
Et de cinq pour EDF. L'électricien historique vient de décrocher la construction de son cinquième parc éolien en mer au large des côtes françaises. Ce lundi 27 mars, le ministère de la Transition énergétique a dévoilé qu'EDF Renouvelables et son partenaire canadien Maple Power avaient remporté l'appel d'offres de ce nouveau parc d'une puissance d'un gigawatt, dont la mise en service est attendue en 2031. A cet horizon, il permettra d'alimenter la consommation électrique d'environ 800.000 foyers.
Le groupe tricolore, qui détient désormais cinq des huit parcs éoliens en développement au large des côtes françaises, est donc, encore une fois, parvenu à écraser ses compétiteurs (l'espagnol Iberdrola, Ocean Winds, la coentreprise entre Engie et le portugais EDPR, TotalEnergies en binôme avec l'allemand RWE, le britannique Shell, ainsi que le suédois Vattenfall en duo avec Skyborn Renewables). Et ce, grâce à un prix hyper compétitif de 44, 90 euros le mégawattheure, selon un proche du dossier. 60 euros au maximum si l'on ajoute le coût de raccordement au réseau électrique, estimé entre 10 et 15 euros par le gestionnaire du réseau de transport d'électricité RTE.
A titre de comparaison, le prix du mégawattheure du dernier appel d'offre pour l'éolien terrestre s'élève à 74 euros. « Le prix de ce nouveau parc est très bas, mais il n'est pas si éloigné du parc éolien de Dunkerque, attribué à EDF en 2019, à 44 euros, nuance toutefois Nicolas Goldberg, expert énergie chez Colombus consulting. Par ailleurs, l'éolien en mer produit beaucoup plus que l'éolien terrestre », précise-t-il. Selon lui, ce prix proche de 45 euros montre que les effets d'apprentissage et d'échelle ont compensé la hausse des coûts (hausse du prix des matières premières, de l'énergie et envolée des taux d'intérêt).
« On se tire une balle dans le pied »
Les acteurs de la filière ne sont pas du même avis. Et ce niveau de prix extrêmement bas a rapidement suscité de nombreuses critiques. « On se tire une balle dans le pied au niveau de la France, de l'Europe, des développeurs et de la supply chain », alerte un énergéticien, qui dénonce un mécanisme pervers. « Pour pouvoir développer un parc éolien, il faut gagner et pour gagner il faut un prix extrêmement bas ».
En effet, actuellement le critère prix pèse pour 70% dans l'attribution du développement d'éoliennes en mer. D'autres critères entrent en ligne de mire, comme les aspects environnementaux notamment, mais « ces derniers sont très faciles à remplir, donc la bataille se joue vraiment sur le prix », nous précise-t-on.
« Avec des prix aussi bas, dans le meilleur des cas, si le projet est faisable, c'est en étranglant la supply chain qui rencontre déjà d'énormes difficultés. Les trois grands turbiniers présents en Europe [Siemens Gamesa, le danois Vestas, et l'américain General Electric) perdent beaucoup d'argent et c'est la même chose pour les installateurs en mer », prévient-il.
« Le critère prix est écrasant »
Selon lui et d'autres de ses compétiteurs, le risque que l'industrie se tourne vers des acteurs asiatiques, entraînant la disparition d'usines sur le Vieux continent, comme ce fut le cas pour l'industrie photovoltaïque, est bien réel. « Nous sommes dans une situation paradoxale où l'on risque de faire couler le navire alors qu'il y a un marché très porteur car nous avons besoin d'une électricité locale, décarbonée et accessible », pointe ce même producteur.
« Nous sommes tous très embêtés sur le niveau de prix de cette attribution. Nous avons énormément poussé les curseurs, mais nous ne pouvions pas atteindre ce niveau. Nous sommes pourtant un acteur compétitif, avec des appels d'offres remportés dans plusieurs régions du monde », témoigne un autre énergéticien, dont le portefeuille de projets est particulièrement conséquent. Selon lui, ces 45 euros le mégawattheure envoient un « signal prix difficilement viable ».
