Le président de RTE, l'organisme chargé d'équilibrer à tout moment l'offre et la demande d'électricité en France, peut souffler. L'histoire qu'il devait raconter à la presse à l'occasion du bilan de 2022, ce jeudi 16 février, aurait pu être tout autre. Mais plutôt que de coupures de courant ou de délestages en série, il y a été question de « résilience » et de « sécurité d'approvisionnement garantie ». Car l'Hexagone a déjoué les pronostics les plus sombres, et clôturé l'année sans accroc... ou presque.
De fait, malgré les signaux d'alertes, le système a tenu : RTE n'a pas dû se résoudre à réduire brusquement la puissance d'un site, ou à couper l'électricité dans certaines zones. Et ce, notamment, grâce à une baisse de la consommation, en particulier au dernier trimestre (-9% par rapport à l'année précédente à la même période).
La déroute du parc nucléaire
La France a ainsi pu éviter de justesse un scénario noir, malgré une faiblesse historique de sa production d'électricité. En 2022, celle-ci s'est effondrée à « son plus bas niveau depuis 1992 », quand le pays comptait neuf millions d'habitants en moins qu'aujourd'hui, a rappelé RTE ce jeudi. Et la guerre en Ukraine, qui a bouleversé les marchés de l'énergie en Europe comme ailleurs, n'a pas grand-chose à voir avec cette débâcle.
En effet, la raison tient d'abord dans l'état des centrales nucléaires, primordiales pour la sécurité d'approvisionnement de l'Hexagone puisqu'elles produisent, en temps normal, près des trois quarts de son électricité. Fin 2021, EDF a découvert un défaut de corrosion dans plusieurs de ses réacteurs, sur des tuyauteries cruciales pour la sûreté. Le groupe a donc enclenché une vaste campagne de contrôle et réparation, qui sont venues s'ajouter à un lourd programme de maintenance déjà retardé par le Covid. Dans ses conditions, le taux de disponibilité du nucléaire a ainsi chuté à 54% en 2022, contre 73% en moyenne sur la période 2015-2019. Résultat : l'atome n'a fourni que 279 térawattheures (TWh) sur l'année, soit 82 TWh de moins qu'en 2021. Un niveau de production « très bas », et d'ailleurs « jamais atteint depuis la fin du développement du parc existant », au début des années 2000, a souligné RTE.
Pour ne rien arranger, la deuxième source d'électricité du pays, l'hydraulique, a également atteint son niveau le plus bas depuis 1976. « C'était l'année la plus sèche au moins depuis 1959, avec une pluviométrie en retrait de 25% sur l'année », a-t-on justifié chez RTE. Dans le détail, les barrages n'ont produit que 49,6 TWh, contre 61,6 TWh en moyenne entre 2014 et 2019 (environ -20%).
Destruction de la demande ou sobriété ?
Reste qu'en parallèle de cette chute de l'offre, la demande a, elle aussi, diminué. Celle-ci a perdu 1,7% en moyenne par rapport à 2021, année qui signait déjà un repli significatif de la consommation par rapport à l'« ère pré-Covid ». Et paradoxalement, les bouleversements sur les marchés de l'énergie liés à la guerre en Ukraine ont probablement contribué à la sécurité d'approvisionnement de la France, la flambée des prix ayant dissuadé certaines entreprises de consommer. « Il est évident que l'effet prix a eu un impact important, surtout pour l'industrie », a d'ailleurs confirmé jeudi le patron de RTE, Xavier Piechazcyk. Preuve en est : dès l'automne, l'organisme a enregistré une baisse de la consommation « notamment sur la chimie, la métallurgie et l'industrie, avec jusqu'à -20% entre septembre et décembre ». Et sur le seul mois de décembre, l'industrie a réduit sa consommation d'électrons de pas moins de 12%.
Sans surprise, si ces comportements permettent de limiter les risques de coupure, ils traduisent surtout les difficultés profondes que traversent le secteur. « Cependant, il faudra plusieurs mois de recul pour déterminer dans quelle mesure ce phénomène a été subi plutôt que choisi », expliquait début janvier à La Tribune Jacques Percebois, économiste et directeur du Centre de Recherche en Economie et Droit de l'Energie (CREDEN). De son côté, RTE s'est dit jeudi « confiant » sur le fait qu'il y a « aussi eu des effets de sobriété » de la part des entreprises et des particuliers, notamment grâce à la campagne de sensibilisation du gouvernement (le fameux « J'éteins, je baisse, je décale »).
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La France a pu compter sur l'électricité allemande
Le phénomène n'aura cependant pas suffi à éviter le recours accru aux énergies fossiles afin de générer plus d'électricité et compenser la déroute du nucléaire et de l'hydraulique. Notamment des centrales à gaz, malgré l'envolée des prix de ce combustible polluant. « La filière a été particulièrement sollicitée [...] et a fourni 44,1 TWh contre 32,9 l'année dernière », a ainsi précisé RTE.
Néanmoins, malgré les tensions, une bonne nouvelle est à noter: la production de charbon, en chute continue depuis une décennie, n'a pas connu de regain à la faveur de la crise, comme en Allemagne (où 27 centrales ont pu reprendre du service). Dans l'Hexagone, celle-ci a même « marqué un recul par rapport à 2021 », a noté RTE. Et ce, en dépit de la prolongation de l'activité de Saint-Avold (Moselle) et du rehaussement des seuils de durée autorisée de fonctionnement des centrales, qui avait inquiété de nombreux observateurs. En 2022, l'or noir ne représentait ainsi plus que 0,6% de la production nationale d'électricité du pays.
Il n'empêche, la France a largement bénéficié du courant charbonné allemand pour passer l'année sans (trop d') encombres. De fait, afin de compenser ses propres défaillances, le pays est devenu importateur net d'électricité en 2022. Une première depuis 1980, signe que l'électricité abondante et bon marché qui a longtemps fait la fierté de l'Hexagone en Europe n'est plus acquise, loin de là.
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