Renouvelables : le boom de l'achat direct d'électricité

ENQUÊTE. La France est à son tour gagnée par les « corporate PPA », ces contrats de longue durée et à un tarif garanti portant sur de l'électricité verte, passés entre un producteur et une entreprise consommatrice.
Dominique Pialot
Les PPA sont aussi un moyen pour les fournisseurs de sécuriser le financement de nouvelles capacités de production.
Les PPA sont aussi un moyen pour les fournisseurs de sécuriser le financement de nouvelles capacités de production. (Crédits : iStock)

« Les PPA représenteront 50% de notre développement dans les énergies renouvelables des trois prochaines années », affirmait Gwenaelle Huet, responsable de cette activité pour Engie, lors de la présentation, fin février, des résultats du groupe. À terme, estime-t-elle, cette proportion pourrait représenter les deux tiers des nouvelles capacités développées par l'ex-GDF-Suez qui en a conclu plusieurs de ces contrats ces dernières années notamment aux États-Unis.

Ces Power Purchase Agreements (PPA), ou contrats d'achat direct, se nouent sur une longue durée (de trois à vingt ans) à un tarif garanti entre un producteur-fournisseur et un acheteur-consommateur. Qu'il s'agisse d'une entreprise, d'une collectivité, voire d'une entité de type campus universitaire, le terme communément admis reste celui de corporate PPA.

Les volumes d'énergie verte ayant été commercialisés de cette façon ont atteint 13,4 gigawatts (GW) en 2018, deux fois plus qu'en 2017, et... 13 fois plus qu'en 2008. Les États-Unis, où se sont développés les premiers PPA, restent une terre promise, avec 60% des volumes concernés. Mais ce type de contrat d'un genre nouveau séduit peu à peu toutes les régions du monde. Pas moins de 120 entreprises dans 21 pays en ont ainsi contracté en 2018. L'Europe compte pour deux des treize GW signés, essentiellement dans les pays scandinaves, et parfois avec des producteurs français tels que Neoen, qui a conclu un contrat pour 81 megawatts (MW) d'éolien l'été dernier en Finlande avec Google, pionnier du genre. Le contexte scandinave (notamment taxe carbone élevée et avantages fiscaux) est particulièrement favorable.

Plus récemment, la Pologne, ainsi que l'Espagne et l'Italie ont fait leurs premiers pas sur ce nouveau marché, bientôt suivies par la France. Pour Marc Oman, senior energy lead chez Google, « l'approche s'est beaucoup industrialisée en dix ans ».

EDF, via sa filiale Agregio, a annoncé, en mars dernier, un PPA de 25 GW sur trois ans avec le distributeur Metro, qui s'engage à racheter la totalité de la production d'un parc éolien exploité par Eurowatt depuis plus de quinze ans, et qui ne bénéficie donc plus de l'obligation d'achat. Ce type de contrats permet d'assurer la vente de sa production à prix garanti pour quelques années supplémentaires. Mais ces PPA destinés aux parcs sortis d'obligation d'achat ne représentent qu'un cas de figure parmi d'autres.

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Energies renouvelables

[Source : Bloomberg NEF]

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Des projets déjà bien avancés

Les PPA sont également un moyen de financer de nouvelles capacités de production. Dans ce cas, « ils permettent au fournisseur de construire l'actif et au consommateur de garantir la compétitivité de son approvisionnement sur le long terme », résume Gwenaelle Huet.

Pour autant, afin de trouver preneur, les projets doivent avoir déjà franchi quelques étapes. « Nous les sélectionnons en fonction des développeurs, de l'acceptabilité locale et des modalités proposées », témoigne Marc Oman pour Google. Ils doivent donc notamment avoir obtenu leurs permis de construire. Chez Google, les contrats sont en général signés pour dix ans, « une durée suffisante pour rentabiliser l'investissement, mais pas trop longue pour ne pas se priver d'éventuelles ruptures technologiques ».

Dans ces conditions, le PPA permet à des projets de se développer sans passer par les fourches caudines des appels d'offres dont les volumes sont plafonnés et les critères bien définis, et qui, en outre, évoluent au fil du temps, rendant obsolètes les projets de certains développeurs.

« Jusqu'à présent, un projet non retenu dans le cadre d'un appel d'offres ne pouvait pas se financer car les prix de marché seuls sans subventions n'en couvraient pas le coût, mais leur baisse permet désormais au développeur de négocier un PPA en bilatéral et sans subventions, souligne Stéphane Dubos, en charge des énergies renouvelables et des infrastructures énergétiques chez Natixis. Et dans le cas où il perd ce PPA, il peut renégocier par la suite un autre contrat avec une autre contrepartie. »

Laquelle contrepartie (l'entreprise qui achète l'électricité), souligne Catherine Dupuy-Burin des Roziers, associée du cabinet BCTG Avocats, doit « présenter une surface financière satisfaisante et des revenus réguliers, stables dans le temps, afin de sécuriser les recettes du producteur et le remboursement de ses crédits bancaires ».

