Eolien en mer : EDF écrase le marché, les concurrents dénoncent des prix cassés

L'électricien tricolore, bientôt 100% public, a décroché le développement de son cinquième parc d'éoliennes en mer, sur huit en développement en France. Et ce, grâce à un prix extrêmement agressif de 44,9 euros. De quoi faire grincer des dents ses compétiteurs. Ces derniers dénoncent un risque réel pour le supply chain européenne et plaident pour une modification du cahier des charges des appels d'offres.
Juliette Raynal
L'année dernière, EDF a mis en service le parc éolien en mer au large de Saint- Nazaire. Au total, l'entreprise tricolore, a décroché cinq parcs sur les huit actuellement développés en France.
L'année dernière, EDF a mis en service le parc éolien en mer au large de Saint- Nazaire. Au total, l'entreprise tricolore, a décroché cinq parcs sur les huit actuellement développés en France. (Crédits : Pixabay)

Et de cinq pour EDF. L'électricien historique vient de décrocher la construction de son cinquième parc éolien en mer au large des côtes françaises. Ce lundi 27 mars, le ministère de la Transition énergétique a dévoilé qu'EDF Renouvelables et son partenaire canadien Maple Power avaient remporté l'appel d'offres de ce nouveau parc d'une puissance d'un gigawatt, dont la mise en service est attendue en 2031. A cet horizon, il permettra d'alimenter la consommation électrique d'environ 800.000 foyers.

Le groupe tricolore, qui détient désormais cinq des huit parcs éoliens en développement au large des côtes françaises, est donc, encore une fois, parvenu à écraser ses compétiteurs (l'espagnol Iberdrola, Ocean Winds, la coentreprise entre Engie et le portugais EDPR, TotalEnergies en binôme avec l'allemand RWE, le britannique Shell, ainsi que le suédois Vattenfall en duo avec Skyborn Renewables). Et ce, grâce à un prix hyper compétitif de 44, 90 euros le mégawattheure, selon un proche du dossier. 60 euros au maximum si l'on ajoute le coût de raccordement au réseau électrique, estimé entre 10 et 15 euros par le gestionnaire du réseau de transport d'électricité RTE.

A titre de comparaison, le prix du mégawattheure du dernier appel d'offre pour l'éolien terrestre s'élève à 74 euros. « Le prix de ce nouveau parc est très bas, mais il n'est pas si éloigné du parc éolien de Dunkerque, attribué à EDF en 2019, à 44 eurosnuance toutefois Nicolas Goldberg, expert énergie chez Colombus consulting. Par ailleurs, l'éolien en mer produit beaucoup plus que l'éolien terrestre », précise-t-il. Selon lui, ce prix proche de 45 euros montre que les effets d'apprentissage et d'échelle ont compensé la hausse des coûts (hausse du prix des matières premières, de l'énergie et envolée des taux d'intérêt).

« On se tire une balle dans le pied »

Les acteurs de la filière ne sont pas du même avis. Et ce niveau de prix extrêmement bas a rapidement suscité de nombreuses critiques. « On se tire une balle dans le pied au niveau de la France, de l'Europe, des développeurs et de la supply chain », alerte un énergéticien, qui dénonce un mécanisme pervers.  « Pour pouvoir développer un parc éolien, il faut gagner et pour gagner il faut un prix extrêmement bas ».

En effet, actuellement le critère prix pèse pour 70% dans l'attribution du développement d'éoliennes en mer. D'autres critères entrent en ligne de mire, comme les aspects environnementaux notamment, mais « ces derniers sont très faciles à remplir, donc la bataille se joue vraiment sur le prix », nous précise-t-on.

« Avec des prix aussi bas, dans le meilleur des cas, si le projet est faisable, c'est en étranglant la supply chain qui rencontre déjà d'énormes difficultés. Les trois grands turbiniers présents en Europe [Siemens Gamesa, le danois Vestas, et l'américain General Electric) perdent beaucoup d'argent et c'est la même chose pour les installateurs en mer », prévient-il.

« Le critère prix est écrasant »

Selon lui et d'autres de ses compétiteurs, le risque que l'industrie se tourne vers des acteurs asiatiques, entraînant la disparition d'usines sur le Vieux continent, comme ce fut le cas pour l'industrie photovoltaïque, est bien réel. « Nous sommes dans une situation paradoxale où l'on risque de faire couler le navire alors qu'il y a un marché très porteur car nous avons besoin d'une électricité locale, décarbonée et accessible », pointe ce même producteur.

