En livrant Pologne et Ukraine, l'Allemagne montre-t-elle à Poutine qu'elle aussi sait jouer avec le gazoduc Yamal ?

C'est un nouvel épisode de la guerre du gaz entre la Russie et l'Union européenne en forme d'imbroglio. L'énergéticien étatique russe, à la suite du président Vladimir Poutine jeudi, dit ce dimanche avoir repéré des inversions de flux de gaz dans le pipeline Yamal, et taxe publiquement l'Allemagne de comportement "irrationnel". Mais jusqu'ici la Russie était elle-même accusée d'user du gaz comme arme géostratégique en restreignant ses livraisons de gaz à l'Europe pour faire monter les prix et peser dans les négociations avec l'OTAN et les Etats-Unis au sujet de l'Ukraine. Que se passe-t-il vraiment ?
Jérôme Cristiani
(Crédits : Reuters)

Cela fait six jours, ce dimanche, que le gazoduc Yamal-Europe qui achemine habituellement du gaz russe vers l'Europe occidentale renvoie le gaz en sens inverse vers la Pologne, selon les données de l'opérateur de réseau allemand Gascade, une co-entreprise germano-russe avec Gazprom au capital.

Ce dimanche, dans une déclaration télévisée, Sergueï Kouprianov, porte-parole de Gazprom, compagnie gazière totalement contrôlée par l'État russe, reprenait l'affirmation de Vladimir Poutine, jeudi dernier, selon laquelle l'Allemagne serait en train de manipuler le flux de gaz du pipeline Yamal-Europe. Ce gazoduc long de 4.000 km part de Russie, traverse le Belarus et la Pologne pour aboutir en Allemagne.

"On observe une inversion du flux de gaz de l'Allemagne vers la Pologne et apparemment aussi vers l'Ukraine, de l'ordre de 3 à 5 millions de mètres cubes par jour", a expliqué le porte-parole du géant gazier russe, Sergueï Kouprianov à la chaîne de télévision publique Rossiya-1 relayée par Euronews.

Le comportement de l'Allemagne jugé "peu rationnel" par la Russie

Kouprianov a estimé que ce comportement de l'Allemagne visant à revendre à la Pologne du gaz qu'elle avait acheté à la Russie, était, en pleine flambée des prix, peu "rationnel". Selon lui, les prix de ces livraisons allemandes sont "nettement supérieurs à ceux des volumes livrés par Gazprom", l'Allemagne étant du coup accusée par Moscou de contribuer à la hausse des prix.

Mais, alors que le gaz circule de la Russie vers l'Allemagne, comment celle-ci peut-elle envoyer du gaz à la Pologne située en amont du gazoduc ? Kouprianov explique:

"Ce gaz provient de réservoirs souterrains en Allemagne, des réservoirs dont le gaz a déjà été utilisé à 47%. Et l'hiver ne fait que commencer... Ce n'est pas la décision la plus rationnelle", a-t-il poursuivi, dans cette interview diffusée samedi soir sur la chaîne étatique Rossiya-1.

Des micro-coupures de gaz en guise d'avertissements à Berlin

Pourtant, mardi 21 décembre, c'est l'Allemagne qui s'étonnait qu'une partie du gaz russe n'arrive plus en Europe depuis le week-end précédent - comme si, explique Lionel Bellanger sur France Inter ce jour-là, Moscou passait "en mode punition juste avant une vague de froid annoncée sur l'Europe". Ou plutôt en mode coup de semonce, Moscou, pouvant être tenté, par des micro-coupures de gaz, de peser sur les négociations en cours au sein du nouveau gouvernement allemand ces jours-ci, où la question de la mise en service du gazoduc Nord Stream 2 est sujet de conflit entre le nouveau chancelier Olaf Scholz (en poste depuis le 8 décembre) qui y est favorable depuis sa création et son vice-chancelier Vert, Robert Habeck, qui y est opposé dans le cadre des sanctions sur le dossier ukrainien. Pour l'heure, en Allemagne, c'est l'Agence fédérale des réseaux (la Bundesnetzagentur) qui est censée avoir la main, elle qui annonçait mi-novembre qu'elle suspendait la procédure d'autorisation en raison d'un obstacle juridique et qu'elle ne rendrait pas sa décision avant juillet 2022.

