Fin des tarifs réglementés : après le gaz, l’électricité ?

La décision rendue par le Conseil d’Etat sur les tarifs réglementés du gaz préfigure une décision similaire concernant ceux de l’électricité. Mais dans quels délais, et avec quelles conséquences pour le consommateur et pour l’opérateur historique ?
Dominique Pialot
Les tarifs réglementés du gaz déclarés contraires au droit communautaire par le Conseil d'Etat

Par sa décision rendue publique le 19 juillet, le Conseil d'Etat annule un décret de 2013 encadrant  les modalités de fixation des tarifs réglementés de vente (TRV) du gaz. Ce dernier avait été attaqué par l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (Anode), réunissant Direct Energie, Eni Gas&Power France, Gaz européen, Lampiris, Planète OUI et SAVE, au motif que ces tarifs sont contraires au droit de l'Union européenne. Ce que vient donc de confirmer le Conseil d'Etat, qui avait préalablement posé une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne.

En effet, le Conseil d'Etat a considéré que les motifs d'intérêt général qui, jusqu'à présent, fondaient l'existence d'un tarif fixé par l'Etat et applicable sur l'ensemble du territoire national à 5,4 millions de clients particuliers et professionnels n'avaient plus de justification.

« Leur maintien « constitue une entrave à la réalisation du marché concurrentiel du gaz, sans que cette restriction respecte les conditions qui auraient permis de la  regarder comme admissible au regard du droit de l'Union européenne. »

Transition en douceur

Cette décision intervient au lendemain de déclarations du ministre de l'Energie Nicolas Hulot devant le Sénat, dans lesquelles il avait évoqué des « injonctions de Bruxelles. » « On peut faire en sorte que ça soit lissé dans le temps, mais nous avons déjà repoussé l'échéance et il en va du gaz comme de l'électricité, à un moment ou à un autre, il faudra s'y plier », avait-il ajouté.

Il avait également précisé « on peut faire en sorte que ce soit lissé dans le temps », et assuré que le gouvernement ferait en sorte « que ça se fasse le moins douloureusement possible. » Et c'est exactement ce qui devrait se passer.

Dans pareil cas, trois solutions sont envisageables : rétroactivité, effet immédiat ou avec report. Mais la décision du Conseil d'Etat précise

« Ainsi, eu égard aux incertitudes graves qu'une annulation rétroactive ferait naître sur la situation contractuelle passée de plusieurs millions de consommateurs et de la nécessité impérieuse de prévenir l'atteinte au principe de sécurité juridique qui en résulterait, il y a lieu de prévoir, à titre exceptionnel, que les effets produits par le décret attaqué sont, sous réserve des actions contentieuses déjà engagées à la date de la présente décision, regardés comme définitifs. »

« La rétroactivité de la suppression des tarifs réglementés au 1er janvier 2013 aurait eu des répercutions dramatiques pour l'opérateur historique, pas tant sur le plan financier qu'en termes de gestion administrative ou devant les tribunaux.», observe Maître René-Pierre Andlauer, spécialiste du droit de l'énergie au sein du cabinet Cornet Vincent Ségurel.

Mais les quelque 5,2 millions de clients d'Engie ne devraient pas connaître de big bang. Comme ils en avaient en réalité la possibilité depuis 7 ans, et comme l'ont déjà fait près de la moitié d'entre eux, ils pourront décider de quitter Engie pour un fournisseur alternatif. Ou choisir de rester chez Engie, qui propose également des contrats hors TRV, comme l''énergéticien le rappelle sur son site, où l'on peut lire

 « Le Conseil d'Etat ne remet pas en cause les contrats passés, ce qui veut dire qu'ils sont toujours valides, et que bien entendu, ENGIE continuera à alimenter ses clients tant qu'ils le souhaitent. »

« Si vous disposez d'un contrat au Tarif Réglementé, vous êtes concerné par la décision du Conseil d'Etat.  Cette décision remet en cause les TRV car ils ne sont pas conformes au  droit européen. Mais votre contrat reste tout à fait valide. Pour prendre en compte la décision du Conseil d'Etat, les pouvoirs publics doivent organiser pour le futur les modalités de la fin des TR gaz. ENGIE tiendra bien sûr ses clients informés. »

Vigilance des fournisseurs alternatifs

Combien de temps cette situation provisoire va-t-elle perdurer ?

« Si l'ANODE demande qu'il soit enjoint « à l'Etat de prendre, à compter de la décision rendue par le Conseil d'Etat, toutes les mesures garantissant la disparition des contrats aux [tarifs réglementés de vente] », l'annulation du décret du 16 mai 2013 prononcée par la présente décision n'implique pas nécessairement que l'Etat prenne une mesure d'exécution en ce sens. Ces conclusions ne peuvent donc qu'être rejetées » peut-on également lire en conclusion de la décision du Conseil d'Etat.