« Le PPA permet de sécuriser plus facilement le financement du projet et l'éventuelle levée d'equity », certifie Stéphane Dubos. Cependant, les conditions obtenues ne sont pas aussi favorables que dans le cadre des contrats d'achats obtenus à l'issue des appels d'offres, qui en France garantissent les prix sur vingt ans pour le solaire, quinze ans pour l'éolien.

« Les durées de rachat plus courtes augmentent l'exposition du projet sur sa durée de vie opérationnelle aux cashflow non contractualisés, et le risque de contrepartie est plus élevé avec un acteur privé qu'avec l'État, analyse Stéphane Dubos. C'est pourquoi le banquier imposera des clauses de résiliation prenant en compte l'évolution des prix de marché, et analysera la compétitivité du contrat à moyen et long terme. »

Le mécanisme de tarifs de rachat en vigueur depuis 2006 a pris fin il y a quelques années pour être remplacé par celui de « complément de rémunération » qui a pour objectif de se rapprocher des prix de marché. Cependant, aujourd'hui en France, cela revient peu ou prou au même pour le développeur.

« Dans le système de complément de rémunération français, l'État prend la totalité du risque, confirme Marc Oman. Mais dans d'autres pays, notamment les Pays-Bas ou le Danemark, le risque de marché résiduel est plus important, et un PPA peut apporter la sécurité exigée par le banquier. C'est un nouveau type de financement qui préfigure l'avenir des renouvelables ».

Les Français en quête d'exemplarité

C'est aussi pour pouvoir prouver leur vertu en matière énergétique que les clients corporate plébiscitent les PPA. Dans ce cas, ils privilégient les projets dits « greenfield », représentant de nouvelles capacités de production d'électricité verte, démontrant ainsi leur contribution au développement des énergies renouvelables. Ceux-là mêmes sur lesquels mise Engie pour son développement à venir.

« Les PPA que nous évoquons comme driver de notre activité dans les énergies renouvelables correspondent à des constructions de nouvelles capacités dédiées à des clients, pas à la valorisation de parcs sortis d'obligation d'achat pour lesquels nous formulons aussi des offres mais sur des horizons à plus court terme », précise ainsi Gwenaelle Huet.

Dès lors, rien d'étonnant si le plus gros amateur reste à ce jour Google, qui affiche un approvisionnement 100% vert pour ses data centers et ses bureaux et s'efforce de tendre vers du « vert en temps réel » grâce à un programme de matching garantissant qu'à tout moment, il achète un volume d'électricité verte correspondant à sa consommation. Les entreprises du réseau RE 100, qui s'engagent à terme à un approvisionnement électrique 100% vert, constituent également un marché naturel pour les PPA.

C'est aussi la raison pour laquelle plusieurs gros consommateurs d'y intéressent de près, même si la France n'est pas en pointe sur ces contrats. Bien sûr, il s'agit aussi de se prémunir dans la durée sur la volatilité des prix de marché de l'énergie, même si cela suppose d'avoir une vision claire sur leur évolution dans le temps, ce qui ne va pas de soi pour une entreprise.

« Nous sommes avant tout poussés par notre désir d'exemplarité », témoigne Amélie Lummaux, responsable RSE d'ADP. Comme d'autres gros consommateurs français d'électricité, l'exploitant des aéroports parisiens étudie la question et espère une première livraison d'électricité verte à l'horizon 2021. « Nous achetons déjà des garanties d'origine, mais nous souhaitons aller plus loin et contribuer au développement de nouvelles capacités renouvelables », explique la jeune femme. Même son de cloche du côté de la RATP, qui dans le cadre de sa politique d'efficacité énergétique et de réduction de ses émissions de CO2, a lancé un appel à manifestations d'intérêt et vise des premiers contrats actifs à l'horizon 2023. La SNCF et la Poste sont également sur les rangs. Dans tous les cas, étant donné les consommations de ces entreprises, la bascule se fera progressivement.

Une réglementation peu favorable

Mais d'une façon générale les acheteurs, comme l'analyse un acteur du marché, voyant que les prix continuent de baisser, notamment dans le solaire, jugent qu'il est urgent d'attendre. Ils veulent aussi être sûrs de miser sur le bon cheval et de ne pas se tromper de fournisseur. Surtout, en l'absence de cadre juridique et financier français, tout reste à découvrir et à élaborer.

« Il n'existe pas de cadre incitatif en France, tout se construit au cas par cas mais des difficultés demeurent pour définir contractuellement les PPA » reconnaît Charlotte de Lorgeril, associate partner en charge de l'énergie chez Sia Partners.

« Plusieurs conditions doivent être réunies pour que les PPA se développent : des coûts de production des énergies renouvelables inférieurs aux prix de marché, et des schémas régulatoires et contractuels favorables », rappelle Bruno Fyot, directeur général délégué d'EDF Renouvelables, qui a conclu depuis dix ans plusieurs corporate PPA aux États-Unis, au Chili et plus récemment en Chine et au Brésil.

C'est sans doute pourquoi la France n'en comptait encore aucun jusqu'à celui conclu entre EDF et Metro. « Les pays qui lancent régulièrement des appels d'offres, comme la France ou les pays du Moyen- Orient, ne sont en général pas les terrains les plus propices à l'émergence des corporate PPA », reconnaît Stéphane Dubos.

