
Une partie de son avenir toujours suspendue au sort de l'EPR de Flamanville, EDF continue de jouer ses cartes pour entamer le chantier, en France, de six autres de ces réacteurs de nouvelle génération dans les quinze prochaines années. Alors que le gouvernement, qui envisage le renouvellement du parc nucléaire vieillissant, n'a toujours pas tranché sur le lancement d'un tel projet, le leader de l'énergie a annoncé, jeudi 6 mai, lui avoir remis son dossier pour défendre cette option.
« Nous souhaitons que soit décidée la construction en France de nouveaux EPR. A ce titre, le dossier que le gouvernement a demandé sur la faisabilité et sur les conditions d'un tel programme vient de lui être adressé », a indiqué le PDG d'EDF, Jean-Bernard Lévy, lors de l'assemblée générale des actionnaires.
Pour l'heure, la décision de la construction ou non de réacteurs est prévue pour la prochaine mandature, au plus tard en 2023, après le démarrage de l'EPR de Flamanville - dix ans après la date initialement prévue de sa mise en service -, a rappelé le ministère de l'Economie qui a confirmé la réception du document. « C'est un document de travail qui correspond à la vision d'EDF. Il n'engage pas le gouvernement », a ajouté à l'AFP l'entourage de la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili. Avant le prochain arbitrage, nombres de sujets restent en effet sur la table, comme le financement d'un tel programme, dont le coût a jusqu'ici été évalué à 46 milliards d'euros.
Des débuts chaotiques
Car l'EPR, d'abord vu comme un fleuron industriel, s'est heurté à de nombreuses déconvenues. Dès le premier chantier, lancé par Areva en 2005 à Olkiluoto (Finlande), contretemps et dérapages budgétaires se sont accumulés, si bien que celui-ci n'est toujours pas terminé. Et le deuxième n'a pas fait mieux : l'EPR de Flamanville (Manche) en France, en travaux depuis 2007, a multiplié, lui aussi, les déboires, à cause notamment d'anomalies découvertes sur la composition de l'acier du couvercle et du fond de la cuve. De quoi faire gonfler les chiffres : l'EPR était censé être connecté au réseau en 2012 et coûter 3,3 milliards d'euros. Il est désormais prévu pour un démarrage en 2023 et devrait coûter, selon EDF, 12,4 milliards d'euros. La Cour des comptes, elle, estime que la facture totale serait plutôt de 19,1 milliards.
Autant de désillusions qui ont participé au manque de consensus politique derrière cette technologie, aujourd'hui largement décriée. Surtout, dans un contexte d'objectifs ambitieux en matière de transition énergétique, la question a pris une tournure politique. Quand plusieurs pays font désormais le choix d'en sortir après la catastrophe de Fukushima il y a dix ans, comme l'Allemagne ou l'Autriche, une décision prochaine de Bruxelles risque de lui porter un coup fatal dans d'autres Etats : le nucléaire risque en effet d'échapper à la taxonomie « verte » de l'Union, qui servira à attirer les investisseurs vers les activités les plus bénéfiques dans la lutte contre le changement climatique.
Sur le terrain, EDF avance ses pions
Malgré les réticences des pouvoirs publics, EDF se mobilise coûte que coûte. Fin 2020 déjà, le conseil d'administration de l'entreprise avait identifié formellement les sites capables d'accueillir les futurs EPR, à la centrale de Penly (Seine-Maritime), de Gravelines (Nord) et dans la région Rhône-Alpes. Dans la foulée, Jean-Bernard Lévy avait reçu plusieurs élus normands pour prendre acte de leur soutien, selon une information du quotidien « Les Echos ».
« L'objectif est d'être tous prêts à lancer la construction dès que l'Etat se sera prononcé sur l'engagement de ce programme industriel majeur » , assurait l'année dernière Xavier Ursat, directeur exécutif du groupe, dans la revue interne d'EDF.
Et l'énergéticien ne s'était pas arrêté en si bon chemin : début février 2021, le groupe avait remis à l'Autorité de sûreté nucléaire le rapport préliminaire de sûreté détaillant le design de ses EPR 2, conçus sur le modèle de celui de Flamanville mais plus standardisés, donc censés être plus simples et moins chers à construire. Cependant, le 7 avril, devant la commission des affaires économiques du Sénat, le président de l'autorité de sûreté nucléaire (ASN), Bernard Doroszczuk, avait rappelé le débat en cours sur l'hypothèse prise par EDF d'appliquer à l'EPR 2 « l'exclusion de rupture », c'est-à-dire des soudures qui sont censées ne pas se rompre même en cas d'accident. Celles-ci visent un niveau de qualité de réalisation tel « que la démonstration de sûreté n'aurait pas besoin d'étudier la rupture de certaines parties des circuits primaire et secondaire », mais l'ASN doute de la capacité du groupe français à les réaliser.
L'avenir du nucléaire en suspens
Reste que le nucléaire tient toujours une place primordiale dans le mix énergétique français, et permet à la France de disposer d'une électricité en grande partie décarbonée - EDF ne manque pas de le rappeler pour influer sur la décision à venir sur la taxonomie européenne.
« Ces travaux permettent d'alimenter les réflexions du gouvernement sur l'avenir du mix électrique français post 2035 », a - détaillé jeudi Bercy au sujet du dossier remis par EDF.
Le gouvernement n'envisage a priori pas de se séparer de cette technologie : fin mars, sept leaders européens mené par le président français Emmanuel Macron avaient appelé la Commission européenne à arrêter de faire obstacle à l'énergie nucléaire et à considérer la possibilité de l'inclure dans la classification « verte » de Bruxelles. « Nous croyons au nucléaire », une énergie qui « a de l'avenir en France », et dont l'avantage climatique doit aussi être reconnu au niveau européen, avait quant à lui affirmé le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, début avril.
Mais l'EPR n'est pas la seule option : les SMR, des petits réacteurs modulaires, dont la puissance ne dépasse pas les 300 mégawatts, contre plus de 1.500 pour les EPR, ont le vent en poupe. Conçus pour être fabriqués en série en usine puis transportés sur le lieu de leur exploitation, ils intéressent de plus en plus les Etats-Unis, le Royaume-Uni mais aussi la France. EDF mise sur ce nouveau réacteur à l'horizon 2030 non plus seulement pour l'exportation, comme annoncé initialement, mais aussi pour l'Hexagone, a annoncé Jean-Bernard Levy le 5 mai. « S'il y a un choix de nouveau nucléaire qui est fait par le gouvernement, c'est certainement une option qu'il faut regarder parce qu'elle présente des avantages en termes de sûreté supérieurs à ce que l'EPR2 peut aujourd'hui offrir », avait déclaré en ce sens Bernard Doroszczuk lors de son audition au Sénat début avril. « Pour donner à ce produit toutes ses chances sur ses marchés cibles à l'extérieur de la France, nous proposons que la prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie prévoit la construction d'un premier SMR en France », a ainsi indiqué jeudi 8 mai Jean-Bernard Lévy.
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