Dans un courrier adressé au Premier ministre suite à la décision du Conseil d'Etat, l'Anode lui demande d'abroger dans un délai de deux ans les dernières dispositions réglementaires appliquées aux TRV, entretemps intégrées au Code de l'Energie.

Autrement dit, les clients de l'opérateur historique devront impérativement changer de contrat de fourniture, si ce n'est de fournisseur. « Ca a déjà assez duré comme ça, s'exaspère Fabien Choné, PDG de Direct Energie et président de l'Anode. Nous serons vigilants à ce que le sujet bénéficie d'une communication de grande ampleur, neutre, non discriminatoire et transparente. »

Convaincre les consommateurs, un enjeu majeur

Déjà cette décision va sans doute faire progresser la connaissance au sein du grand public.  « Le principal effet de cette décision va se situer sur le plan de la communication, estime ainsi Me René-Pierre Andlauer. Les fournisseurs alternatifs vont pouvoir faire valoir leurs offres dans un contexte où les TRV ne sont plus considérés comme l'alpha et l'omega et sans doute élaborer des politiques de communication et de commercialisation plus agressives. »

« Quand une réglementation prend fin, qui implique un changement de comportement des usagers, c'est bien à l'Etat de communiquer », martèle Fabien Choné.

Le hic, c'est que les associations de consommateurs  sont vent debout contre cette décision. Elles voient en effet dans les TRV une espèce de « prix plafond » de référence protégeant le consommateur.

Pourtant « Penser que les TRV constituent un plafond pour les prix du gaz est un pur fantasme dans la mesure où ils sont à plus de 50 % indexés sur ceux du marché de gros du pétrole  rappelle Me Andlauer. En Italie et en Allemagne où il n'existe pas de tarifs réglementés, les prix du gaz ne sont pas plus élevés qu'en France. »

Un précédent annonçant la suppression des TRV électriques ?

 Dans quelle mesure cette décision sur le gaz préfigure-t-elle une décision similaire sur l'électricité, concernant non pas 5 mais 27 millions de clients d'EDF ? A l'inverse d'Engie, l'électricien était d'ailleurs représenté lors de l'audience du Conseil d'Etat.

La plupart des motifs invoqués pour l'annulation des TRV de gaz s'appliquent à l'électricité.

Une directive énergie en préparation à la Commission européenne, qui devrait être votée d'ici à fin 2017 pour une mise en application en 2019, préconise en effet la suppression totale des tarifs réglementés. La question de la transposition en droit national e devrait pas se poser avant 2019/2020.

Mais devant le Sénat, Nicolas Hulot a bien évoqué la fin annoncée des deux familles de TRV.

Et Engie se fait fort de rappeler que « La décision du Conseil d'Etat devra par ailleurs s'appliquer le plus simultanément possible aux tarifs réglementés de vente d'électricité pour éviter de créer une distorsion concurrentielle. »

 « Les critères déterminant le caractère anti-communautaire des TRV ont été clairement définis au niveau européen tout comme leur application au niveau national, et pourront être invoqués pour les TRV de l'électricité », confirme Me Andlauer.

L'intérêt général en question

L'avocat pointe néanmoins deux aspects qui diffèrent entre le gaz et l'énergie. Le critère d'intérêt général inclut la péréquation, qui permet à tous les Français, y compris les habitants de régions moins bien desservies, de payer le même prix pour leur énergie. L'argument a été rejeté pour le gaz car seules 30% des communes françaises sont raccordées, mais la situation est bien différente pour l'électricité. « Toutes les composantes du prix de l'électricité sont nationales », répond Fabien Choné, et la loi impose que les fournisseurs proposent un prix unique sur l'ensemble du territoire ». Exit donc l'argument selon lequel seuls les TRV garantiraient la péréquation. Concernant l'énergie nucléaire, l'Anode a demandé la prolongation de l'ARENH (accès régulé à l'énergie nucléaire historique), ce tarif actuellement fixé à 42 euros le mégawattheure, auquel EDF est contraint de vendre une partie de sa production aux fournisseurs alternatifs.

En revanche, à l'inverse du gaz, l'électricité est un « produit de première nécessité » qui bénéficie de tarifs sociaux. « Ce tarif social, destiné aux clients précaires ou sans fournisseurs », va disparaître avec le chèque énergie, affirme Fabien Choné, qui propose également la désignation d'un fournisseur de dernier recours.