« Nous sommes tous très embêtés sur le niveau de prix de cette attribution. Nous avons énormément poussé les curseurs, mais nous ne pouvions pas atteindre ce niveau. Nous sommes pourtant un acteur compétitif, avec des appels d'offres remportés dans plusieurs régions du monde », témoigne un autre énergéticien, dont le portefeuille de projets est particulièrement conséquent. Selon lui, ces 45 euros le mégawattheure envoient un « signal prix difficilement viable ».

« Dans les appels d'offres, le critère prix est écrasant. C'est l'Alpha et l'Omega », renchérit Mattias Vandenbulcke, responsable de la stratégie de France Energie Eolienne (FEE). « Pendant des années, à l'échelle européenne, il y a eu une vraie volonté de faire baisser le prix des énergies renouvelables. Mais le problème, c'est que les conditions économiques et géopolitiques ont évolué avec un contexte inflationniste et une très forte augmentation des taux d'intérêt. Ne pas bouger la tension sur le critère prix conduit mécaniquement à fragiliser les capacités industrielles européennes », ajoute-t-il.

Une équation financière qui interroge

Avec un prix si bas, le développement du parc éolien en mer normand aurait-il réellement des risques d'être compromis ? Le fait que le capital d'EDF soit bientôt entièrement détenu par l'Etat écarte cette éventualité. En revanche, ses compétiteurs, dont la plupart sont cotés en Bourse et donc rapidement sanctionnés par les investisseurs en cas de projets risqués, ne peuvent s'empêcher de s'interroger sur l'équation financière de cette offre et sa rentabilité. « EDF va devenir 100% étatique et peut certainement avoir un raisonnement qu'on ne peut pas avoir. Peut-être qu'ils envisagent aussi de renégocier le prix ultérieurement », se laisse à imaginer l'un d'entre eux.

Un sentiment d'inégalité qui pourrait pousser plusieurs producteurs à jeter l'éponge. Plusieurs se questionnent, en tout cas, sur la poursuite, ou non, de leur participation à ces appels d'offres, alors que d'importantes équipes sont mobilisées à 100% pendant près de deux ans sur un seul et unique projet.  « La pertinence de ces appels d'offres se pose vraiment. Est-ce que ce secteur est ouvert à d'autres participants qu'EDF ? Nous n'avons pas de problème si le gouvernement souhaite lui attribuer systématiquement le développement de ces parcs, mais il faut que les règles soient claires », pointe un énergéticien, visiblement amer.

Revoir le cahier des charges

Les producteurs interrogés plaident pour une évolution du poids du critère prix dans le cahier des charges de ces appels d'offres. « Il doit peser 40% au maximum », estime l'un d'entre eux. Nombreux appellent à ce que les critères sur le contenu européen d'un projet soient davantage représentés. « Jusqu'à présent ce n'avait pas été possible en raison de la réglementation européenne sur les aides d'Etat, mais le plan que prépare l'Union européenne en réponse à l'IRA [de l'administration de Joe Biden, ndlr] devrait apporter plus de flexibilité. Une consultation a été lancée il y a quelques semaines avec le ministère de la Transition énergétique et Bercy prépare une loi sur l'industrie verte. Il y a certainement une porte ouverte. C'est vraiment le moment », espère-t-on.

« Nous espérons que pour les projets à venir, les critères de technicité seront davantage pris en compte, notamment pour les parcs éoliens flottants », abonde un autre énergéticien, alors que la publication du cahier des charges du projet éolien en mer flottant de 250 mégawatts en sud Bretagne est attendue en avril.

Accélérer le rythme des appels d'offres

Les attentes pour un changement concernant l'éolien flottant, encore émergent, sont d'autant plus grandes que son coût de développement sera forcément plus cher en raison des verrous technologiques à lever. « L'appel d'offres ne pourra pas sortir à 45 euros. Les stress tests réalisés par RTE montraient un prix du mégawattheure aux alentours de 100 euros et c'était une estimation généreuse », souligne Nicolas Goldberg.

