Le nucléaire est-il une énergie durable ? Bruxelles reporte sa décision

L'exécutif européen a dévoilé mercredi ses critères pour les activités permettant de contrer le changement climatique, dans le cadre de son dispositif de taxonomie verte. Mais l'institution n’a pas tranché sur le nucléaire comme « énergie de transition ».
Marine Godelier
En se basant sur les dépenses en capital, EDF a calculé que sa compatibilité avec les critères de la taxonomie verte serait de 43 % si le nucléaire était exclu, contre 96 % dans le cas contraire
En se basant sur les dépenses en capital, EDF a calculé que sa compatibilité avec les critères de la taxonomie verte serait de 43 % si le nucléaire était exclu, contre 96 % dans le cas contraire (Crédits : Reuters)

La décision était attendue, elle est finalement reportée. Soumise à la pression des Etats membres et des associations environnementales, confrontée à des controverses scientifiques, la Commission européenne remet l'arbitrage sur l'intégration du nucléaire dans la taxonomie verte « à plus tard dans l'année », a indiqué son vice-président, Valdis Dombrovskis, mercredi 21 avril. Pour soutenir la finance durable, cette taxonomie servira à trier les activités selon leur caractère bénéfique, ou non, dans la lutte contre le changement climatique - afin d'atteindre les objectifs ambitieux définis en la matière.

Et la question de son périmètre agite, depuis plusieurs semaines, les sphères politiques et industrielles. D'abord cantonnée à un débat d'experts, les milieux d'affaires s'en sont emparé avec passion, et le sujet a peu à peu gagné du terrain dans le débat public. A la réunion sur le climat du Medef, le 15 avril dernier, ses possibles contrecoups étaient sur toutes les lèvres. Jusqu'à en faire frémir le géant EDF qui, inquiet pour l'avenir de son activité, a su multiplier les louanges de l'atome. Pour cause, cette pièce maîtresse du plan d'action européen touche à un enjeu crucial, existentiel même pour les entreprises françaises : celui de leurs financements futurs.

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Bataille autour du nucléaire

Alors, sans surprise, en France, la classification soulève la question épineuse de l'énergie nucléaire : de quel côté se situera-t-elle dans la typologie ? Celle-ci émet certes peu de CO2, permettant à l'Hexagone de proposer une électricité peu carbonée. Mais l'infrastructure devient vieillissante et la problématique des déchets reste irrésolue.

Au-devant des arguments scientifiques, force est de constater que le sujet a pris une tournure politique, parfois militante. Si l'atome a « de l'avenir en France », assure le ministre de l'économie, Bruno Le Maire, sans quoi « nous ne pourrons pas réussir la transition écologique », son intégration tuerait l'esprit de la taxonomie, avertissent plusieurs ONG. Et quand la Hongrie ou la Pologne la défendent corps et âme, l'Allemagne et l'Autriche s'y opposent fermement.

Les industriels du secteur, bien sûr, se sont mêlés à la partie. Pour eux, l'enjeu est de taille : les activités exclues du label risqueront dès lors d'être étiquetées « non durables » pour les investisseurs, dans leurs choix stratégiques d'actifs non risqués sur le long cours. « Ils n'auront pas envie de financer une activité qui ne leur rapportera aucune augmentation de leur part verte, et qui ne sera plus au rendez-vous de sa valeur future », avance Eric Duvaud, fondateur et responsable de l'équipe développement durable d'EY.

Hors de question pour EDF, qui, en se basant sur les dépenses en capital, a calculé que sa compatibilité avec les critères de la taxonomie serait de 43 % si le nucléaire était exclu, contre 96 % dans le cas contraire. « Si l'on veut réussir la transition énergétique, on aura besoin d'investissements importants. Ce n'est pas intelligent de nous rajouter des obstacles, avec un coût supplémentaire pour la collectivité », avait déclaré le 8 avril Bernard Descreux, directeur financement et trésorerie du groupe.

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Prise en étau dans cette bataille acharnée entre un éventail d'acteurs « pro » et « anti » - Etats, industriels, entreprises, scientifiques ou associations -, la Commission a ainsi expliqué que le nucléaire n'était ni exclu, ni inclus : son utilité pour le climat devra être tranchée plus tard, aux côtés du gaz naturel - lui aussi source de vifs débats, notamment en Pologne. « Les arbitrages au sujet de ces deux énergies sont structurants. Mais la Commission ne veut pas qu'elles empêchent le démarrage de la taxonomie, en parasitant les actes délégués présentés aujourd'hui », explique Eric Duvaud.

Des analyses précipitées

Car en-dehors de ces dossiers brûlants, la Commission a dévoilé ce mercredi ses premiers critères pour les activités retenues dans la classification. Outre les cas du nucléaire et du gaz, donc, ils concernent 13 secteurs, eux-mêmes divisés en 100 catégories, analysées dans le cadre du règlement. En définissant des seuils d'émissions en-dessous desquels ils sont considérés comme « verts » (moins de 100g de CO2/kWh), la Commission lance ainsi sa première version de la taxonomie.