« Dans les appels d'offres, le critère prix est écrasant. C'est l'Alpha et l'Omega », renchérit Mattias Vandenbulcke, responsable de la stratégie de France Energie Eolienne (FEE). « Pendant des années, à l'échelle européenne, il y a eu une vraie volonté de faire baisser le prix des énergies renouvelables. Mais le problème, c'est que les conditions économiques et géopolitiques ont évolué avec un contexte inflationniste et une très forte augmentation des taux d'intérêt. Ne pas bouger la tension sur le critère prix conduit mécaniquement à fragiliser les capacités industrielles européennes », ajoute-t-il.
Une équation financière qui interroge
Avec un prix si bas, le développement du parc éolien en mer normand aurait-il réellement des risques d'être compromis ? Le fait que le capital d'EDF soit bientôt entièrement détenu par l'Etat écarte cette éventualité. En revanche, ses compétiteurs, dont la plupart sont cotés en Bourse et donc rapidement sanctionnés par les investisseurs en cas de projets risqués, ne peuvent s'empêcher de s'interroger sur l'équation financière de cette offre et sa rentabilité. « EDF va devenir 100% étatique et peut certainement avoir un raisonnement qu'on ne peut pas avoir. Peut-être qu'ils envisagent aussi de renégocier le prix ultérieurement », se laisse à imaginer l'un d'entre eux.
Un sentiment d'inégalité qui pourrait pousser plusieurs producteurs à jeter l'éponge. Plusieurs se questionnent, en tout cas, sur la poursuite, ou non, de leur participation à ces appels d'offres, alors que d'importantes équipes sont mobilisées à 100% pendant près de deux ans sur un seul et unique projet. « La pertinence de ces appels d'offres se pose vraiment. Est-ce que ce secteur est ouvert à d'autres participants qu'EDF ? Nous n'avons pas de problème si le gouvernement souhaite lui attribuer systématiquement le développement de ces parcs, mais il faut que les règles soient claires », pointe un énergéticien, visiblement amer.
Revoir le cahier des charges
Les producteurs interrogés plaident pour une évolution du poids du critère prix dans le cahier des charges de ces appels d'offres. « Il doit peser 40% au maximum », estime l'un d'entre eux. Nombreux appellent à ce que les critères sur le contenu européen d'un projet soient davantage représentés. « Jusqu'à présent ce n'avait pas été possible en raison de la réglementation européenne sur les aides d'Etat, mais le plan que prépare l'Union européenne en réponse à l'IRA [de l'administration de Joe Biden, ndlr] devrait apporter plus de flexibilité. Une consultation a été lancée il y a quelques semaines avec le ministère de la Transition énergétique et Bercy prépare une loi sur l'industrie verte. Il y a certainement une porte ouverte. C'est vraiment le moment », espère-t-on.
« Nous espérons que pour les projets à venir, les critères de technicité seront davantage pris en compte, notamment pour les parcs éoliens flottants », abonde un autre énergéticien, alors que la publication du cahier des charges du projet éolien en mer flottant de 250 mégawatts en sud Bretagne est attendue en avril.
Accélérer le rythme des appels d'offres
Les attentes pour un changement concernant l'éolien flottant, encore émergent, sont d'autant plus grandes que son coût de développement sera forcément plus cher en raison des verrous technologiques à lever. « L'appel d'offres ne pourra pas sortir à 45 euros. Les stress tests réalisés par RTE montraient un prix du mégawattheure aux alentours de 100 euros et c'était une estimation généreuse », souligne Nicolas Goldberg.
De son côté, la FEE plaide pour que les « mots du gouvernement se traduisent en actes ». « Le rythme d'attribution actuel ne permet pas aux usines de remplir leurs carnets de commandes. Il faut lancer de nouveaux appels d'offres à un rythme plus soutenu », insiste Mattias Vandenbulcke. D'après la FEE, le gouvernement doit désormais attribuer deux gigawatts de projets chaque année s'il veut atteindre ses objectifs. 18 GW doivent être attribués d'ici 2035. Et, à l'horizon 2050, quelque 40 GW en service sont attendus. « C'est 2/3 de notre parc nucléaire », note Nicolas Goldberg. « C'est le début d'une belle aventure industrielle », veut-il croire. A condition, que les bonnes politiques soient mises en place...
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