne veut pas dire puissance produite et encore moins puissance réelle fournie chez le consommateur, c'est bien le problème de l'éolien et du solaire qui en réalité ne donne que 20% de la puissance installé en fin de ligne du fait de...

le 21/06/2022 à 9:46
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Les ENR ne fonctionnent que si elles sont adossées à de puissantes centrales pilotables. Quant à leurs puissances produites elle est de l'ordre de 30% de la puissance installée et encore en intermittent.

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