Panneaux photovoltaïques : Chine, Etats-Unis, Inde… le risque d'une dépendance sans fin pour l'UE

L'Union européenne et ses Etats membres doivent se réveiller pour mettre en place une forte politique industrielle afin de se détacher de leur dépendance à l'égard de la Chine sur le marché du photovoltaïque. Le temps presse alors que les tensions géopolitiques s'accroissent et que les Etats-Unis et l'Inde pourraient aspirer les projets de nouvelles usines.
Juliette Raynal
(Crédits : A.Gaulupeau / Groupe ADP)

L'Europe doit rapidement mettre en place des « politiques interventionnistes et de protection » pour redémarrer son industrie photovoltaïque. C'est en substance la recommandation principale de l'Académie des technologies, dans une note publiée mardi 11 avril. Son co-auteur, Jean-Pierre Chevalier, a ainsi appelé à « des actions très volontaristes ». De la part d'un membre de cette société savante indépendante, longtemps réputée pour son aversion à l'énergie solaire, ces déclarations sont loin d'être anodines.

Aujourd'hui, le marché des panneaux photovoltaïques est ultra-dominé par la Chine. Le pays produit 80% des composants dans le monde. Et, en Europe, 96% des galettes de silicium, élément-clé du panneau photovoltaïque, proviennent de Chine.

Comment en est-on arrivé là ? « Le panneau solaire n'est pas un marché de haute technologie mais un marché de volumes. Les fabricants de panneaux photovoltaïques sont en réalité proches de traders de matières premières. Plus on est capable d'acheter de gros volumes au bon moment, plus on est en mesure d'obtenir des prix bas et plus on est capable d'être compétitifs », expose Corentin Sivy, expert en politiques énergétiques.

Une stratégie de volumes aux mains des Chinois

Cette stratégie de volumes, la Chine l'a comprise il y a dix ans déjà. Alors qu'en France et en Europe, les usines produisaient quelques centaines de mégawatts de photovoltaïque par an, les Chinois ont construit des usines géantes capables de produire plusieurs milliers de mégawatts chaque année. La Chine a ainsi investi près de 50 milliards de dollars au cours de la dernière décennie dans son industrie photovoltaïque, soit dix fois plus que les investissements réalisés en Europe. « En construisant des capacités de production très largement supérieures à la demande mondiale, ils ont fait plonger les prix et ont tué les concurrents », retrace Damien Salel, expert du photovoltaïque et des réseaux.

Ainsi, contrairement aux idées reçues, les prix très compétitifs de la Chine ne résultent pas d'un faible coût du travail. Ils tiennent de la taille géante de ses usines, qui ont permis de réaliser des économies d'échelle considérables, d'un coût du capital très bas, en raison de prêts bancaires très peu chers, et d'une intégration verticale de son industrie.

Outre cette compétitivité prix incontestable, les industriels chinois sont parvenus à produire des modules photovoltaïques de grande qualité, en s'équipant de machines outils fabriquées en... Allemagne. Des machines essentiellement dédiées à l'export vers la Chine et non vers le marché européen compte tenu de la faiblesse de la filière industrielle.

L'Europe ne part pas de zéro

Pour autant, le tissu industriel sur le Vieux Continent n'est pas totalement inexistant. « On ne part pas de rien. Un tissu industriel existe, même s'il est encore trop petit », a souligné devant la presse Jean-Pierre Chevalier de l'Académie des technologies. Si les dix plus gros équipementiers se situent en Chine, l'Europe peut notamment compter sur un acteur majeur : l'Allemand Wacker, spécialisé dans la fabrication du polysilicium, l'une des premières étapes de la chaîne de valeur après l'extraction du silicium. Le norvégien Norsun est, lui, spécialisé dans la fabrication de lingots et de galettes de silicium. L'italien Enel produit, pour sa part, ses propres cellules photovoltaïques, le composant clé d'un module solaire permettant de transformer la lumière en électricité.

La France, elle-même, dispose d'une capacité de production de panneaux photovoltaïques non négligeable. Il y a deux ans, ses capacités de production s'élevaient à environ 850 mégawatts (MW). La même année, quelque 960 MW de panneaux photovoltaïques étaient raccordés au réseau dans l'Hexagone. Voltec Solar, basé en Alsace, est un des plus gros acteurs tricolores. « Aujourd'hui, on peut considérer que les capacités de production se situent aux alentours du gigawatt », avance même Philippe Malbranche, expert scientifique indépendant et ancien directeur général de l'Institut national de l'énergie solaire (Ines). C'est l'équivalent, peu ou prou, d'un réacteur nucléaire.