Mercredi 23 décembre, c'était aussi la représentation auprès de l'Union européenne de la Pologne -pays totalement opposé au gazoduc Nord Stream 2, faut-il préciser-, qui accusait Moscou d'avoir stoppé ses livraisons via le gazoduc Yamal-Europe entre la Russie, la Pologne et l'Allemagne, taxant Gazprom de "manipulation".

Une affirmation fermement contestée par le porte-parole de la compagnie gazière russe lors de sa prise de parole sur la chaîne d'État russe déjà citée.

Pour rappel, jeudi dernier, lors de sa traditionnelle intervention télévisée annuelle, le président russe Vladimir Poutine avait lui-même expliqué que, si Moscou n'effectuait pas de nouvelles exportations via ce gazoduc, c'était faute de nouvelles commandes européennes.

"Cette année, Gazprom a livré à l'Allemagne 50,2 milliards de mètres cubes, c'est 5,3 milliards de plus que l'année dernière. Gazprom a déjà livré plus de gaz que l'année dernière aux pays suivants: Italie, Turquie, Bulgarie, Serbie, Danemark, Finlande et Pologne", avait énuméré le président russe.

Sur ce point, il était approuvé par le ministère allemand de l'Énergie qui, ce dimanche, a affirmé que les contrats de livraison de long-terme avec Moscou étaient respectés, et qu'il n'y avait "pas de signes de blocages d'approvisionnement".

Pour autant, ce même ministère ne faisant aucun commentaire sur les affirmations russes concernant des livraisons allemandes de gaz à la Pologne et à l'Ukraine.

Ce qui n'empêche pas la poursuite de l'enquête lancée en octobre par la Commission européenne sur le rôle des principaux fournisseurs gaziers de l'UE dans la flambée des prix du gaz. Une enquête qu'avait confirmé mener la commissaire européenne à l'Énergie Kadri Simson, mardi 26 octobre, lors d'une rencontre des ministres européens de l'Énergie. Gazprom, qui détient 40% du marché européen du gaz, n'était pas nommément citée, bien qu'elle soit clairement la première visée par l'exécutif européen, selon L'Echo.

Cette affolante envolée des prix du gaz, à laquelle l'Europe occidentale est confrontée depuis plusieurs mois, est due à plusieurs facteurs: un hiver 2020-2021 très froid, la reprise économique post-pandémie, un apport trop parcimonieux en énergies renouvelables à cause de vents trop faibles, mais aussi les tensions géopolitiques entre le principal fournisseur, la Russie, et ses clients.

Cependant, si dans ce contexte d'arrivée des températures hivernales, les prix du gaz en Europe battaient un nouveau record mardi (à 187,785 euros, une première), jeudi 23 décembre, ils subissaient une nette correction, le marché de référence du gaz européen, le TTF (Title Transfer Facility) néerlandais, chutant de 19,60% à 139,00 euros le mégawattheure (MWh), retrouvant un prix comparable au début de semaine.

Malgré cette accalmie, le cours du gaz européen reste sept fois supérieur à celui du début d'année.

Nord Stream 2, Ukraine, OTAN...

La guerre du gaz n'est donc pas une vue de l'esprit. Avec l'envolée des prix du gaz, non seulement la compagnie étatique Gazprom engrange des profits records, mais encore, le président russe, que d'aucuns ont déjà baptisé le "tsar du gaz", pousse ses pions pour faire reculer l'OTAN accusée de marcher sur ses plate-bandes en Ukraine.

Si les Occidentaux soupçonnent la Russie de limiter ses livraisons pour faire pression sur les Européens et obtenir gain de cause dans plusieurs dossiers, notamment le lancement du nouveau gazoduc russo-allemand Nord Stream 2, ils accusent aussi Moscou de velléités agressives contre l'Ukraine, dont elle a déjà annexé une partie du territoire, l'armée russe ayant massé quelque 175.000 soldats à la frontière avec l'Ukraine.