De son côté, la FEE plaide pour que les « mots du gouvernement se traduisent en actes ». « Le rythme d'attribution actuel ne permet pas aux usines de remplir leurs carnets de commandes. Il faut lancer de nouveaux appels d'offres à un rythme plus soutenu », insiste Mattias Vandenbulcke. D'après la FEE, le gouvernement doit désormais attribuer deux gigawatts de projets chaque année s'il veut atteindre ses objectifs. 18 GW doivent être attribués d'ici 2035. Et, à l'horizon 2050, quelque 40 GW en service sont attendus. « C'est 2/3 de notre parc nucléaire », note Nicolas Goldberg. « C'est le début d'une belle aventure industrielle », veut-il croire. A condition, que les bonnes politiques soient mises en place...

Juliette Raynal

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 16
à écrit le 29/03/2023 à 10:27
Signaler
On parle de concurrence déloyale de la part d'EDF... Et l'ARENH c'est quoi alors??? Tous les mêmes...

à écrit le 28/03/2023 à 14:36
Signaler
C'est tellement joli, les éoliennes en mer ! Et ça sauve la planète, en plus, puisque c'est décarboné : c'est pour ça qu'on en a mis un paquet en face de Fécamp, à moins de 30km de 6 réacteurs nucléaires (Paluel et Penly).

à écrit le 28/03/2023 à 13:45
Signaler
Incroyable de la part de Goldberg : ce cabinet indique que les 40 GW potentiels d'éolien "correspondent aux 2/3 du parc nucléaire actuel". Sait-il que le nucléaire produite avec une disponibilité de 70-80 % alors que l'éolien en mer est aux alentour...

le 29/03/2023 à 10:50
Signaler
L'Allemagne a logiquement annoncé la construction d'une vingtaine de centrales gaz, mais en France on se refuse à tirer cette conséquence de l'accroissement des énergies intermittentes.

le 29/03/2023 à 20:36
Signaler
le seul probleme; le kwh nucleaire a ete negocie par EDF a 110 euros le KWH a Hinckley point (en dessous, cela n aurait pas ete rentable) Içi , on parle de 45 euros le kwh eolien offshore. La seule energie qui permets d ajuster l offre et la demande ...

à écrit le 28/03/2023 à 10:58
Signaler
EDF EN n'a pas dans sa mission de créer une filière industrielle de moyens de production électrique hors nucléaire ou intégrée (ca se saurait vu comment ils gèrent leur producteur photovoltaïque interne). Leurs concurrents gavés aux subventions ne po...

à écrit le 28/03/2023 à 9:13
Signaler
EDF va encore faire des pertes qui seront payés par le contribuable. Un EPR a 3 Mrds€ ne leur a pas suffit ? (au final >16 Mrds€)

le 28/03/2023 à 13:47
Signaler
L'EPR de Flamanville était un prototype, plutôt raté je vous l'accorde. Mais les prochains seront réussis, et alimenteront le pays suivant ses besoins contrairement à l'éolien qui fait ce qu'il veut (ou plutôt ce que veut le vent).

le 29/03/2023 à 20:40
Signaler
les 8 nouveaux protoytpes seront des fiascos comme les autres; Il y a des limites physiques a l acier; radioactivite et haute pression ne font pas bon menage; on a une acceleration de la corrosion. C est illusoire de penser qu on a la solution. on l ...

à écrit le 27/03/2023 à 23:19
Signaler
Peut-être qu'ils (EDF) envisagent aussi de renégocier le prix ultérieurement. - Avec le contribuable dos dans le mur. Comme maintenant.

à écrit le 27/03/2023 à 23:18
Signaler
<Peut-être qu'ils (EDF) envisagent aussi de renégocier le prix ultérieurement > Avec le contribuable dos dans le mur. Comme maintenant.

à écrit le 27/03/2023 à 21:44
Signaler
C'est tres bien Cette histoire de soit disant concurrence sur l'électricité a été un vrai scandale au détriment des citoyens et contribuables , une aberration

à écrit le 27/03/2023 à 21:35
Signaler
C'est très dangereux. Le monopole est le terreau de tous les fascismes.

le 29/03/2023 à 10:52
Signaler
Exactement comme ont pu le voir les Français jusque dans les années 1990 avec des factures d'électricité trop basses, donc populistes, voire fascistes.

à écrit le 27/03/2023 à 21:23
Signaler
Il ne devrait pas y avoir d'appel d'offre, pas de concurrence, l'énergie électrique devrait dépendre du ministère des armées car c'est on ne peut plus stratégique pour le pays

à écrit le 27/03/2023 à 20:39
Signaler
Ce qui est anormal c'est que des entreprises privées puissent concourir. L'électricité est un bien commun qui doit rester dans le périmètre National, comme les autoroutes, le service de l'eau...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.