Plusieurs bémols toutefois. Ces chiffres correspondent à une capacité de production et non à la production réelle, qui reste confidentielle. Selon certains experts, elle devrait être moitié moins importante. Ensuite, les capacités de production de la France se concentrent sur l'aval de la chaîne de valeur, c'est-à-dire l'assemblage des cellules photovoltaïques en modules. Les composants intermédiaires, eux, sont importés, essentiellement depuis la Chine. Autrement dit, actuellement l'Hexagone ne produit ni polysilicium, ni lingot, ni galette de silicium. Par ailleurs, de nombreux acteurs français se sont spécialisés sur des marchés de niche en assemblant des modules bien spécifiques, comme, par exemple, des panneaux hybrides combinant des cellules photovoltaïques et des systèmes de chaleur solaire.

Tensions géopolitiques accrues

Or, pour respecter nos objectifs climatiques, nous devons nous équiper massivement de panneaux solaires classiques. « Selon nos estimations, basées sur le rapport Futurs Énergétiques 2050 de RTE [le gestionnaire des lignes à haute tension, ndlr], la France devra disposer de 100 à 200 gigawatts de capacités photovoltaïques à l'horizon 2050. Si l'on prend la fourchette haute de 200 GW, cela signifie qu'il faut ajouter 6 GW de capacités photovoltaïques par an, entre maintenant et 2050 », explique Simon Perraud, directeur adjoint de l'institut Liten du CEA. « A 20 centimes le watt, cela représente, rien que pour s'approvisionner en modules photovoltaïques, un marché de l'ordre du milliard d'euros », complète-t-il.

A l'heure où la France s'interroge sur les raisons de la perte de sa souveraineté énergétique et où le contexte géopolitique continue de se tendre, notamment entre Taïwan et la Chine, cette dépendance devient de moins en moins tenable. « Dans une logique de rétorsion, la Chine peut, à tout moment, décider de bloquer l'envoi de certains composants, comme les galettes de silicium et les cellules photovoltaïques. C'est une menace qui plane », prévient Corentin Sivy. « Nous devons tirer des leçons de l'invasion russe de l'Ukraine et de notre dépendance au gaz », ajoute Damien Salel. « Il faut que nous soyons maîtres de notre production de galettes de silicium », renchérit Jean-Pierre Chevalier de l'Académie des technologies.

La donne pourrait toutefois changer. La jeune pousse lyonnaise Carbon entend bâtir à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) une gigafactory d'une capacité de 5 GW de lingots, galettes, cellules et modules photovoltaïques à l'horizon 2025. Voltec Solar, lui aussi, souhaite accroître ses capacités avec 5 GW par an visés à l'horizon 2030. « Tout le monde attend le moment de basculement. Mais le pas de l'investissement n'a pas encore été franchi », observe Jean-Pierre Chevalier.

Les Etats-Unis et l'Inde dans les starting-blocks

Pour que ces projets industriels aboutissent, la France et l'Union européenne doivent absolument mettre en place des politiques volontaristes fortes, au risque, sinon, de passer d'une dépendance chinoise à une autre. En effet, selon de nombreux experts, la menace que ces investissements fuitent vers les Etats-Unis ou l'Inde est réelle. Le cas du norvégien REC est emblématique. L'industriel, qui prévoyait d'ouvrir une gigafactory à Hambach en Moselle, a finalement renoncé pour la construire en Inde. Il planche désormais sur un projet pilote outre-Atlantique.

L'IRA, le vaste plan adopté par l'administration Biden l'été dernier, pourrait absorber de nombreux autres projets européens, tant les conditions pour développer des projets industriels en faveur du climat sont devenues attractives. Du solaire à l'automobile, en passant par l'éolien, l'hydrogène, l'extraction et le recyclage, quelque 200 projets d'usines sont déjà en cours outre-Atlantique. « Pour chaque étape, il y a une subvention. Au total, entre un quart et un tiers du panneau photovoltaïque est subventionné », souligne Corentin Sivy.

« En cas de tensions géopolitiques accrues, ces pays serviront en priorité leurs marchés domestiques. C'est une évidence », s'inquiète Philippe Malbranche. « Or, le photovoltaïque n'est pas destiné uniquement aux centrales au sol, il équipera aussi les toitures, les balcons, nos véhicules. Cette souveraineté est une source importante de leadership dans de nombreux autres secteurs », affirme-t-il.

« Le projet Net-Zero Industry Act proposé par la Commission européenne reste très insuffisant par rapport à ce que font l'Inde et les Etats-Unis, qui sont désormais en capacité d'être compétitifs vis-à-vis de la Chine», regrette Damien Salel. L'Europe souffre de l'absence d'une stratégie industrielle forte, estime, pour sa part, l'Académie des technologies, qui insiste sur l'importance d'une politique d'achat coordonnée. « L'IRA reste un vrai défi. Il faut un réveil de l'Europe et des Etats membres », abonde Simon Perraud.

