Nucléaire : pourquoi les Français y sont encore plus favorables

DOSSIER SPÉCIAL. Déjà très positive en France, l’image de l’atome civil s’est largement améliorée au cours des derniers mois. Le nucléaire est soutenu majoritairement, y compris dans les segments politiques habituellement opposés. L’urgence climatique, portée notamment par Jean-Marc Jancovici, les inquiétudes sur la sécurité d’approvisionnement liées à la guerre en Ukraine et la hausse des prix de l’énergie ont indéniablement joué. Mais un mouvement très structuré et opéré depuis plusieurs années sur Twitter est aussi à l'œuvre.
Juliette Raynal
(Crédits : Wikimedia Commons)

En 2022, le livre le plus vendu n'est pas un roman signé Guillaume Musso, Marc Levy ou Virginie Grimaldie. Ce n'est ni un Prix Goncourt, ni même un énième tome d'Astérix. Non, c'est une BD dense de près de 200 pages sur la crise climatique : Le Monde sans fin, de Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici, ingénieur star auprès des étudiants, devenu un véritable gourou du climat.

Le vision pro-nucléaire que défend cet expert des questions énergétiques dans son ouvrage et dans ses vidéos Youtube visionnées des millions de fois, a-t-elle joué sur l'opinion des Français, vis-à-vis de l'atome civil ? Très certainement, s'accordent à répondre de nombreux observateurs.

« Il a une influence colossale. Ses audiences sont gigantesques. Il a opéré une conversion en emmenant, d'un côté, les ingénieurs pro-nucléaires vers la cause climatique et, de l'autre, les personnes concernées par le changement climatique vers un réalisme d'ingénieurs », analyse Justin Poncet, fondateur et dirigeant d'Opsci, institut spécialisé dans l'étude de l'opinion publique à travers les traces laissées en ligne.

En septembre dernier, 65% des personnes sondées par l'institut Ifop pour le Journal du Dimanche se montraient favorables à la construction des six nouveaux réacteurs nucléaires soutenue par le gouvernement, contre 51% un an auparavant. Soit une progression de 14 points, alors même que près de la moitié du parc nucléaire tricolore était à l'arrêt en raison de problèmes de corrosion et de lourdes opérations de maintenance. Par ailleurs, 46 % des Français sont désormais opposés à la fermeture des centrales nucléaires, soit 14 points de plus que l'année précédente, selon le dernier baromètre de l'Institut de radioprotection et de la sûreté nucléaire (IRSN).

Plus largement, 75% des personnes interrogées se disent favorables au nucléaire, d'après l'enquête Ifop. Même chez les sondés proches politiquement de La France insoumise (56%) et d'Europe Ecologie Les Verts (53%), le soutien à l'énergie nucléaire est majoritaire. « Cela montre un décalage entre ce qu'affirment les partis, leur corpus, et ce que pensent leurs militants », pointe Thomas Pierre, chargé d'étude chez Ifop.

75% de Français favorables

Comment expliquer des scores aussi élevés et cette nette progression ?

« Historiquement, les Français ont toujours été favorables au nucléaire. Nous sommes le pays le plus nucléarisé au monde. C'est intégré dans nos mœurs. Le nucléaire est très estimé par les plus de 65 ans, qui ont la nostalgie d'une grandeur passée », rappelle Thomas Pierre.

En temps normal, le nucléaire contribue, en effet, à environ 70% de la production de l'électricité dans l'Hexagone. A titre de comparaison, les 92 réacteurs américains ne représentent qu'environ 18% du mix électrique du pays.

« Quant à l'évolution de 14 points, elle est évidemment liée à l'actualité et à la guerre en Ukraine qui a exacerbé la flambée des prix de l'énergie et mis en lumière les risques sur la sécurité d'approvisionnement. Les Français savent qu'il faut faire du nucléaire, » commente le sondeur. « Nous n'avons pas de chiffres plus récents, mais je fais le pari qu'ils seraient encore en augmentation aujourd'hui, maintenant que de nombreux réacteurs ont été reconnectés au réseau », ajoute-t-il.

Le soutien des Français à l'énergie nucléaire se renforce de 13 points en an, nourri par une image de filière offrant performance et indépendance, pointe également l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), commentant les résultats de son baromètre 2022.

