Les centrales au gaz de l'UE financées à hauteur de 300 milliards d'euros depuis 2019, selon les ONG climatiques

Alors que les banques financent de moins en moins les centrales à charbon en Europe et promettent de baisser leur exposition à l’extraction des combustibles fossiles, les centrales électriques au gaz sont encore financées massivement par les banques, selon une coalition internationale d’ONG. Le secteur a reçu près de 300 milliards d'euros de prêts et de garanties bancaires depuis 2019.
Marine Godelier
(Crédits : Reuters)

Depuis quelques années, la liste des centrales à charbon devenues des actifs échoués s'allonge, notamment en Europe. Et pour cause, alors que les objectifs climatiques imposent de revoir la consommation d'hydrocarbures, de nombreux acteurs financiers se désengagent progressivement de ce marché très polluant, considéré comme non porteur.

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Au bénéfice des énergies décarbonées ? Pas toujours. Les centrales au gaz naturel utilisé pour générer de l'électricité continuent de recevoir des financements de la part des banques et autres gestionnaires d'actifs, selon l'association italienne ReCommon, l'ONG française Reclaim Finance et Beyond Fossil Fuel dans un nouveau rapport.

En effet, depuis 2019, les banques auraient financé les centrales au gaz à hauteur de 290 milliards d'euros (314 milliards de dollars). Dans le détail, au cours des quatre dernières années, 61% du soutien s'est décliné sous forme de prêts, et 39% sous forme de garantie. Cela représente le développement de « plus de 63 gigawatt » de nouvelles capacités sur le Vieux continent (l'équivalent d'environ 70 réacteurs nucléaires). Pour rappel, le scénario de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) compatible avec une hausse de 1,5°C des températures d'ici à la fin du siècle implique une électricité « neutre en carbone » dès 2035 dans les économies avancées.

Trois banques françaises parmi les plus gros contributeurs

La coalition d'ONG pointe ainsi du doigt les cinq principales banques privées soutenant le secteur européen de l'électricité générée à partir de gaz. Concrètement, il s'agit de La Caixa Group, de BNP Paribas, de Mitsubishi UFJ Financial, de Citigroup et de BBVA, qui représenteraient à elles seules « plus de 22% du soutien bancaire au secteur entre 2019 et 2022 ». Deux autres institutions financières françaises figurent dans la liste, la Société Générale et le Crédit agricole (respectivement à la 8ème et à la 10ème position).

Côté bénéficiaires, les auteurs citent, sans surprises, les plus gros producteurs de gaz sur le Vieux continent. Enel (61 milliards de dollars), Vitol SA (42 milliards de dollars), Mitsubishi Corp (25 milliards de dollars), RWE AG (25 milliards de dollars) et Engie (21 milliards de dollars) cumuleraient ainsi plus de 55 % du financement bancaire total sur la période.

Surtout, ces flux ne faiblissent pas, bien au contraire : depuis 2016, les financements aux électriciens « responsables du parc actuel de centrales » et aux « développeurs de centrales à gaz » en Europe n'ont cessé de croître, assure le rapport. Par ailleurs, sur cette même période, seuls 4,4% des services financiers des banques auraient été fléchés vers des instruments financiers « verts », c'est-à-dire où l'utilisation des produits s'aligne pleinement sur les cadres d'obligations et de prêts « verts » conçus en interne par les entreprises.

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Pas de politique de sortie

Au global, parmi les 25 banques les plus impliquées, seules HSBC, La Caixa et Société Générale appliqueraient une forme de restriction au secteur - « même si [celles-ci] sont trop faibles pour stopper l'expansion et mener à l'élimination progressive de l'électricité produite à partir du gaz », estiment les ONG. Pour La Caixa Group, elles sont « limitées aux transactions à long terme », tandis que la Société Générale a un seuil d'intensité d'émission maximum au-dessus duquel un projet de centrale thermique à cycle combiné ne peut pas être financé, « mais n'a aucune restriction pour le financement des centrales OCGT [des turbines à gaz à cycle ouvert, ndlr] de toute sorte ».

Néanmoins, ces engins n'ont vocation à fonctionner que quelques centaines d'heures par an, en complément des énergies renouvelables intermittentes, notamment. Enfin, la politique de HSBC stipule que la banque ne fournira pas de nouveau financement aux projets gaziers sans relâche, mais « cette exclusion s'accompagne d'exceptions vaguement définies », note le rapport.

« Pour ces trois banques, il existe quelques règles de conformité assez larges, qui sont un premier pas bienvenu à ce stade. Mais au global, le secteur financier ne se pose même pas la question. A la limite, il peuvent avoir mis en place des règles du côté de l'extraction du gaz, mais jamais sur son utilisation », assure Claire Maraval, chargée de campagne Transition énergétique chez Reclaim Finance.

Preuve en est : aucune des 25 banques examinées n'exclut le financement des développeurs d'électricité au gaz, selon le rapport. Les politiques existantes ne traitent souvent que du pétrole ou, « au mieux », que de l'extraction de gaz fossile.

Une stratégie encouragée par les Etats

C'est d'ailleurs le cas de BNP Paribas, lequel a pris l'engagement d'une réduction de 30% de ses financements à l'exploration et à la production de gaz d'ici à 2030, mais sans objectif chiffré concernant le soutien aux centrales à gaz. Interrogé, le groupe affirme que son « rôle » est « également de prendre en compte la réalité de la demande des entreprises et des populations », ainsi que le « rythme de transition défini par les pouvoirs publics, notamment l'Union Européenne ».

Il faut dire que le gaz reste un actif stratégique, aussi bien pour les Etats que pour les entreprises, malgré sa forte empreinte carbone (443 grammes de CO2 par kilowattheure). En 2022, l'Union européenne l'a d'ailleurs inclus parmi les « énergies de transition » dans sa taxonomie, cette liste censée aiguiller les investisseurs vers les activités durables. Et le mouvement n'a pas été freiné par la flambée historique des cours sur le marché et la guerre en Ukraine, puisque le Vieux continent se rue désormais sur le gaz naturel liquéfié (GNL), acheminé par bateaux des quatre coins du monde.

Si bien que de nombreux Etats, l'Allemagne en tête, construisent à la hâte des terminaux méthaniers afin de réceptionner le précieux combustible sur leurs côtes. Outre-Rhin, la coalition au pouvoir a d'ailleurs récemment décidé de doubler le nombre de centrales à gaz dans le pays d'ici à 2030, afin de compenser la fermeture des réacteurs nucléaires et la progressive réduction du charbon dans le mix électrique.

Investissements dans des centrales à gaz moins polluantes

BNP Paribas le justifie d'ailleurs de cette manière : début 2023, le groupe a décidé non pas de se désinvestir des centrales à gaz, mais de « se concentrer prioritairement sur celles de nouvelle génération à bas taux d'émission », « en ligne avec ce que la taxonomie européenne considère nécessaire à la transition » et la « sécurité d'approvisionnement nécessaire à la souveraineté énergétique de l'Europe ».

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Mais alors que la durée de vie des futures centrales s'étendra sur une vingtaine d'années au moins, les actifs échoués devraient se multiplier dans le secteur, comme pour le charbon. A moins, bien sûr, que le Vieux continent ne respecte pas l'échéance fixée par l'AIE d'une électricité décarbonée en 2035, enterrant par là-même l'idée d'une hausse des températures limitée à +1,5°C à l'échelle du globe.

Marine Godelier

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Commentaire 1
à écrit le 05/04/2023 à 15:20
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Les centrales à gaz à cycle combiné doivent être financées sans réserve simultanément au methaniseurs qui devra les alimenter. Serge Rochain

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