Quels investissements permettront d'atteindre la neutralité carbone en 2050 ? A l'heure où Bruxelles planche sur la question, par la mise en place d'une future taxonomie qui flécherait les financements vers des activités « vertes », EDF plaide pour intégrer le nucléaire - qui émet peu de CO2 - dans la classification.
« On appelle à ce que [celle-ci] soit neutre technologiquement, qu'elle soit basée sur une approche scientifique et rigoureuse. Aucune technologie bas carbone ne devrait être écartée, alors qu'il y a urgence », a déclaré Carine de Boissezon, directrice du Développement durable de l'entreprise, lors d'une conférence de presse ce jeudi 8 avril.
Car pour l'instant, la place de l'énergie atomique sur cette fameuse liste n'est pas encore tranchée. Fin avril, la Commission européenne doit détailler dans un acte délégué - l'équivalent en droit européen d'un décret d'application - les critères précis de la taxonomie, de manière à répertorier les secteurs d'activité les plus vertueux pour le climat. Si le nucléaire n'y figure pas encore, « la Commission va statuer dans les prochains mois », a expliqué Carine de Boissezon. De fait, il fait encore l'objet d'évaluations d'experts, pour s'assurer que cette énergie contribue bien à l'un des grands objectifs environnementaux européens.
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Des enjeux conséquents
Alors, depuis des mois, le nucléaire et le gaz jouent des coudes pour en faire partie. « Nous attendons un acte délégué plus tard qui inclura le nucléaire. [...] Nous espérons que sa contribution dans sa lutte contre le changement climatique sera reconnue », a souligné la directrice du Développement durable d'EDF. Et de couper court à la comparaison avec le gaz naturel : « On ne peut pas les mettre dans le même panier. Le nucléaire n'émet que 12 gCO2/kWg, contre 400 pour le gaz ! »
« L'Union européenne reconnaît l'impact positif de cette énergie dans la lutte contre le changement climatique. A priori, il a été validé par le centre de recherche européen, car il n'a pas plus d'impact que les autres énergies retenues. Le seul enjeu étudié porte sur la problématique des déchets nucléaires », a signalé Carine de Boissezon.
Pour le fournisseur d'électricité, les enjeux sont considérables. La décision jouera sur sa capitalisation boursière et l'attractivité de ses financements. Et donc sur sa compétitivité à l'heure où plusieurs pays comme la Pologne, la République tchèque envisagent de passer au nucléaire. En se basant sur les dépenses en capital, sa compatibilité avec les critères de la taxonomie serait de 43 % si le nucléaire était exclu, contre 96 % dans le cas contraire. « Si l'on veut réussir la transition énergétique, on aura besoin d'investissements importants. Ce n'est pas intelligent de nous rajouter des obstacles, avec un coût supplémentaire pour la collectivité », a fait valoir Bernard Descreux, directeur financement et trésorerie chez EDF.
Concurrence étrangère
EDF est loin d'être seul à défendre le rôle de l'énergie nucléaire dans la transition vers la neutralité carbone. Fin mars, les chefs d'Etat et de gouvernement de sept Etats européens, dont la France, avaient lancé dans une lettre adressée à la Commission un « appel d'urgence pour assurer des règles du jeu équitables pour l'énergie nucléaire dans l'UE, sans l'exclure des politiques et des avantages climatiques et énergétiques ». D'autres pays comme l'Allemagne et l'Autriche s'y étaient opposés.
« En Chine ou au Canada, des taxonomies existent et reconnaissent le nucléaire comme une énergie durable. Et les Etats-Unis lui ont également donné ce statut », a défendu Carine de Boissezon. Dans ce contexte, le PDG d'EDF, Jean-Bernard Lévy, avait dit craindre qu'en cas d'exclusion de l'énergie atomique, « les seules centrales nucléaires qui seront construites dans l'Europe des Vingt-Sept ne pourront l'être qu'avec des financements de banques russes, chinoises ou américaines ». « Pour une industrie qui a autant d'impact positif au niveau des emplois, à l'heure où on s'intéresse aux enjeux de relocalisation, il serait intéressant de l'associer avec le financement compétitif qui va avec », a ajouté Carine de Boissezon.
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La question divise également les ONG environnementales. « Stop à l'offensive du gaz fossile et du nucléaire contre la taxonomie verte européenne », demandait fin mars le Réseau Action Climat, appelant le gouvernement à s'y opposer publiquement. Mais le 2 avril, 46 associations avaient interpellé la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, afin d'y inclure l'énergie atomique, regrettant que l'Union européenne reste dépendante des combustibles riches en carbone.
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