Moscou voit les choses différemment, affirmant au contraire vouloir assurer sa sécurité face à des "provocations" de Kiev et des Occidentaux, en référence à la possible adhésion de l'Ukraine à l'OTAN: "Comment réagirait les Etats-Unis si l'on mettait des missiles à la frontière canadienne?", s'était exclamé le président russe en réponse à des journalistes sur la probabilité d'une guerre. De fait, le président russe a présenté la semaine passée deux traités, l'un destiné aux États-Unis et l'autre à l'OTAN, résumant ses exigences pour une désescalade.

Poutine calme le jeu

Ce jeudi, le président russe Vladimir Poutine avait calmé le jeu en jugeant "positive" la réaction de Washington face aux propositions sécuritaires de Moscou qui a notamment exigé que l'OTAN et les Etats-Unis cessent leur soutien militaire à l'Ukraine.

"La balle est dans leur camp. Ils doivent nous répondre", a affirmé jeudi Vladimir Poutine, affirmant que des représentants pour des négociations à Genève début 2022 avaient déjà été désignés. "J'espère que la situation va évoluer dans ce sens", a-t-il ajouté.

Et hier, samedi, entérinant un peu plus cet accueil jugé "positif", Vladimir Poutine finissait par retirer ses troupes après plus d'un mois d'escalade militaire à la frontière ukrainienne. Jusqu'ici, ni l'Europe ni Washington ne voulaient céder à la ligne rouge tracée par la Russie que constitue l'entrée de l'Ukraine à l'Otan.

Ce dimanche, le ministère russe des Affaires étrangères, cité par l'agence TASS, a déclaré que la Russie examinait la proposition de l'OTAN l'invitant à entamer le 12 janvier des pourparlers sur ses attentes en matière de sécurité.

Le Kremlin exige principalement qu'aucune troupe ou équipement militaire supplémentaire ne soit déployé par l'OTAN en dehors des pays qui constituaient l'Alliance en mai 1997 - avant le début de l'expansion vers l'Est - sauf cas exceptionnels et en accord avec Moscou.

Lire aussi 3 mnCrise en Ukraine : Washington accepte de négocier, Moscou retire ses troupes

(avec AFP, Reuters, Euronews, Ria Novosti, Rossiya-1)

Jérôme Cristiani

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Commentaires 24
à écrit le 06/01/2022 à 22:03
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Les tensions artificielles creés par les USA et l'OTAN sur l'Ukraine n'ont que pour buts; 1) Vendre plus d' armes americaines aux pays d'Europe de l'Est Pologne ,Ukraine , Finlande ,Pays Baltes. 2) Bloquer le Gaz Russe (Nord Stream 2) pour perme...

à écrit le 02/01/2022 à 11:30
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Bonjour, un chantage sécuritaire, sans vrais enjeux.. car nous devons éviter toute Confrontations. Le but éviter la création d'un axe Chine Russie.

à écrit le 30/12/2021 à 13:25
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Bonjour, un chantage sécuritaire, sans vrais enjeux.. car nous devons éviter toute Confrontations. Le but éviter la création d'un axe Chine Russie.

à écrit le 28/12/2021 à 20:37
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Réponse non, on est libre de vendre à qui l'on veut, ce n'est pas la Russie qui va faire marcher le monde.

le 29/12/2021 à 17:57
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On peut compter sur Macron en tant que sheff de l'Europe pour monter le ton allez savoir !

à écrit le 28/12/2021 à 9:08
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Décidément, la politique est chose trop sérieuse pour la confier à des élus ou des fonctionnaires. Aller se fâcher avec un de nos fournisseurs, qui est à même de nous fournir un produit que nous avons du mal à trouver par ailleurs, et qu'il ne peut l...

à écrit le 28/12/2021 à 1:00
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Quelle folie et irresponsabilité d'avoir opté pour un tiers ! du gaz de la seule dictature russe. 10% eut été un maximum responsable. En pétrole aucun pays ne dépend pour un tiers ! d'un seul pays.

à écrit le 27/12/2021 à 18:35
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Il faudrait prendre conscience d'un énorme danger et menace que ce paquet Pognon versé à Poutine nous revient tout droit en pleine figure tout ça pour se chauffer l'hiver .Continuez comme ça et nous finirons applati par ses nouveaux jouets.