Les tarifs actuels ne couvrent pas les coûts de l'opérateur

A ses yeux, la situation est plus préoccupante encore dans l'électricité que dans le gaz. En effet, les TRV, dont les gouvernements successifs ont refusé les augmentations réclamées par l'opérateur historique, ne couvrent même pas ses coûts. « Ce n'est pas une situation souhaitable pour la collectivité, car alors c'est le contribuable qui paie », déplore Fabien Choné.

« EDF est principalement victime de la politisation des tarifs de l'électricité, affirme-t-il. Plus de pression concurrentielle aboutira nécessairement à un surcroît de productivité chez tous les fournisseurs. Des parts de marché plus importantes permettront aux fournisseurs alternatifs d'être plus concurrentiels encore, au profit du consommateur » affirme-t-il, rappelant son objectif de porter Direct Energie (5 à 6% aujourd'hui) à 10% de part de marché en 2020.

Mais si EDF se voit contraint d'augmenter ses prix pour couvrir des coûts qui vont aller croissant, il risque d'assister à une hémorragie de sa clientèle. A moins que les fournisseurs alternatifs ne le suivent dans cette augmentation des prix, apportant de l'eau au moulin des associations de consommateurs.

« Le processus de suppression des TRV risque d'être ralenti par la position des associations de consommateurs (qui sont autant d'électeurs) qui ne va pas pousser le gouvernement à un zèle excessif », estime pour sa part Me Andlauer.

Dominique Pialot

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Commentaires 30
à écrit le 11/12/2017 à 11:32
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Donc monsieur Choné, président de l'ANODE et DG de Direct Energie, d'une main " (l'Anode) a demandé la prolongation de l'ARENH (accès régulé à l'énergie nucléaire historique), ce tarif actuellement fixé à 42 euros le mégawattheure", et de l'autre dem...

à écrit le 09/10/2017 à 20:39
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Les plus choyés sont les salariés d'EDF qui usent et abusent de cette si onéreuse électricité et ne paient presque rien. Pourquoi ces passes droit ? Du moment que c'est gratos on en profite à fond. Certains se reconnaîtront...

à écrit le 26/07/2017 à 13:33
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Franchement, quelle est la valeur ajoutée par ces revendeurs d'énergie ? Si encore ils en produisaient VRAIMENT. Avoir fait de si brillantes études pour en arriver à réclamer comme un enfant gâté de ne pas augmenter son coût d'achat, c'est minable. R...

à écrit le 24/07/2017 à 17:24
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" et sans doute élaborer des politiques de communication et de commercialisation plus agressives." C'est déjà le cas : Mai 2017 Le médiateur national de l'énergie publie mardi son bilan annuel. Une excellente photographie de la manière dont l...

à écrit le 24/07/2017 à 14:25
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Amusant, cette "lutte" depuis que les banques et fonds de pension us sont devenus distributeurs officiels... Nous semblons donc être un marché plus que juteux.

à écrit le 24/07/2017 à 10:47
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Simple application du GOPE institué par Bruxelles, rien de plus! N'en soyez pas surpris!!

à écrit le 24/07/2017 à 10:44
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"réunissant Direct Energie" On peut rappeler d'ou vient ce fournisseur : À la fin des années 1990, l'Union européenne lance la libéralisation du marché de l'énergie européen (électricité et gaz) dans le but de faire baisser les prix et de crée...

à écrit le 24/07/2017 à 8:43
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Mes factures d'électricité et de gaz augmentent chaque année donc si j'ai bien compris elles augmenteront encore plus et plus vite avec la libéralisation des tarifs imposés par Bruxelles.... et après on continuera de nous affirmer qu'il n'y a pas d'i...

à écrit le 24/07/2017 à 4:48
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Le con...sommateur francais a une solution a sa portee. Consommer au minimum les sources diveres d'energies. Ainsi la ponction sera tres reduite voire minime. Le resultat escompte des "decideurs" deviendra de fait caduc. Mais pour ce faire il faut d...

à écrit le 23/07/2017 à 19:43
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La disparition des TRV n'est pas le problème, c'est la solution. Une partie de la solution, l'autre étant liée au problème du surinvestissement nucléaire. Surtout à l’échéance de quelques années quand les centrales arriveront en fin de vie, d’ici là ...

à écrit le 23/07/2017 à 11:43
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La démocratie c'est le conseil d'etat maintenant... et Bruxelles avec une commission qui n'a pas été élue. Il suffit de quelques lobbyistes pour obliger à faire ce que ne veulent pas 80% des francais. Ceci au nom de.... ultralibéralisme anglosaxon. D...