Des milliers d'emplois en jeu

Optimiste, le directeur adjoint de l'institut Liten du CEA identifie toutefois plusieurs atouts du Vieux Continent. « L'énergéticien italien Enel dispose actuellement d'une capacité de production de cellules et de modules d'environ 200 MW par an et il va passer à 3 GW. Ce sont les bonnes échelles et cela nous rend très optimistes sur ce qui est possible de faire en Europe ». Selon lui, le mouvement engagé dans le secteur de la batterie est également motif d'espoir. « Il y a encore 5 ou 6 ans, il n'y avait quasiment rien en Europe. Désormais, une vraie industrie se met en place. Il n'y a pas de raison qu'on ne puisse pas le répliquer pour le photovoltaïque ». Il juge accessibles les investissements nécessaires pour relocaliser l'intégralité de la chaîne de valeur en Europe. Ils se chiffreraient à quelques dizaines de milliards d'euros.

Selon les estimations de l'AIE, une relocalisation de la chaîne de production en Europe conduirait à une augmentation du coût du module de 40%. « A première vue, cela peut paraître beaucoup, mais si l'on raisonne sur l'ensemble du coût d'une installation complète [qui comprend aussi l'onduleur, les câbles, le raccordement, etc, ndlr] cela ne représenterait qu'une hausse de l'ordre de 10% à 20% », explique Damien Salel. Pas de quoi bloquer, selon lui, le déploiement des capacités solaires sur le Vieux Continent. Cette relocalisation s'accompagnerait, par ailleurs, de milliers de nouveaux emplois. Une dimension déterminante pour favoriser l'acceptabilité de la transition énergétique.

Juliette Raynal

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Commentaires 12
à écrit le 15/04/2023 à 10:02
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l europe et macron parlent parlent parlent ... et ensuite... rien comme la gigafactory en Moselle. mais détruire l industrie ça ils savent .pour moins polluer et retourner dans les grottes .. la fameuse décroissance verte. fermons les centrales nucl...

à écrit le 15/04/2023 à 7:08
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La fin des panneaux solaires en Europe a été décidée probablement dans les bureaux de Mercedes où BMW,

à écrit le 14/04/2023 à 21:38
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L'avance de la Chine dans ce domaine n'est rattrapable qu'avec un saut technologique réellement majeur. Aucun des progrès réalisés en laboratoire ne permet d'envisager un tel saut.

à écrit le 14/04/2023 à 18:58
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Déjà on n' a pas d'eau en France et faire des wafer c'est extrêmement gourmand en eau. La Chine à mis 50 milliards. Des petits joueurs dans l'investissement nos amis asiatiques. La France elle, a investi 3000 milliards dans une belle dette confortabl...

à écrit le 14/04/2023 à 17:44
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Des panneaux solaires, oui, mais sur les toits des bâtiments pour rendre un peu plus indépendant le consommateur.

le 14/04/2023 à 20:19
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on aurait du oter les impots sur tout le materiel des paneaux solaires et pompes a chaleur, permettre de revendre l exces de production, permettre le compteur reverse (interdit par l UE) pour favoriser l autoconsommation. Sans impots excessifs et vu ...

le 14/04/2023 à 20:21
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on aurait du oter les impots sur tout le materiel des paneaux solaires et pompes a chaleur, permettre de revendre l exces de production, permettre le compteur reverse (interdit par l UE) pour favoriser l autoconsommation. Sans impots excessifs et vu ...

à écrit le 14/04/2023 à 15:56
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Le photovoltaique est, et restera une énergie d'appoint marginale et intermittente. Un truc sympathique, ni écologique, ni rentable, et surtout moche dans le paysage. Un truc un peu comme la voiture électrique à 45 000 euros.🤣

le 14/04/2023 à 16:30
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Ca reste a voir, comme l ecrit l article, le prix des panneaux a chuté et donc le prix de l electricte genere par ces panneaux aussi. Apres c est bien joli de dire qu il faut subventionner une industrie (appellons un chat un chat), mais il faut bien ...

à écrit le 14/04/2023 à 14:49
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Ca fait juste plusieurs années que j'entends parler qu'une méga usine photovoltaïque en France, substrats, cellules et tout et tout. Et puis rien de rien. C'était sur une technologie du CEA et investissements chinois dans du nordique. Déjà y'avait ...

à écrit le 14/04/2023 à 7:04
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Bonjour, Bon le but de la reindustrialisation de notre pays est : De donné du travail au français. Favoriser d'indépendance économique. Développement d'une souveraineté.. Maintenant, ils n'y a pas en europe de demarche d'unions des pays ... ...

le 14/04/2023 à 10:22
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"pas en Europe de démarche d'unions des pays" ben non, à 27 cultures, langues et valeurs différentes (vs l'histoire de chacun, de l'est à l'ouest) c'est compliqué, ça sera long, mais plus 'facile' une fois la GB partie, elle bloquait tout ce qui lui ...

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