à écrit le 27/12/2021 à 12:23
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C'est un coup dure qui annonce la fin de l'Allemagne en tant que pays hub gazier Russe .Les gazoducs qui lui donneraient ce pouvoir est le Nord streams 1 dejà en service et 2 qui est contenu de son lancement par la nouvelle chancellerie . La Russie q...

à écrit le 27/12/2021 à 12:00
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Le chantage russe avec le gaz a pour contrepartie le chantage sur le droit international librement violé par VVP qui n'en saurait comprendre la signification. De même que les dernières élections russes sont trafiquées au détriment même du parti commu...

le 28/12/2021 à 18:44
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Verifiez vous même ,avec son soutien soit disant acheté, VVP est plus sutenu chez lui que Macron en France. Quand on voit la corruption ailleurs et on ne la voit pas chez nous. Nous avons aussi des ministres qui font de l'évasion, des présidents qui ...

à écrit le 27/12/2021 à 10:10
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J'avais cru comprendre que l'europe était la marionnette de l'empire américain contre le méchant Poutine . L'Amérique avait tout fait pour empêcher le gazoduc qui donnerait des revenus à Poutine .Merkel n'a pas voulu obéir à Washington et a continu...

à écrit le 27/12/2021 à 9:09
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Le renvoie du gaz a un surcout. J'espere que Macron ne va pas encore proposer à l'Allemagne de partager les frais, il en serait capable. L'Ukraine fournit une main d'oeuvre inespérée à l'Allemagne qui n'a pas fait d'enfant depuis 50 ans alors... qu'e...

le 27/12/2021 à 10:49
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D ou sortez vous vos elucubrations? Auriez vous une boule de cristal pour savoir ce que fera ou pas Macron?

à écrit le 27/12/2021 à 8:50
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Belle nouvelle démonstration que l'UE c'est l'Allemagne et l'Allemagne c'est le gaz.. Après cela certains feront des titres sur le couple franco-allemand..

le 27/12/2021 à 10:53
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Le couple franco allemand est une chimère que seuls les romantiques français pensent d actualité . L Allemagne est un pays concurrentiel de la France même si on peut s entendre sur certains sujets ou intérêts communs… l Europe est imparfaite mais au...

à écrit le 27/12/2021 à 8:09
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Une information intéressante. En effet c'est un étrange comportement des allemands en pleine crise de l'énergie et pour que le gouvernement polonais accepte sans sourciller expose comme les économie de l'Allemagne et de la Pologne sont étroitement li...

à écrit le 27/12/2021 à 7:58
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On entends plus Greenpeace… 😉 les énergies renouvelables ne font pas de pénuries, n’émettent pas de GES, coûtent moins chers, etc, etc… En attendant, ceux-sont les contribuables français, polonais et américains qui paient pour que les allemands puis...

à écrit le 27/12/2021 à 6:57
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Si les allemands ne sont pas inquiets du niveau de leurs stocks de gaz c est peut-être qu’ils ont déjà décidé d autoriser NS2, dès lors ils peuvent bien vendre au plus haut prix leurs stocks actuels à la Pologne et à l Ukraine, stocks qu ils reconsti...

à écrit le 26/12/2021 à 23:59
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Négociation avez vous dit !!! Chantage à grande échelle il faut décoder !

à écrit le 26/12/2021 à 19:31
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Une nouvelle preuve que la Russie est une dictature. Pourquoi un pays ayant acheté un produit ne pourrait pas le revendre à qui il veut?

le 26/12/2021 à 20:07
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Vous avez deja entendu parler de clauses commerciales ? Eduquez vous. Si la clause commerciale interdit la revente a d'autres pays alors c'est interdit. C'est la base d'un contrat commercial. Alors achetez vous de gros vetements en laine, car sans le...

le 27/12/2021 à 9:13
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C'est une règle commerciale internationale. Il n'est pas honnête d'acheter pour revendre dans des contrats qui ne le stipulent pas. Sinon cela s'appelle du négoce et c'est un autre type de contrat. On sait que les Allemands s'assoit dessus mais resto...

à écrit le 26/12/2021 à 19:22
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Irresponsable et fou de dépendre pour un tiers du gar russe : réduiré à 10% Max et 10% max de l'Algérie.

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