Depuis la pandémie du Covid-19 et la crise énergétique qui ont mené à un retour de l'inflation à un niveau inédit depuis des décennies, toutes les boussoles pour interpréter l'évolution de l'économie mondiale semblent avoir perdu le nord, et mener à des effets pervers.
Parmi ces phénomènes figure la déconnexion entre les prix élevés du baril de pétrole et la hausse des investissements dans le secteur. Habituellement, en particulier sur les marchés des matières premières, les prix élevés suscitent l'intérêt de relancer de nouvelles capacités de production. « Les dépenses d'investissement sont en hausse, mais ce n'est pas suffisant », alertait il y a deux semaines, Christyan Malek, directeur de la stratégie sur l'énergie, chez JP Morgan, dans un entretien accordé à S&P Global. Selon lui, une offre limitée par rapport à la demande mondiale au cours de la prochaine décennie représente un risque réel.
-
-
Prix moyen du baril supérieur de 40% par rapport à 2021
Cette année, le prix moyen du baril de Brent, la référence internationale, se situe 40% au-dessus de celui de 2021, notamment en raison de la guerre en Ukraine et des sanctions imposées à l'un des plus importants exportateurs de pétrole, la Russie. Ce vendredi, il évoluait autour des 97 dollars. Malgré cette envolée des cours, et des bénéfices faramineux engrangés par les producteurs, le montant des investissements n'a que très marginalement augmenté, de 13% cette année - mais il avait peu évolué l'année dernière -, et il reste inférieur de 45% à son pic de 2014, relève l'expert de JP Morgan.
Selon les calculs de la banque d'investissement américaine, le prix moyen du baril pourrait s'établir à 80 dollars en 2023, en raison de la récession de l'économie mondiale, notamment aux Etats-Unis et en Europe. Il pourrait même atteindre un pic à 150 dollars, dans un scénario où l'Opep+ n'atteint pas son objectif de production et où la croissance de la production du pétrole de schiste aux Etats-Unis et au Canada continue de ralentir.
A contrario, en cas de forte récession, et de réduction de la demande pétrolière entraînant une chute des cours, « les acteurs du secteur réduiraient considérablement les dépenses d'investissement et ne financeraient que peu de nouveaux projets jusqu'à ce qu'il y ait une reprise de la demande et une hausse des prix de pétrole », avertit de son côté René Santos, analyste chez S&P Global Commodity Insights.
La hausse des coûts de production
La banque JP Morgan n'est pas la seule à s'alarmer. Dans son dernier rapport annuel sur les perspectives mondiales sur l'énergie, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a calculé qu'il faudrait investir chaque année entre 350 milliards et 580 milliards de dollars par an jusqu'à 2030, selon les trois scénarios élaborés par l'agence. En 2022, cet investissement a atteint 450 milliards de dollars, ce qui le situe dans la moyenne annuelle depuis 2018, il n'avait été que de 350 milliards de dollars en 2021 (voir graphique).
-
-
De quoi à peine couvrir les besoins du scénario le plus optimiste - celui où il y a une accélération des investissements dans les énergies renouvelables bien supérieures aux engagements pris par les gouvernements. Or, ces investissements pourraient même être inférieurs aux objectifs, car le secteur pétrolier va devoir composer avec un renchérissement des coûts de production (matières premières, énergie, personnel) mais aussi du coût de l'argent, à cause de la remontée rapide des taux impulsée par la Fed, qui auront un impact négatif sur un secteur à forte intensité capitalistique.
D'autant que, dans son scénario le plus pessimiste, l'AIE prévoit que le pic de la demande mondiale de brut pourrait être atteint en 2035 à 103,2 mb/j, selon la projection la plus pessimiste.
L'Amérique du nord, une des clés du problème
L'une des clés pour répondre à ce problème de futures capacités se situe aux Etats-Unis, le premier producteur mondial. Or les relations entre Joe Biden et les majors pétrolières ne sont pas au beau fixe. Le président leur reproche depuis des mois de ne pas augmenter leur production alors qu'elles engrangent des bénéfices records. Ces dernières mettent en avant la pression exercée sur elles pour réduire leurs extractions. De fait, la production des Etats-Unis qui avait atteint un pic de 13 mb/j en 2020 se situe 1 mb/j inférieur aujourd'hui (voir graphique). Et en 2023, l'augmentation s'annonce modeste.
-
-
De son côté, dans son rapport annuel sur les perspectives énergétiques mondiales, l'Opep estime qu'en raison d'une demande en hausse en moyenne de 13 mb/j sur la période 2021-2045, et étant donné le déclin naturel des gisements actuels, des engagements significatifs pour soutenir une nouvelle production nette et la capacité de raffinage sera nécessaire. D'ores et déjà, elle a été révisée à la hausse par rapport à l'estimation du rapport de 2021. 12.100 milliards de dollars devront être investis nécessaires sur la période 2022-2045 pour y répondre, soit 526 milliards de dollars par an (y compris les investissements dans les capacités de raffinage et la distribution).
Or, selon les experts de l'organisation, la part d'investissement la plus importante doit être réalisée dans les prochaines années par l'Amérique du nord. Le montant doit passer de quelque 241 milliards de dollars en 2022 à un pic de 260 milliards en 2028, avant que le pic de production ne soit atteint (voir graphique).
-
-
Si ces investissements ne sont pas réalisés, la transition énergétique devra s'adapter à de nouveaux chocs inattendus, à l'instar de la guerre en Ukraine, qui chamboule le marché mondial de l'énergie.
Signe des temps, Larry Fink, patron du plus important gestionnaire d'actifs, BlackRock, qui claironnait en janvier 2020 la nécessité de « verdir » au plus vite ses investissements, apparaît aujourd'hui plus prudent. A la mi-octobre, il indiquait qu'il ne fallait surtout pas stopper les investissements dans le charbon, le pétrole et le gaz!
Sujets les + commentés