
[Article mis à jour le 24/04/2023 à 10:30 avec les données du groupe de réflexion Ember Climate]
Ce n'est pas une surprise, mais c'est désormais chiffré : alors que la Russie a drastiquement réduit ses livraisons de gaz en 2022, le Vieux continent s'est rué sur le charbon pour compenser, malgré l'urgence climatique. Après des années de baisse, l'approvisionnement en cette roche noire extrêmement polluante a ainsi bondi de 8,3% l'an dernier, pour atteindre 476 millions de tonnes.
C'est le lobby européen de l'industrie charbonnière lui-même qui l'affirme : dans un bilan publié jeudi soir, l'association Euracoal recense en effet, dans chaque pays, la consommation du fameux combustible extrait localement ou acheminé depuis d'autres régions. Résultat : la production de lignite, ce charbon issu d'immenses mines comme en Allemagne, en Pologne ou en Grèce, a augmenté de 7,1% en 2022, et les importations globales de cette énergie fossile de 18,3%. Autrefois éclipsé par le gaz russe, moins cher et moins émetteur de gaz à effet de serre, le charbon est donc bien revenu en force dans l'Union, comme le montrait déjà l'Agence internationale de l'énergie en décembre.
L'Allemagne, de loin le pays le plus charbonnier
Mais ce constat cache des disparités importantes. De tout le continent, c'est l'Allemagne qui reste de loin le pays le plus charbonnier, avec 170 millions de tonnes extraits localement ou importés, souligne le rapport. C'est moins que la Pologne (127 millions de tonnes), même si cette dernière produit un charbon encore plus « sale », l'anthracite, si bien que ses gaz à effet de serre liés à ce combustible restent légèrement supérieurs. Dans le détail, en Allemagne, la production de lignite a augmenté de 3,6% par rapport à 2021 - et ce, avant même la fameuse séquence de janvier 2023, dans laquelle la police avait dégagé le site de Lützerath afin que les maisons puissent être démolies pour agrandir la mine de RWE à Garzweiler. Mais l'exploitation n'a pas été pas que locale : les importations de charbon ont elles aussi cru (+3,1%), faisant à nouveau du pays le premier importateur européen de ce combustible, devant la Turquie.
Il faut dire que Berlin comptait s'appuyer largement sur le gaz russe pour permettre la transition de son mix énergétique, laquelle consistait à sortir du nucléaire en 2022 (une étape achevée la semaine dernière) puis du charbon en 2038, « si possible en 2030 ». L'invasion de l'Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, a forcément bouleversé ce plan, si bien que la part de la roche noire dans la production totale d'électricité à progressé de 25% à 31% l'an dernier, au détriment du gaz (de 16% à 14%). « La fermeture de centrales nucléaires en Allemagne et la faible production d'hydroélectricité ont stimulé la demande », note par ailleurs Euracoal. Enfin, les difficultés du parc nucléaire français, en berne pendant une grande partie de l'année à cause d'un défaut de corrosion découvert par EDF, n'ont logiquement pas aidé.
L'association de défense de l'industrie du charbon voit d'ailleurs des perspectives outre-Rhin : « LEAG et MIBRAG [deux entreprises minières allemandes, ndlr] devraient poursuivre leurs opérations dans les régions minières de Lusace et d'Allemagne centrale jusqu'en 2038 », souligne le rapport.
La tendance baissière en Europe n'est pas remise en cause...
Néanmoins, selon le groupe de réflexion européen Ember Climate, le recours au charbon dans la production d'électricité sur le Vieux continent n'a augmenté que de 0,9% en 2022. Autrement dit, les réserves constituées dans l'urgence n'ont pas toutes été utilisées. Preuve en est, les 26 centrales au charbon réactivées du fait de la crise « ont fonctionné en moyenne à 18% de leurs capacités tout au long du quatrième trimestre 2022 », et « neuf des 26 unités n'ont fourni aucun courant » à cette même période, note le think tank.
Surtout, ce soubresaut du charbon ne devrait pas compromettre la tendance à la baisse du recours à ce combustible fossile chez les Vingt-Sept, y compris outre-Rhin. En 20 ans, le charbon est en effet passé de 50% à 25% du mix électrique allemand, même s'il a temporairement bondi à 31%. L'Agence internationale de l'énergie elle-même prévoit que cette hausse soit « temporaire ».
« L'offre de charbon de l'UE a fortement rebondi au cours des deux dernières années, après s'être effondrée de 22,1 % en 2020, mais était encore inférieure de 6,0 % aux niveaux de 2019 en 2022 », note d'ailleurs Euracoal.
Surtout, plusieurs pays ne dépendent quasiment plus du tout de ce combustible fossile, comme le Portugal, la Croatie, l'Irlande, le Royaume-Uni, la Norvège ou encore la Suède. La France, quant à elle, a importé 9,9 millions de tonnes de charbon en 2022 - soit 1,2 millions de tonnes de plus que l'année précédente, ce qui représente cependant toujours moins d'1% de son mix électrique (sans prendre en compte le courant importé d'Allemagne).
...Mais la demande augmentera dans d'autres régions du monde
En l'état, le lobby Euracoal compte plutôt sur d'autres régions du monde pour maintenir à des niveaux élevés la demande de charbon. Et notamment sur la Chine, dont la production et la consommation de roche noire ont « de nouveau été fortes [...] comme ces dernières années ». En effet, la production y a augmenté de 463 millions de tonne, ou 11,5 %, soit à peu près l'équivalent de la consommation totale de charbon de l'UE.
« Représentant la moitié de la production mondiale de charbon, la demande de charbon de la Chine restera soutenue », prévoit ainsi Euracoal.
Et pour cause, 94 gigawatts (GW) de nouvelles centrales sont en construction, et pour répondre à la demande croissante du secteur électrique, la National Development and Reform Commission (NDRC) « souhaite davantage de production de charbon vapeur, avec un objectif de 2,9 Gigatonnes (Gt) en 2023 », note le rapport.
L'Inde, deuxième producteur mondial de roche noire, est aussi scrutée de près. En 2022, le pays a déclaré une production de 850 millions de tonnes (+11%), et « devrait toujours devenir le plus grand importateur de charbon au monde d'ici 2030 », malgré la volonté des dirigeants d'augmenter massivement la production locale. Euracoal cite également l'Indonésie, premier exportateur mondial, dont la production de houille et de lignite ont atteint un « record » en 2022, avec 669 millions de tonnes. D'autant que le gouvernement s'attend à une croissance de la production de +5 % en 2023, relève l'association.
Au niveau mondial, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) s'attend d'ailleurs à un plateau d'une décennie, plutôt qu'à une baisse de l'offre et de la demande de charbon. Au plus grand bonheur d'Euracoal, malgré l'urgence d'une action drastique et immédiate pour limiter le réchauffement climatique bien en-dessous de +2°C.
Sujets les + commentés