
Il y avait de l'eau dans le gaz ce jeudi, pour l'ouverture du Conseil européen exceptionnel sur les réponses à apporter à la crise de l'énergie. Car tandis qu'une partie des Etats membres, la France en tête, exige l'adoption rapide de mesures radicales afin d'enrayer la flambée des prix, d'autres traînent des pieds malgré la pression des premiers. Et notamment Berlin, qui refuse toujours fermement l'idée de plafonner les prix du gaz utilisé pour produire de l'électricité dans l'UE, à l'instar de ce qu'ont fait l'Espagne et le Portugal. Ce serait pourtant le mécanisme le plus efficace, martèle de son côté l'Hexagone, bien décidé à faire plier l'Allemagne. Laquelle peut compter sur la Commission européenne elle-même pour freiner les ambitions de Paris.
En effet, cette option se trouve à peine mentionnée par l'exécutif bruxellois dans son plan pour limiter l'envolée des prix, présenté mardi. Y sont simplement rappelées la « complexité » de sa mise en œuvre, et la nécessité de trouver une solution qui convienne à « tous les Etats membres ». Une position attentiste qui promet d'irriter le gouvernement français et d'attiser un peu plus les tensions avec l'Allemagne, déjà vives après l'adoption unilatérale d'un plan contre l'inflation de 200 milliards d'euros outre-Rhin, que la majorité des pays seront incapables d'imiter pour des raisons budgétaires.
Pire : en coulisse, les critiques fusent autour d'un supposé alignement de la Commission sur les positions de Berlin, alors que sa présidente, l'Allemande Ursula von der Leyen, n'a toujours pas réagi au méga bouclier énergétique annoncé dans son pays, et s'oppose très rarement, sinon jamais, à la politique du chancelier Olaf Scholz. « Ursula von der Leyen est-elle encore membre du gouvernement allemand ? » s'était ainsi interrogé Mateusz Morawiecki, le Premier ministre polonais, lors du sommet européen de Prague du 7 octobre dernier. De quoi fragmenter un peu plus la cohésion des Vingt-Sept, décidément mise à l'épreuve en ces temps troublés.
Des intérêts différents
Il faut dire que, malgré les semblants d'unité, les intérêts des Etats membres divergent sur la question. Et pour cause, l'Allemagne trouverait beaucoup moins son compte dans un plafonnement des prix du gaz utilisé pour générer de l'électricité que la France. En effet, il s'agirait de dédommager les opérateurs de centrales thermiques à Cycle Combiné Gaz (CCG), qui s'approvisionnent elles-mêmes en gaz et génèrent du courant à partir de cet hydrocarbure. En d'autres termes, chaque Etat subventionnerait le gaz afin d'abaisser le coût du combustible pour les CCG, afin que leurs opérateurs puissent vendre moins cher les électrons issus de cette opération.
Or, l'Hexagone produit assez peu de courant à partir de gaz, étant donné la prégnance du nucléaire dans son mix électrique. « Subventionner le gaz reviendrait donc à faire baisser le prix des électrons sans coûter trop cher à l'Etat français, puisqu'il y aurait peu de centrales à CCG à dédommager », explique Jacques Percebois, économiste et directeur du Centre de Recherche en Economie et Droit de l'Energie (CREDEN). Surtout, l'électrification des procédés y est bien plus prégnante qu'outre Rhin, pour le chauffage des bâtiments, mais aussi et surtout dans les processus industriels. À l'inverse, « l'industrie allemande utilise énormément de gaz sous forme brute, et elle ne serait pas aidée par ce mécanisme qui plafonne les prix de l'électricité produite à partir de gaz, mais pas directement le gaz en tant que tel », précise Jacques Percebois. La Belgique, les Pays-Bas ou l'Italie se trouvent d'ailleurs dans la même situation, et demandent donc plutôt une limitation globale du prix du gaz directement auprès des fournisseurs internationaux.
Tableau illisible
Et pourtant, l'Allemagne refuse également cette idée, en plus du mécanisme demandé par la France. Et pour cause, le gouvernement de coalition met en avant un autre argument : tout plafonnement des prix risquerait de braquer les producteurs de gaz, qui pourraient décider de réorienter les flux ailleurs qu'en Europe.
En résulte un tableau illisible à l'échelle de l'Union avec, d'un côté, la France, l'Espagne, le Portugal, les pays baltes, la Roumanie ou la Suède, qui plaident ardemment pour subventionner les centrales à CCG, de l'autre, la Belgique et l'Italie, qui souhaitent obtenir en même temps un plafonnement général des prix du gaz, et, enfin, l'Allemagne et les Pays-Bas, réfractaires aux deux. Une chose est sûre : au Conseil européen, qui se clôturera vendredi, l'atmosphère promet d'être électrique...
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