Eolien marin : les PME françaises aux prises avec la difficulté d’accéder aux contrats

La France se lance dans le grand bain de l’éolien offshore mais l’or bleu peine à ruisseler jusque dans les comptes de résultat des PME. En Normandie où un cinquième parc vient d'être attribué, beaucoup de dirigeants restent circonspects face aux promesses de « contenu local » réitérées par la ministre de la transition énergétique.
Mieux vaut être bien armés pour espérer mettre un pied sur le marché de l'éolien offshore. Cela ne se fait pas du jour au lendemain témoigne un patron normand.
Mieux vaut être bien armés pour espérer mettre un pied sur le marché de l'éolien offshore. "Cela ne se fait pas du jour au lendemain" témoigne un patron normand. (Crédits : AdobeStock)

En s'engageant  sur un prix du megawatt au ras des pâquerettes pour le futur parc éolien offshore du Cotentin, EDF prend-il le risque de favoriser des fournisseurs étrangers au détriment des acteurs locaux ? C'est la question que se posent beaucoup de dirigeants normands au lendemain de l'annonce du choix de la ministre de la transition énergétique. Agnès Pannier-Runacher a beau assurer que les critères introduits dans la procédure sur le taux de recours à des PME vont « renforcer le rayonnement du projet sur l'économie locale », la promesse est accueillie avec circonspection sur le terrain.

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« Le contenu local, je n'y crois pas une seconde. Ce ne sont que de belles paroles qui ne me font ni chaud, ni froid », commente sans détour la plongeuse Marie Sciboz, patronne de CERES, une petite entreprise (10 salariés) de la Manche passée experte dans l'analyse de données géophysiques en mer. L'intéressée estime avoir de bonnes raisons de douter. Bien que la Normandie soit en passe de devenir une place forte de l'éolien marin avec cinq parcs à venir au large de ses cotes, CERES n'a jamais réussi à se ménager une place sur ce marché, malgré ses trente ans d'expérience dans le maritime. Au grand dam de sa directrice. « On ne fait appel à nous que dans l'urgence pour des toutes petites missions », tance-t-elle visiblement agacée.

« On ne récupère que les miettes »

Cette propension des attributaires des parcs et/ou de leurs grands fournisseurs à considérer les PME locales comme simples variables d'ajustement est dénoncée avec la même vigueur par François Capiten, le gérant de CMO Industries (Constructions Métallurgiques de l'Ouest - 65 salariés)

« En France, on ne récupère que les moutons à cinq pattes, des miettes qui ne peuvent être sous-traités ailleurs, faute de temps. Lorsque l'on m'appelle, c'est du jour pour le lendemain », constate t-il.

Ce chef d'entreprise estime pourtant que sa société aurait les reins assez solides « pour satisfaire à presque tous les appels d'offres (...) Je ne demande que ça mais on est tellement peu consultés », se désole t-il.

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Si CMO reste en course, d'autres ont tout bonnement renoncé à s'aligner au départ, à l'instar du spécialiste havrais de l'ingénierie et de la maintenance industrielle, Fouré Lagadec (600 salariés). Après avoir un temps rêvé d'usiner les mâts des moulins à vent marins, la filiale du groupe SNEF a jeté l'éponge. « Nous avons essayé de rentrer avant de juger que ce n'était pas intéressant en raison des tarifs appliqués, confirme Alban Cosquer, l'un de ses dirigeants. Si c'était pour se retrouver en concurrence avec des Espagnols, c'était perdu d'avance ».

Des contrats décrochés aux forceps

Pour autant, dire que la porte est fermée aux régionaux de l'étape serait exagéré. Le cas de la société Thomas Services Maritimes est un contre-exemple. Basée à Rouen, elle réalise aujourd'hui une grosse part de son chiffre d'affaires grâce à l'éolien marin et cela se voit. Mobilisée sur les parcs de Saint Brieuc, de Courseulles et de Fécamp, elle a recruté 80 marins en l'espace de quatre ans pour acheminer sur zone techniciens et équipements. Son président, Loïc Thomas, admet cependant avoir mouillé la chemise pour en arriver là. « On ne trouve pas la clef d'entrée tout de suite. Nous, cela fait dix ans qu'on y travaille et qu'on investit dans les équipes et les navires».

De là à penser que seuls les mieux armés accèdent au Graal, il n'y a qu'un pas. A cet exercice, les PME paient le prix du retard français dans les énergies marines (et celui de la revente des turbines d'Alstom et d'Areva à GE et Siemens, disent les mauvaises langues). Difficile pour elles de rivaliser avec des équipes étrangères plus aguerries. Les habitudes ont la vie dure, observe le directeur technique de Cherbourg Manutention, Arnaud Dehondt. Le chiffre d'affaires de son entreprise a augmenté de 300% à la faveur de la construction des premiers parcs mais au prix de nombreux bras de fer, de son propre aveu.

« Il faut se battre deux fois plus parce que l'on fait  face à des groupes comme Siemens qui découvrent la Manche et ses acteurs. Ils sont réticents à rajouter une inconnue supplémentaire en recourant à une supply chain qu'ils ne maitrisent pas ».

Des procédures « déraisonnablement complexes »

Comme si cela ne suffisait pas, les procédures très normées auxquelles font appel les donneurs d'ordres sont propres à freiner voire à décourager nombre de patrons de se lancer. « Les process de sélection, calqués sur ceux du pétrole et du gaz dont ils sont issus, sont déraisonnablement complexes », pointe Marie Sciboz chez CERES. « Tous les marchés et toutes les pièces des dossiers sont rédigés en anglais. Même les soudeurs que j'envoie en mer doivent le parler. Pourquoi ? », s'interroge en écho Arnaud Dehondt.

Lui plaide pour que la France exige davantage de contenu local et vérifie sa bonne application. « L'idéal serait d'avoir un tableau de bord trimestriel des retombées locales chiffrées en kilos euros et de manière indiscutable ». Message reçu 5 sur 5 par le cluster Normandie Maritime qui explique surveiller comme le lait sur le feu le taux de recours aux PME sur les premiers champs éoliens français. « Nous sommes en relation très étroite avec les attributaires », insiste sa déléguée générale.

Delphine Lefrançois veut croire que « les choses évoluent dans le bon sens ». Une assertion confirmée par Loïc Thomas. « De ce que je vois, Iberdrola à Saint Brieuc et EDF à Fécamp font le boulot pour donner des contrats aux entreprises françaises ». Au risque de lui donner tort, les élus normands, pour leur part, jugent utile d'enfoncer le clou. Dans un communiqué, Hervé Morin, président de la Région et Benoît Arrivé maire de Cherbourg, expliquent vouloir solliciter un rendez-vous auprès président d'EDF. Objectif avoué : « Optimiser les retombées locales dans les domaines de la recherche et de l'emploi » du futur parc du Contentin. Est-ce à dire qu'ils sont habités par un doute ?

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Commentaire 1
à écrit le 31/03/2023 à 19:11
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Ben c'est formidable j'aime la CGT qui lutte contre tous les vilains capitalistes qui se goinfrent de dividendes et contre ces incapables du gouvernement qui sont méchants et j'aime bien critiquer et donner mon avis sur tout est n'importe quoi si y a...

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