Déchets : Suez se met à l'upcycling grâce à TerraCycle

L’approche originale développée dans le traitement de déchets par TerraCycle, a séduit le géant français du recyclage, qui a dévoilé à La Tribune son acquisition de 30% de la filiale européenne de l'entreprise, qu’il accompagnera dans les six pays où elle est présente (Belgique, Finlande, France, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède). Jean-Marc Boursier, directeur général adjoint de Suez en charge des activités recyclage et valorisation Europe du groupe, détaille l'intérêt de l'opération.
Giulietta Gamberini
Tout en partageant la même vision de l'avenir, nous sommes complémentaires : d'une part une startup petite et agile, de l'autre un leader mondial avec une clientèle et une capacité établies à gérer les flux , souligne Jean-Marc Boursier.
"Tout en partageant la même vision de l'avenir, nous sommes complémentaires : d'une part une startup petite et agile, de l'autre un leader mondial avec une clientèle et une capacité établies à gérer les flux ", souligne Jean-Marc Boursier. (Crédits : DR)

La Tribune - Comment le partenariat que vous venez de conclure avec TerraCycle s'inscrit-il dans votre stratégie ?

Jean-Marc Boursier - Il y a trois ans, Suez a décidé de faire évoluer sa stratégie et ses perspectives, en abandonnant l'ancienne logique d'élimination des déchets pour privilégier leur valorisation en tant que matière et source d'énergie. Nous abordons aujourd'hui les déchets comme une ressource présentant cinq atouts : abondants, bon marché, transportables, stockables et durables. Des 26 millions de tonnes que nous traitons chaque année en Europe, 8 sont d'ores et déjà recyclées et 8 de plus sont transformées en électricité, chaleur ou vapeur. Puisque le meilleur déchet est celui que l'on ne produit pas, avant de traiter les déchets de nos clients, nous les conseillons aussi sur la façon de faire baisser leur volume à la source. La loi de transition énergétique a d'ailleurs fixé en ce sens un objectif précis : réduire les déchets ménagers d'au moins 1% par an entre 2010 et 2020.

Avec TerraCycle, nous allons développer un autre volet de la valorisation des déchets, dont la startup est experte : l'upcycling, à savoir la transformation du déchet en un produit "plus noble" que celui d'origine. Plusieurs exemples de produits upcyclés existent déjà, notamment dans les secteurs de la mode et du design. Cela nous permet de proposer une offre plus complète à nos clients, en mettant de plus en plus l'accent sur la valeur créée par notre mission plutôt que sur les volumes collectés, trop dépendants de la croissance de la production et du marché. Tout en partageant la même vision de l'avenir, nous sommes complémentaires : d'une part une startup petite et agile, de l'autre un leader mondial avec une clientèle et une capacité établies à gérer les flux.

Jean-Marc Boursier

Jean-Marc Boursier, directeur général adjoint de Suez

Pourquoi cette entreprise américaine ?

Son créateur, Tom Szaky, a su trouver une solution rendant recyclables des produits qui ne sont pas recyclés, soit en raison de difficultés techniques, soit car ils génèrent des quantités trop faibles pour justifier leur tri, voire requièrent la construction d'une usine de traitement spécifique qui serait non économique. Il a compris que se lancer dans une telle aventure avait néanmoins un intérêt pour les marques qui, en valorisant leurs propres déchets, améliorent leur image, ainsi que pour les villes, qui montrent leur capacité à valoriser des déchets symboliques comme les mégots de cigarettes ou les chewing-gums.

Lire: Les pionniers du green (8/8): TerraCycle s'attaque aux déchets qu'on dit "non-recyclables"

Mais TerraCycle n'est pas la seule startup qui vient nous aider à étoffer notre offre. Récemment, nous avons investi dans d'autres entreprises françaises: Reco, par exemple, qui installe des collecteurs de bouteilles en plastique au sein des grandes surfaces partenaires. SigrenEa, entreprise d'Orléans conçoit des capteurs en temps réel de remplissage des poubelles. Ces innovations répondent parfaitement à une demande croissante de nos clients : être informés sur leur volume de déchets, qu'ils considèrent comme une mesure de l'efficacité de leur processus. Elle devrait également nous permettre de fournir un service mieux calibré sur le besoin réel, en optimisant nos activités de logistique.

Quelle place occupe le digital dans l'industrie moderne des déchets ?