Pragmatisme climatique

Outre les raisons économiques et géopolitiques, cette adhésion encore plus prononcée pour le nucléaire chez les Français semble également s'expliquer par un certain pragmatisme face à l'urgence climatique. En effet, le nucléaire n'émet que 6 grammes de CO2 par kilowattheure, contre en moyenne 9 grammes pour une éolienne, 55 grammes pour un panneau solaire et 443 grammes pour un kilowattheure d'électricité produite à partir du gaz naturel. Le nucléaire a aussi le grand avantage d'être pilotable, à la différence des énergies renouvelables.

« On explique l'évolution de la perception du nucléaire par la montée de l'urgence climatique. Pour beaucoup de personnes avec qui on échange, le nucléaire est un mal nécessaire », rapporte Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France. « Cela nous oblige à réexpliquer notre posture pour tenter de convaincre que notre positionnement contre le nucléaire n'est pas dogmatique. Compte tenu des temps de développement, le nucléaire ne va pas nous aider à baisser nos émissions de CO2 de 55% à l'horizon 2030. D'ailleurs, le nucléaire n'est pas le chemin pris par une immense majorité des pays », poursuit-il.

Même réaction du côté de l'association négaWatt, qui défend un scénario énergétique composé exclusivement d'énergies renouvelables à l'horizon 2050. « Pour nous, considérer que le nucléaire est un mal nécessaire pour le climat est une erreur de jugement. Tout effort investi dans le nucléaire, c'est détourner des ressources qui pourraient être affectées au développement des renouvelables », argue Yves Marignac, expert nucléaire et porte-parole de négaWatt.

Sur Twitter, le grand switch

Les militants antinucléaires ont ainsi dû faire face à l'émergence d'une communauté pronucléaire sur les réseaux sociaux, et en particulier sur Twitter, réseau social qui concentre et exacerbe les débats « pour ou contre ».

« Nous avons analysé les expressions issues de Twitter de 2009 à 2022. En collectant des millions d'expressions, nous avons pu démontrer qu'il y avait eu une grande rupture sur les narratifs autour du nucléaire. Ce phénomène s'observe à partir de 2016, 2017. Puis on constate un retournement complet en 2018. Avant, les discussions étaient essentiellement concentrées sur le risque nucléaire lié aux accidents de Fukushima et de Tchernobyl avec un accroissement notable à chaque date anniversaire. Ces discussions ont laissé place à une nouvelle parole qui associe le nucléaire à une opportunité dans le cadre du combat pour le climat. Le rapport de force s'est inversé avec désormais deux tiers du vocal sur l'opportunité que représente le nucléaire, expose Justin Poncet. Il y a quelque chose de très manifeste : les acteurs qui sont apparus à ce moment-là, se sont mutuellement entraidés et ont permis de faire bloc contre une ambiance initiale qui était plutôt antinucléaire », assure-t-il.

Au même moment, l'association des Voix du nucléaire, fondée en 2018 par Myrto Tripathi, voit le jour. Ancienne salariée de l'industrie nucléaire, (elle a travaillé dix ans chez Areva et Framatome), passée ensuite par le circuit des conférences pour le climat, cette militante se bat pour la reconnaissance du nucléaire dans la transition énergétique.

« Je me suis rendue compte qu'au sein des COOP, le nucléaire était complètement tabou. C'était indicible. Or, c'est du mensonge par omission de ne pas parler du nucléaire quand on parle du climat. Il fallait faire en sorte que cette conversation puisse avoir lieu et j'ai réalisé que la société civile avait un rôle dingue à jouer. Mon objectif n'était pas de renverser l'opinion, mais de montrer qu'on pouvait être citoyen et pronucléaire », raconte-t-elle.

Les débuts de l'association n'ont pas été simples. « On se faisait verbalement attaquer par les autres organisations », se remémore la fondatrice en évoquant sa première Marche pour le climat, en 2019. Début janvier, au lancement de la campagne d'adhésion 2023, les Voix du nucléaire revendiquait quelque 400 membres, essentiellement des ingénieurs et des scientifiques, « dont plus de la moitié n'ont rien à voir avec la filière nucléaire », souligne celle qui défend aussi le développement des énergies renouvelables. Une goutte d'eau par rapport aux 230.000 adhérents que comptent Greenpeace France.