à écrit le 23/07/2017 à 11:32
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Les prix de l’électricité et du gaz sont une vaste fumisterie avec dans son sein le Conseil d’Etat un conseil qui manque à son devoir de probité intellectuelle et le respect pas sa fonction qu’il doit aux citoyens consommateurs et contribuables. Le ...

à écrit le 22/07/2017 à 18:31
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ENGIE c'est le jeux de bonneteau ! A vous de jouer mrs,dames ! Avec facture((s) rétroactive(s) ! c'est Inkley Point à tous les coups !!!!!!!!!!!! La chanson AREVA Inkley Point ! Le monde est à nous, le monde est à toi et m...

à écrit le 22/07/2017 à 17:54
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J'ai quitté EDF (engie) ... pour ne plus entendre parler de cette "usine à gaz" ni le 1% des factures pour le CE . Le drame de l'histoire on va encore nous sortir cette histoire de facture rétroactive ???

le 24/07/2017 à 11:32
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Sauf erreur, ENGIE est le nouveau nom de la société regroupant SUEZ et GDF, donc rien à voir avec EDF.

le 24/07/2017 à 12:40
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C'est GDF SUEZ qui est devenue ENGIE.

à écrit le 22/07/2017 à 17:38
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Hulot, dit "injonctions de Bruxelles" . Qu'est ce que cela signifie ? La France (et les autres) ont signé des Traités en toute connaissance de cause. La Commission est chargée de les faire appliquer et la France doit se conformer aux traités qu'e...

le 23/07/2017 à 9:27
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Tout a fait. Plus, comment a reformer le gestion financier d'UE (= mutualiser les dettes des pays tricheurs) comme Macron voulait, si la France jamais n'a respecte pas les traites existants?

à écrit le 22/07/2017 à 16:18
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Edf fait une remise de,gros aux operateurs alernatifs pour créer une concurrence virtuelle.....ce qui a fait que edf a régulièrement augmenté son tarif grand public nettement plus que l inflation....simplement pour absorber, ce moins gagnant..... L...

à écrit le 22/07/2017 à 15:24
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Le gaz, c'est de l'achat/revente, donc des marges. Normalement, à part l'acheminement, la matière coute pas grand chose mais nous sommes un pays riche, le gaz doit donc être au niveau du reste (sinon on n'utiliserait que lui). On peut voir la concurr...

le 22/07/2017 à 18:08
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Il faut bien financer les déboires d'EDF via (AREVA) Hinkley Point ! Les dindons de la farce ... c'est nous !

le 22/07/2017 à 19:18
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L'article ne va pas assez loin et beaucoup de rectiona 2 balles qui temoignent que plus les commentateur ignorent, plus ils affirment fort. D'une les tarifs EDF sont libérés depuis 1er janvier 2016 pour les puissance Jaune et Vert. Il en a resul...

à écrit le 22/07/2017 à 15:13
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Le libéraux européens n'ont que faire de l'avis des citoyens. Qui décide ? non, mais sans blague...

le 22/07/2017 à 19:12
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L'interet du citoyen est de payer le kWh electrique a son vrais prix pour que EDF puisse entretenir ses centrales, prevoir le demantelement et payer le stockage des dechets. Car si accident arrive dans l'un ou l'autre domaine, il ne sera pas gagnant...

le 22/07/2017 à 20:31
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@Steph Le citoyen en a marre de payer le 1% du CE, les grévistes et les cégétistes. C'est la fin du monopole d'EDF/engie. Une ère révolutionnaire qui permettra de choisir son fournisseur d'énergie comme on choisit sa mutuelle, son médecin ou s...

à écrit le 22/07/2017 à 15:05
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Pensez vous toujours que la zone administrative qu'est l'UE de Bruxelles travaille pour les peuples ou pour ses lobbyistes?

à écrit le 22/07/2017 à 14:38
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Que va t-il se passer si le gouvernement persiste à vouloir se passer du nucléaire dans les 30 prochaines années.? le renouvelable est plus cher et plus aléatoire pour le moment. Actuellement , les opérateurs par l'intermédiaire d'une taxe, répercut...

à écrit le 22/07/2017 à 14:33
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encore les consommateurs les dindons de la farce, comme toujours

le 22/07/2017 à 18:16
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Zou .... vous avez aimer, je vous fais 5% de réduction sur le prix.... puis facture rétroactive .... mais chutttttttt !

à écrit le 22/07/2017 à 13:44
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Pour celles & ceux qui ont des difficultes avec la semantique: Les tarifs vont etre alignes. Preparez-vous a payer plus cher. Vive l'Europe.

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