Le numérique est essentiel pour le développement de nouvelles offres de services personnalisées, comme la collecte de déchets spécifiques et occasionnels des particuliers, voire le développement de plateformes mettant en contact nos deux types de clients : ceux qui produisent des déchets, de nature très différente d'ailleurs, et ceux qui utilisent ces ressources matérielles et énergétiques. Il renforce également la traçabilité des déchets requise par la réglementation.

Comment cet élargissement de l'offre s'insère-t-il dans votre stratégie en matière de traitement des déchets ?

Nous voulons augmenter encore le taux de valorisation. L'objectif ambitieux fixé par la loi de transition énergétique est de 65% en 2025. Les enjeux environnementaux d'une telle approche sont énormes : par exemple, réutiliser une tonne de déchets en plastique signifie économiser cinq barils de pétrole. En sachant que l'Europe consomme en moyenne 50 millions de tonnes de plastique par an, cela équivaut à 250 millions de barils de pétrole dont on pourrait se passer, soit un tiers de la consommation annuelle française. Nous nous devons de le faire comprendre à nos clients.

La valorisation des déchets, plus vertueuse si l'on raisonne en boucle courte, génère par ailleurs d'importants bénéfices sociaux, puisqu'elle permet la création d'emplois locaux non délocalisables. Cette transformation est de surcroît inévitable face à l'accroissement de la population mondiale, à l'urbanisation, à l'épuisement des ressources naturelles.

Quels sont les principaux obstacles que vous rencontrez sur ce chemin ?

Le levier du recyclage consiste dans le développement de technologies le rendant économiquement viable. Et de ce point de vue, si certaines filières comme celles du papier, du verre et des métaux ont trouvé leur équilibre, le traitement du plastique reste compliqué. Globalement en Europe, seulement 8% des plastiques utilisés proviennent de polymères recyclés. Des 400.000 tonnes que nous collectons en Europe, nous parvenons aujourd'hui à en recycler 150.000, essentiellement dans le cadre d'un cycle "plastic to plastic". Les types de matériaux utilisés par l'industrie de l'emballage évoluent en effet en permanence. Les industriels, qui en Europe paient une éco-contribution en fonction du poids de leurs emballages, cherchent en conséquence des conditionnements de plus en plus légers. Le polystyrène - le plastique des pots de yaourts -, les multi-couches - comme le polytéréphtalate d'éthylène recouvert d'une strate de noir de carbone utilisé pour les nouvelles bouteilles de lait - ou encore le silicone, gagnent du terrain, alors qu'il n'y a pas encore de solution technique rentable pour les isoler ou les transformer.

Tout cela rend nos investissements risqués.  J'en appelle aux producteurs d'emballages à penser à l'éco conception de leurs produits avant de les mettre sur le marché. La baisse des cours du pétrole est aussi un défi, puisqu'elle rend les produits vierges moins onéreux que les produits recyclés - dont les coûts sont fixes.

Comment encourager le recyclage ?

Nous demandons aux politiques deux types de mesures incitatives. La première est l'introduction d'un prix du carbone qui, en donnant un prix aux externalités, rééquilibrerait la comparaison entre plastique vierge et recyclé. On s'accorde généralement pour dire qu'un prix aux alentours de 30 euros la tonne déclencherait un cercle vertueux. Quant au deuxième type de mesures, il s'agit de celles susceptibles d'inciter non seulement les citoyens à trier, mais surtout les consommateurs à acheter des produits recyclés. Nous suggérons la création d'un vrai écolabel permettant de connaître le pourcentage d'un produit recyclé, ainsi que la réduction, voire l'élimination, de la TVA pour les produits provenant du recyclage à plus de 50%.

La tarification incitative, proportionnelle à la quantité de déchets produite, qui aujourd'hui ne concerne que 5 millions de Français, peut aussi avoir un impact positif. Selon la loi de transition énergétique, elle devrait concerner 25 millions de Français dans 10 ans. Suez propose une offre de solutions intelligentes pour les collectivités locales dans cette perspective, grâce à des poubelles intelligentes et des véhicules équipés de systèmes de pesée embarquée.

Aux Etats-Unis, il existe des machines qui restituent quelques centimes pour chaque canette rapportée...