Reste que sur Twitter, les dimensions changent d'échelle. « On draine entre 60 et 100.000 personnes, qui nous suivent, réagissent et s'abonnent. C'est une communauté attentive », explique la militante.

« Le cœur du réacteur c'est seulement quelques dizaines de comptes très investis dans le débat avec beaucoup d'informations, qui génèrent énormément d'engagements. Il y a toute une galaxie de comptes qui ne sont pas forcément vocaux, mais qui vont venir liker et retweeter, » confirme Justin Poncet.

Peu prisé du grand public, Twitter n'est pas le miroir de l'opinion de la majorité Français, certes. Mais, « une hypothèse très forte est que nous avons assisté à l'utilisation du levier Twitter pour braquer l'attention sur le sujet. Cela a été repris par les médias et les leaders politiques », souligne-t-il.

La chasse à la désinformation

Sur le réseau social, les membres actifs des Voix du nucléaire, à l'image de Tristan Kamin, ingénieur en sûreté nucléaire, s'attachent à démonter les fausses informations autour de l'atome civil. Son compte dénombre plus de 120.000 tweets, parfois extrêmement pointus.

« La désinformation est telle que des éléments de désinformation sont devenus des faits dans la tête des gens », regrette Myrtho Tripathi, en citant pêle-mêle le fait que le nucléaire émette beaucoup de gaz à effet de serre,  le « mythe » des morts de Fukushima ou encore le mauvais état de la centrale de Fessenheim avant sa fermeture.

« Le niveau actuel d'informations sur le nucléaire, on ne l'accepterait plus sur le climat et sur d'autres sujets environnementaux », s'indigne également Rodolphe Meyer, ingénieur et docteur en sciences de l'environnement, fondateur de la chaîne Le Réveilleur sur Youtube. Ce vulgarisateur scientifique qualifie même certains documentaires diffusés sur des chaînes grand public de « masterclasses de désinformation ». Sur sa chaîne, il explique s'attacher à être « le plus objectif possible, même si cela est inatteignable ». Ses vidéos, d'une quarantaine de minutes, sont parfois le fruit de plus de 150 heures de travail de documentation, affirme-t-il.

« Je sais qu'il y a des personnes qui ont changé d'opinion après avoir visionné mes vidéos sur le nucléaire », avance-t-il. « Je pense que la bascule s'opère sur le ventre mou, c'est-à-dire les personnes qui n'avaient pas vraiment d'opinion, qui, à cause d'un choc exogène [la crise de l'énergie et les enjeux d'indépendance énergétique notamment, ndlr] se saisissent d'éléments de discours mis en place depuis plusieurs années », explique-t-il.

La bascule opère toutefois moins chez les jeunes et les femmes. D'après le sondage Ifop, seuls 55% des 18-24 ans sont favorables à la construction de nouveaux réacteurs en France, contre 68% chez les plus de 35 ans. De même, seules 68% des femmes sondées soutiennent l'énergie nucléaire en France, soit 15 points de moins que les hommes.

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Commentaires 5
à écrit le 14/05/2023 à 16:05
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Les epr peuvent effectivement durer 150 ans sans problème. L'investissement de départ (même 24 milliards par centrale) est donc largement amorti s'il sagit bien de comptabiliser 800 millions de résultat annuel par unité in fine.

à écrit le 14/03/2023 à 15:24
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Les français y sont favorable sans plus, depuis la construction de notre premiere centrale, pour notre indépendance énergétique et notre compétitivité à l'export ! Mais tout cela a été saboter par notre entré dans cette coalition qu'est l'UE de Bruxe...

à écrit le 14/03/2023 à 15:21
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Il y sont favorable, sans plus, depuis la construction de notre premiere centrale, pour notre indépendance énergétique et notre compétitivité à l'export ! Mais tout cela a été saboter par notre entré dans cette coalition qu'est l'UE de Bruxelles !

à écrit le 14/03/2023 à 12:09
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Malheureusement les français se trompent toujours depuis 42 ans. Le fait que la majorité des français soutienne le nucléaire est donc un bon argument contre le nucléaire.

à écrit le 14/03/2023 à 9:58
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Le vrai souci des ENR et des détracteurs du nucléaire en France c'est qu'on s'aperçoit que le nucléaire bashing ne tient pas la route. On peut parler de Negawatt, le vrai souci c'est que leur analyse est biaisée et ne prend pas en compte le besoin...

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