« Jusqu'à présent, du fait des mécanismes de soutien mis en place pour les énergies renouvelables [d'abord obligation d'achat de l'électricité avec tarifs réglementés puis, depuis 2016, complément de rémunération, ndlr], les producteurs d'électricité renouvelable en France n'avaient pas besoin de chercher un acheteur-consommateur final », observe Diane Mouratoglou, associée du cabinet BCTG Avocats.

Autre frein spécifique à la France : « Tout mécanisme de soutien - obligation d'achat ou complément de rémunération -, apporté à la production interdit au producteur de transférer la garantie d'origine associée à l'origine renouvelable de l'électricité à un acheteur tiers, sous peine de résiliation de son contrat d'achat d'électricité ou de complément de rémunération », détaille Catherine Dupuy-Burin des Roziers. Or c'est la seule certification de l'origine renouvelable de sa production.

Néanmoins, si aujourd'hui encore les conditions des appels d'offres (avec complément de rémunération) restent plus intéressantes pour les développeurs, et plus rassurantes pour les banquiers, les prix de l'électricité solaire et conventionnelle se rapprochent : les derniers appels d'offres pour des centrales au sol ont été attribués à 52 euros le mégawattheure (MWh), contre près de 100 euros/MWh il y a trois ans, et l'Arenh (Accès régulé à l'énergie nucléaire historique), prix auquel EDF est tenu de vendre sa production à ses concurrents, est à 42 euros/MWh.

Le point de bascule est proche

« On approche d'un point de bascule », estime Marie Dufourg, analyste marché pour le producteur indépendant Valorem, qui s'attend à voir les premiers PPA greenfield (finançant de nouvelles capacités de production et non des parcs en sortie d'obligation d'achat) signés en 2019, dont, espère-t-elle sans doute, certains conclus par Valorem.

Côté fournisseurs, les PPA séduisent aussi les acteurs historiques. « Connaître les métiers de l'amont et l'aval, en particulier de l'agrégation ou du trading représente un atout pour les acteurs des renouvelables », avance ainsi Bruno Fyot.

Engie pour sa part envisage de proposer des PPA de plus en plus sophistiqués. « Jusqu'à présent, les contrats étaient sur le modèle du « as produced », selon lequel le client achète la production d'une installation, telle qu'elle est produite, observe Gwenaelle Huet. Mais demain ils seront de plus en plus souvent "as consumed"Le fournisseur devra s'adapter au profil de consommation du client notamment en mixant plusieurs types d'énergies renouvelables et des batteries. »

Pourtant, malgré ces signes manifestes d'intérêt de part et d'autre, côté réglementation rien n'annonce encore d'avancée favorable aux PPA.

« Le projet de Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) publié en janvier n'en parle pas, regrette Charlotte de Lorgeril. Les PPA sont peut-être vus comme un levier d'atteinte des objectifs de la PPE et pas un objectif de la transition. »

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ZOOM

Une énergie certifiée d'origine verte

Les garanties d'origines sont émises pour tous les actifs qui produisent de l'énergie renouvelable mais ne bénéficient pas ou plus de subventions. Il s'agit d'un document électronique certifiant que de l'électricité a été produite à partir d'une source d'énergie renouvelable et injectée sur le réseau électrique.

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Ferme solaire, Austin

[Une ferme solaire près d'Austin, au Texas. Les Etats-Unis concentrent 60% des volumes mondiaux de contrats d'achats directs d'électricité. Crédits : iStock]

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- Les producteurs d'énergie (essentiellement hydro-électrique non subventionnée et éolien dont le contrat d'obligation d'achat (subvention) est expiré) reçoivent un nombre de certificats équivalent à la production injectée sur le réseau. Ils la vendent ensuite à travers une bourse d'échange (Powernext) aux fournisseurs ou clients qui souhaitent bénéficier d'une électricité verte.

- L'article R.314-32 du Code de l'énergie interdit au producteur d'obtenir, de transférer ou de vendre des garanties d'origine s'il souscrit un contrat de complément de rémunération (donc s'il bénéficie de subventions). Les projets sortis du régime de tarifs d'achat ou n'étant pas sous le régime de complément de rémunération ont la possibilité de valoriser les garanties d'origine pour leur production électrique renouvelable.

C'est ce système qui est par exemple utilisé dans les offres d'électricité verte pour les particuliers des principaux fournisseurs d'énergie

Dominique Pialot

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Commentaires 2
à écrit le 23/04/2019 à 10:37
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Ce serait bien que l'on ai des chiffres mensuels concernant cette soit disant vague de l’énergie verte du genre croissance de la production d'énergie marée motrice, éolienne et-c... Nos propriétaires de capitaux et d'outils de production ne pense...

à écrit le 18/04/2019 à 16:32
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petit retour sur l'article La Tribune/Xerfi d'hier sur le pétrole US : Schlumberger confirme le ralentissement du boom du pétrole/gaz de schiste (Financial Times de ce jour).

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