Samedi dernier, dans les colonnes de Ouest-France, Emmanuel Macron s'est montré catégorique. À la question : «doit-on craindre des coupures d'électricité l'hiver prochain ?», le président réélu a affirmé : «Il n'y a aucun risque de coupure parce que quand il y a des besoins, on s'approvisionne sur le marché européen». Le chef de l'Etat s'est-il éloigné de la vérité pour rassurer les Français ?
C'est bien l'avis de plusieurs experts du secteur. Car dans l'énergie, comme dans tous les autres secteurs industriels, le risque zéro n'existe pas. Et, si le risque de coupure est très faible, voire inexistant pour cet été, il demeure «extrêmement élevé pour l'hiver prochain et le Président ne peut pas l'ignorer», affirme Nicolas Goldberg, expert énergie chez Colombus Consulting.
Un hiver à hauts risques
«Tout dépendra des conditions climatiques. Si l'hiver est très doux, il se peut qu'il n'y ait pas de coupures, mais, s'il y a un coup de froid, à ce moment-là, on ira vers des coupures d'électricité», prévient, pour sa part, un ancien haut dirigeant du secteur de l'énergie.
«Cette situation extrêmement tendue ne signifie pas qu'il y aura forcément des coupures, mais cela va se jouer à peu de choses. Il faut espérer qu'il ne fasse pas trop froid et qu'il y ait du vent, car c'est devenu un facteur structurant dans la sécurité d'approvisionnement électrique», renchérit Nicolas Goldberg.
Selon l'ex-cadre dirigeant, l'enjeu consistera surtout à s'assurer que ces coupures d'électricité seront maîtrisées et organisées pour éviter un black-out du système électrique. Il garde en mémoire la panne géante du 19 décembre 1978, où à 8h26, la France tombe dans le noir. Métros, trains, ascenseurs, tout s'arrête sans prévenir.
Vigilance accrue jusqu'en 2024
Éviter un tel scénario, c'est le rôle de RTE, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité à haute tension. Sa mission consiste, en effet, à assurer en permanence l'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité. Or, RTE a publié, en mars 2021, un rapport indiquant que les hivers seraient tendus pour le réseau électrique jusqu'en 2024, en raison notamment d'une faiblesse de la production nucléaire.
«Les marges sont faibles en raison d'une disponibilité dégradée du parc nucléaire (conséquence de la crise sanitaire et des décalages de travaux de maintenance), du retard de l'EPR de Flamanville et des retards accumulés sur les nouveaux moyens de production renouvelables», détaille RTE dans ce document.
Depuis, d'autres incertitudes sont venues se greffer à ce niveau de vigilance accru. En effet, lorsque RTE publie son rapport en mars 2021, EDF n'a pas encore connaissance du problème de corrosion sous contrainte qui l'a obligé, depuis, à mettre 12 réacteurs nucléaires à l'arrêt. Au total, près de la moitié des réacteurs du parc tricolore, qui en compte 56, sont aujourd'hui indisponibles pour diverses raisons.
La guerre en Ukraine ajoute également des incertitudes quant à l'approvisionnement en gaz, alors que l'Union européenne tente de se sevrer au plus vite de toutes ses importations d'énergies fossiles provenant de Russie.
Des importations d'électrons limitées
Selon le chef de l'Etat, en cas de pénurie d'électricité locale, la France pourra compter sur ses voisins européens en s'approvisionnant sur le marché. Bien que réel, ce levier présente des limites car les importations d'électrons dépendent des capacités physiques des interconnexions actuelles. Or, aujourd'hui, la France peut importer au maximum 13 GW via les lignes à haute tension transfrontalières. Elle a déjà frôlé ce volume, le 20 décembre dernier, lors d'un record historique.
«Par ailleurs, la crainte que nous pouvons avoir c'est que nos voisins ne soient pas en mesure de fournir l'électricité nécessaire, car eux aussi ont peu, ou pas, construit de moyens de production pilotables au cours des dernières années», prévient l'ancien haut dirigeant.
