Il faut rouvrir le dossier MidCat", a plaidé, jeudi 2 juin, Dominique Mockly, le PDG de Teréga, le gestionnaire du réseau gazier du quart sud-ouest de la France, lors de la conférence annuelle de l'entreprise.
Lancé en 2013 entre la Catalogne (nord-est de l'Espagne) et le sud-est de la France, le projet d'interconnexion gazière MidCat (pour Midi-Catalogne) a été interrompu en 2019, faute d'accord sur le financement du projet et en raison de l'opposition de mouvements écologistes.
Mais, l'invasion russe de l'Ukraine change la donne. Le 6 mai dernier, la présidente de l'exécutif européen, Ursula Von der Leyen, a jugé ce projet d'interconnexion entre la France et l'Espagne comme "crucial", à l'heure où les Vingt-Sept s'attellent à se défaire du gaz russe, dont les importations financent la machine de guerre de Vladimir Poutine.
Une liaison "cruciale" selon Bruxelles
Ainsi, dans le cadre de REPowerEU, le plan à 300 milliards d'euros de Bruxelles pour se défaire du gaz russe, la présidente de la Commission européenne a indiqué vouloir privilégier "les projets transfrontaliers, comme par exemple la liaison cruciale entre le Portugal, l'Espagne et la France", soulignant "l'importance géopolitique" de cette interconnexion. "Il faut le faire maintenant", pour "nous libérer des menaces russes", a-t-elle justifié.
Un discours repris par le patron de Teréga.
"Il faut que les projets Sud-Nord soient remis sur la table", a-t-il insisté à plusieurs reprises.
"Je ne dis pas que le projet MidCat doit être réalisé, je dis qu'il faut rouvrir le dossier", nuance-t-il. Dans un contexte de crise, "ces capacités, nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas les regarder", a-t-il estimé.
Faire remonter le GNL depuis l'Espagne
Cette interconnexion permettrait, en effet, de faire transiter vers le Nord de l'Europe les importations de Gaz naturel liquéfié (GNL) de l'Espagne, qui dispose de six terminaux gaziers (installations portuaires qui permettent de regazéifier et de stocker le GNL), soit le réseau le plus important d'Europe, juste devant la France.
Ce flux Sud-Nord permettrait ainsi à l'Union européenne de diversifier son approvisionnement en gaz pour réduire sa dépendance à l'égard du gaz russe. Mais ce scénario est envisageable seulement si le réseau gazier ibérique est mieux relié au reste de l'Europe. Car l'Espagne ne possède actuellement que deux connexions avec les gazoducs français, à Irún (Pays Basque) et Larrau (Navarre). Or, ces pipelines n'ont qu'une faible capacité de livraison.
Malgré l'enjeu brûlant de la souveraineté énergétique de l'UE, le régulateur français semble, lui, toujours très réservé à l'égard de ce projet, "compte tenu du développement des terminaux méthaniers en Europe du nord, compte tenu du bon fonctionnement de nos terminaux gaziers, compte-tenu du coût..."
Le régulateur français sur la réserve
"La CRE [la commission de régulation de l'énergie] voit ce projet de plus comme un potentiel impact sur le coût payé par le consommateur. Mais, aujourd'hui, le coût de la molécule de gaz est tellement énorme que, rajouter quelques infrastructures pour faire remonter le GNL [de la péninsule ibérique, ndlr] c'est surtout une façon de maîtriser les coûts de demain", répond Dominique Mockly.
Lorsque le projet MidCat a été lancé, Teréga envisageait de construire l'interconnexion Step à travers les Pyrénées. "Step devait être seulement un morceau de MidCat avec 120 km de canalisation d'un côté de la frontière et 140 km de l'autre côté", clarifie Dominique Mockly.
"Si Step avait été approuvée en 2019, il serait aujourd'hui en service", poursuit-il.
Autre argument mis en avant : l'inversion du sens des flux depuis le début du conflit en Ukraine, ces derniers étant traditionnellement orientés vers le Sud.
"Les flux de gaz en provenance de l'Espagne vers la France utilisent le maximum de la capacité [de l'interconnexion existante, ndlr] soit 225 GWh par jour. Cela représente 6% de l'approvisionnement français en gaz depuis le début de la crise", indique le dirigeant.
Première brique de la dorsale européenne hydrogène
Reste que si le projet MidCat était relancé, plusieurs questions demeurent : les travaux de construction seront-ils assez rapides pour répondre à la crise énergétique dans les temps ? Et, que deviendront ces nouvelles infrastructures après 2050, l'Union européenne s'étant fixée comme objectif d'atteindre la neutralité carbone à cet horizon, et donc de se passer totalement du gaz naturel ?
Pour Dominique Mockly, la construction d'une nouvelle liaison entre la France et l'Espagne serait surtout l'occasion de construire "la première brique de la dorsale hydrogène européenne".
"On commence par du gaz mais il faudra que cette infrastructure soit dimensionnée ensuite pour passer à l'hydrogène. L'idée serait de rendre d'emblée cette infrastructure compatible avec l'hydrogène. Cela implique des coûts plus élevés de 10% à 15%, mais cela coûtera plus cher de le faire ultérieurement", assure-t-il.
Dans cette optique, Teréga s'apprête donc à proposer des projets européens dans le cadre de deux appels à projets qui se tiendront à la fin du mois de juin et en novembre prochain. "Il ne faut pas fermer la porte aux projets Sud-Nord. Et il ne faut pas oublier que ce qui fait la richesse d'un réseau c'est la flexibilité qu'il offre. Quand nous présentons des projets Sud-Nord, c'est pour présenter de la flexibilité", fait valoir son dirigeant.
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