Outre-Atlantique, le moteur du changement est souvent d'ordre financier. En Europe, on préfère miser sur la régulation: des directives européennes fixent des objectifs minimaux que les Etats membres peuvent seulement rendre plus contraignants. La collecte des déchets résiduels est néanmoins financée par les collectivités locales, celle de l'emballage par les industriels, et donc chacun recherche la performance économique.  Mais il conviendra à l'avenir de bousculer nos habitudes de consommation et de tri à la source.

Que pensez-vous justement du fonctionnement des éco-organismes et de l'ouverture de la concurrence vis-à-vis d'Écoemballage qui s'annonce à partir de 2018 ?

Je suis favorable à l'existence et au fonctionnement des éco-organismes car leur mise en place a été vertueuse. Je ne suis en revanche pas favorable à une ouverture de la concurrence dans le cadre du même flux car l'expérience d'autres pays en a montré les limites : une baisse des éco-contributions et une plus grande confusion dans les statistiques publiques. Les cahiers des charges des éco-organismes doivent toutefois être très clairs. Il est surtout nécessaire de revoir les barèmes en aval, à savoir l'utilisation des budgets. La priorité devrait être donnée au financement de nouveaux centres de tri, plus grands et plus modernes que les anciens, car plus efficaces.

Lire: Tri des déchets : Paprec saisit au bond la balle de l'industrialisation

La combustion des déchets pour produire de l'énergie, critiquée pour son caractère polluant, pourrait-elle laisser entièrement la place à la valorisation matière ?

L'objectif de zéro déchets résiduels et de 100% des déchets revalorisés est tout à fait atteignable en Europe : les pays scandinaves ont déjà atteint le taux de 94%. Je suis convaincu que, pour nos enfants, le stockage des déchets sera aussi archaïque que l'idée de jeter ses ordures par la fenêtre comme au Moyen Age... Quant à la répartition entre revalorisation matière et énergie, elle va surtout dépendre des besoins énergétiques de chaque pays. Dans les pays scandinaves notamment, le taux de valorisation énergétique augmente, sans pour autant suffire : ils en sont arrivés à importer des déchets du Royaume-Uni notamment! Outre-Manche, également, il y a de fortes probabilités que, après le Brexit, la valorisation énergétique des déchets augmente.

Dans d'autres pays, comme la France, qui ont moins besoin de nouvelles sources d'énergie, la valorisation matière l'emportera. Aujourd'hui le taux de recyclage des déchets ménagers est environ de 40% chez nous. Selon l'Union européenne, l'objectif est de passer en dix ans à 65% de valorisation matière et 25% de valorisation énergétique en 10 ans, ce qui demanderait de 6 à 7 milliards d'euros d'investissements dans l'Hexagone. Nous continuerons cependant sans doute de brûler des déchets : quatre nouvelles usines de valorisation énergétique de Suez seront d'ailleurs opérationnelles avant la fin de l'année, trois en Grande-Bretagne et une en Pologne. Mais un changement s'annonce : le basculement progressif de la production d'électricité vers des énergies locales comme la vapeur ou la chaleur. L'électricité ne viendra qu'en complément en cas de besoin. Je suis persuadé que cela participera à une logique de relocalisation de l'énergie. Dans les territoires, les collectivités disposeront donc de ressources qu'ils pourront affecter librement, avec une plus grande visibilité des résultats. Cela demandera bien sûr des réformes législatives...

Comment voyez-vous évoluer l'industrie des déchets dans les années à venir ?

Le domaine des bio déchets va prendre de plus en plus de place. En Europe, ces déchets représentent aujourd'hui entre 15 et 20 millions de tonnes, provenant des ménages, des collectivités locales, des industries agroalimentaires ou de la grande distribution (donc sans compter les déchets agricoles). On peut déjà  produire du biogaz, tout à fait concluant, par la méthanisation. Deux modèles se dessinent : la collecte sélective, mais aussi la production de biogaz et de compost à partir de déchets résiduels, donc mélangés. Nous venons de lancer un test en ce sens à Montpellier. Dans l'avenir, on pourra également produire des nutriments animaux et des fertilisants agricoles.

Quant au plastique, après le recyclage "plastic to plastic", les recherches portent aujourd'hui sur "plastic to fuel", à savoir la production de carburant. Mais un autre horizon se profile, celui du "plastic to chemicals" : la production de composants chimiques, comme l'alcool, pour l'industrie. A chaque fois qu'on créé un flux, il faut se demander jusqu'à où l'on peut aller dans son utilisation.

Giulietta Gamberini

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