Celui-ci regrette que, depuis plus de 10 ans, la France n'ait pratiquement raccordé au réseau électrique que des moyens de productions renouvelables intermittents et non pilotables, à l'exception de la centrale à gaz de Landivisiau, en Bretagne, opérée par TotalEnergies. «Et, dans le même temps, nous avons arrêté des moyens de production pilotables. Entre la fermeture des centrales à charbon et de Fessenheim, quelque 5.000 mégawatts de puissance ont dû être arrêtés», calcule-t-il.
L'option charbon sur la table
«S'il n'y avait pas de risques de coupures, le gouvernement ne négocierait pas actuellement la réouverture de la centrale à charbon Emile Huchet à Saint-Avold [en Moselle, ndlr]», pointe-t-il par ailleurs. Exploitée par l'entreprise tchèque GazelEnergie, la centrale a fermé en mars dernier, mais pourrait rouvrir ses portes dès l'automne prochain.
Concrètement, que pourrait-il se passer si l'électricité venait à manquer dans l'Hexagone ? Il y aurait d'abord des délestages préventifs organisés via des contrats d'effacement passés entre EDF et des industriels. Cela signifie que certains sites baisseront, à la demande, leur consommation d'électricité sur une période donnée en échange d'une rémunération. Si cela n'est pas suffisant, des effacements pourront également être organisés au niveau des consommateurs domestiques. Il s'agit de coupures d'électricité tournantes de deux heures, organisées de manière à ne pas déstabiliser le réseau pour éviter justement un black-out.
«Les dernières coupures organisées auprès des consommateurs domestiques remontent au tout début des années 50», rappelle l'ancien haut dirigeant.
Généraliser les écogestes
Comment améliorer la situation et donner plus de marge de manœuvre au système électrique en l'espace de six mois ? «Il est possible de décaler le planning de maintenance des réacteurs nucléaires», relève Nicolas Goldberg. C'est ce que semble avoir fait EDF. Selon les données Remit du mercredi 8 juin, l'électricien a, en effet, repoussé les arrêts prévus l'hiver prochain de sept réacteurs.
Selon Nicolas Goldberg, le déblocage de certains projets renouvelables pourrait aussi permettre de donner davantage de marge au réseau, bien que ces derniers soient intermittents et non pilotables. Mais, selon lui, il faut surtout communiquer davantage sur la sobriété énergétique et notamment généraliser le dispositif Ecowatt. Cet outil en ligne, développé par RTE, permet d'envoyer des notifications aux consommateurs pour les inciter, par exemple, à reporter à plus tard une machine à laver lorsqu'un important pic de consommation est prévu dans une journée.
«En avril dernier, RTE a estimé que ce dispositif avait permis d'économiser quelques centaines de mégawatts d'appels sur le réseau. Ce qui n'est pas négligeable. À titre de comparaison, la puissance de la centrale à charbon de Saint Avold est de 500 mégawatts», précise Nicolas Goldberg.
Inventaire des solutions en cours
Outre ces efforts de communication, le consultant en énergie plaide pour la mise en place d'une campagne de crédit d'impôt pour favoriser l'installation de pompes à chaleur, bien plus efficaces que les chauffages électriques classiques.
De son côté, RTE explique faire actuellement l'inventaire de toutes les solutions permettant de renforcer la sécurité d'approvisionnement, en lien avec les acteurs du secteur et la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC). Le gestionnaire cite pêle-mêle l'accélération du développement des renouvelables, le développement d'Ecowatt en nouant des partenariats avec des entreprises et des collectivités, mais aussi des mesures d'efficacité énergétique ou encore des nouveaux mécanismes d'incitation économique pour développer des effacements.
Le gestionnaire du réseau de transport d'électricité ne commente pas les propos tenus par Emmanuel Macron, mais précise qu'il travaille actuellement sur des études prévisionnelles pour l'hiver prochain. Les premiers résultats sont attendus pour l'automne.
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