
Le développement de l'éolien en mer ne sera pas un long fleuve tranquille. En retard dans ce domaine, avec une capacité installée toujours inférieure au gigawatt, la France entend donner un véritable coup d'accélérateur pour atteindre 18 gigawatts dès 2035, puis 40 gigawatts (GW) à l'horizon 2050. L'atteinte de cet objectif suppose, bien sûr, un développement plus rapide des parcs offshore, mais aussi de leurs raccordements au réseau de transport d'électricité. Point qui relève de la responsabilité du gestionnaire RTE, chargé de l'installation des câbles permettant d'évacuer la production et des stations électriques en mer. Or, de vives tensions sur l'approvisionnement des matières premières et des matériaux nécessaires à la réalisation de ces ouvrages se profilent déjà au regard des commandes colossales à venir.
« 74 gigawatts de capacités de raccordement sont déjà planifiés d'ici à 2035 sur le marché européen et américain, avec une très forte concentration à l'horizon 2032 », a pointé ce mardi Régis Boigegrain, directeur exécutif interconnexions et réseau en mer de RTE, devant la presse. Et, « le risque que l'offre ne soit pas suffisante est élevé », a-t-il prévenu, évoquant un faible nombre de fournisseurs et beaucoup de commandes, à la fois en Europe et aux Etats-Unis.
Des goulots d'étranglement
De fait, si la France nourrit de grandes ambitions pour ces immenses moulins des mers, ce ne sont pas les plus grandes. Les Pays-Bas et l'Allemagne visent tous les deux 70 GW de capacités à l'horizon 2050, tandis que le Royaume-Uni cible les 80 GW. En termes de capacités supplémentaires à installer entre 2022 et 2030, cela représente respectivement +18 GW, + 22GW et + 37 GW. Ce sont les pays « locomotives » de la mer du Nord. Outre-Atlantique, le gouvernement Biden a, pour sa part, fixé un objectif de 30 GW pour 2030 et 15 GW supplémentaires d'éolien flottant à l'horizon 2035.
Malgré ces horizons plus ou moins lointains, plusieurs goulots d'étranglement ont déjà émergé. « Du côté des câbles, il y a l'approvisionnement en cuivre, la fourniture de l'isolant, dont la fabrication est en quasi monopole. Les navires câbliers et ceux permettant de protéger les câbles une fois qu'ils sont déposés dans les fonds marins sont aussi fortement sollicités », expose Régis Boigegrain.
Concernant les stations électriques en courant continu, plusieurs points de tension ont également été identifiés : une forte dépendance à l'Asie sur la fourniture des composants électroniques, mais aussi des risques de perturbation sur les routes d'approvisionnement, ces composants étant acheminés par voies maritimes. La construction des plateformes en mer nécessite également d'identifier les rares chantiers capables d'accueillir d'immenses objets industriels.
Le « coup de tonnerre » de TenneT
Dans ce contexte, « la stratégie entre gestionnaires de réseaux européens relève plus de la compétition que de la coopération », a confié Régis Boigegrain. « Il ne faut pas être naïf et il faut en tenir compte dans notre stratégie industrielle », a-t-il poursuivit. Pour l'heure, RTE doit surtout faire face à la stratégie très agressive de TenneT, le gestionnaire du réseau électrique néerlandais et d'une grande partie du réseau allemand, « qui a passé une commande absolument gigantesque » accaparant considérablement les capacités de production des fournisseurs.
Le 5 mai dernier, le gestionnaire a, en effet, signé pour 5,5 milliards d'euros de contrats de câbles. Il a également fait l'acquisition d'une station électrique de 20.000 tonnes, un monstre industriel (peu ou prou le tiers de l'arche de La Défense en termes de volume) que peu de navires dans le monde sont en mesure de transporter. « TenneT, cela a été un coup de tonnerre pour l'ensemble des gestionnaires de réseaux européens », commente Régis Boigegrain.
Simplifier, massifier, standardiser
Comment tirer son épingle du jeu ? « Nous essayons de rester dans une logique de coopération », assure le directeur exécutif. RTE réfléchit notamment, avec d'autres gestionnaires de réseaux européens, à la mise en place de spécifications techniques communes pour les câbles et les stations électriques. Autre piste de réflexion : le regroupement d'achats avec d'autres gestionnaires afin de proposer des volumes attractifs aux yeux des fournisseurs.
L'enjeu est de taille car les fournisseurs devront réaliser des arbitrages entre le marché européen et le marché américain, où l'IRA, le plan à 400 milliards de dollars voté par l'administration Biden l'été dernier, crée des conditions extrêmement attractives pour les industriels de la décarbonation.
Dans cet environnement hautement concurrentiel, RTE assure « faire partie des donneurs d'ordres européens les plus importants » avec les commandes prévues de 6.500 km de câbles, de neuf postes en mer et 13 stations terrestres en courant continu, mais aussi 600 km de câbles ainsi que quatre postes en mer en courant alternatif.
Vers une hausse des coûts
Au-delà de sa potentielle coopération avec d'autres gestionnaires, RTE mise sur une stratégie industrielle baptisée SMS pour simplification, massification et standardisation. « Il faut standardiser la puissance des parcs pour pouvoir, derrière, standardiser les structures de raccordement », explique Régis Boigegrain. Objectif : sortir d'une logique de raccordements artisanaux.
Ces tensions sur l'offre des matières premières et des matériaux devraient logiquement conduire à une hausse des coûts de raccordement, lesquels sont déjà structurellement amenés à augmenter. En effet, le développement des projets éoliens plus loin des côtes et plus puissants demande de s'équiper de câbles plus longs et de stations électriques plus imposantes. Cette augmentation sera chiffrée plus précisément dans le cadre du nouveau Schéma décennal de développement du réseau de transport (SDDR) que RTE doit présenter en fin d'année. Aujourd'hui, le coût du raccordement représente déjà entre 20 et 40% du coût total d'un projet.
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