« Mais toutes les activités n'ont pas été analysées », s'alarme Eric Duvaud, qui regrette l'absence d'une phase de mise en application pratique, « nécessaire » pour affiner le système.

« Les groupes de luxe ou de retail B2C, par exemple, ne seront pas concernés, alors qu'il aurait été intéressant de suivre leur progrès. Par ailleurs, alors qu'un cimentier pourra calculer sa part verte sur tout son chiffre d'affaires, une autre société dont seules quelques activités ont été analysées par la taxonomie et sont vertes risque de présenter une part verte inférieure car rapportée à du chiffre d'affaires non analysé », développe-t-il.

De plus, alors que l'enjeu principal est celui de financer la transition, Eric Duvaud s'interroge sur la pertinence d'un seuil défini de manière absolue. « Il aurait été plus intéressant d'introduire des seuils en pourcentages de progrès, pour identifier les efforts des entreprises polluantes aujourd'hui, afin de les intégrer dans le changement plutôt que de les exclure », précise-t-il.

Manque de données techniques des entreprises

Surtout, insiste-t-il, il est impossible de mesurer aujourd'hui les informations nécessaires à la mise en œuvre de la taxonomie verte, dont la première étape est pourtant sur les rails. Alors qu'un projet de révision de la directive sur le reporting extra-financier est présenté aujourd'hui par la Commission, pour une entrée en application en 2023, le consultant relève un « problème de cohérence » du calendrier.

« Pour classifier les activités, il faut se baser sur des critères techniques, définis et comparables. Aujourd'hui, la directive sur le reporting extra-financier des entreprises leur laisse la responsabilité de décider sur quelles informations elles communiquent en la matière, sans vérification obligatoire dans la plupart des pays européens. Il aurait fallu introduire la taxonomie après la révision de cette directive, qui introduira un standard obligatoire », développe Eric Duvaud.

Lire aussi : L'Europe engage la bataille du leadership pour un capitalisme durable au 21ème siècle

Selon lui, sans comparabilité ni fiabilité des données au niveau européen, il est impossible pour les entreprises de définir réellement la contribution à tel ou tel objectif environnemental de leur chiffre d'affaires. « Pendant quelques années, on va se trouver dans une situation d'imprécision des données, alors qu'on aura choisi d'opérer cette classification des activités durables », conclut Eric Duvaud.

Marine Godelier

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Commentaires 14
à écrit le 23/04/2021 à 9:09
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6 EPRs en Inde, quel comique notre ami Polytech !

à écrit le 22/04/2021 à 13:30
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On parle beaucoup du nucléaire, mais très peu des éoliennes, dont la durée de vie est de 20 à 30 ans et dont les pales en fin de vie sont soit enfoui soit utiliser comme combustible. Les blocs de fondation font souvent l'objet de négociations entre ...

à écrit le 22/04/2021 à 12:25
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La seule chose durable dans le nucléaire ce sont les déchets, aussi bien de production (mines), que de construction (acier, béton), d'exploitation et de démantèlement. Le combustible est une matière fossile, sujette à épuisement et à embargo de la...

le 22/04/2021 à 14:37
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Vous dites: "La seule chose durable dans le nucléaire ce sont les déchets" parce que le CO2 n'est pas un déchet peut être... qui va avoir des conséquences climatiques planétaires. Les déchets nucléaires, une fois enfouis ne pose plus aucun problème p...

à écrit le 22/04/2021 à 10:39
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Pour ne pas perturber les différentes élections sur le continent, on reporte la réponse...! La bataille est rude entre pro-UE anti-nucléaire et ceux qui recherche l'émancipation!

à écrit le 22/04/2021 à 10:01
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On devrait faire comme les anglais, quitter ce bazar technocratique qu'est l'UE. Le nucléaire est une énergie qui n'émet pas de C02 qui est , pour le moment la seule option pour passer le cap , en attendant l'hydrogène ou d'autres technologies. Au ...

à écrit le 22/04/2021 à 9:58
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Ah ça pour être durable c'est durable, plus de dix ans maintenant que le réacteur en fusion de Fukushima fuse ! ^^ Il faut arrêter le regard militant sur ce phénomène surtout en France dans lequel sur notre tout petit territoire nous avons au tot...

à écrit le 22/04/2021 à 1:43
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Tous les pays autour de nous se passent de nucléaire. La France dispose d'assez de ressources et de potentiel d'optimisation de l'énergie pour se passer de nucléaire qui est devenu trop cher et n'a pas évolué techniquement. Lorsque l'on travaille sur...

le 22/04/2021 à 8:29
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Vous voulez parler de l'Allemagne qui renifle le gazoduc de Poutine ? Le Luxembourg paradis fiscal ? Les grands pays : Chine, Inde, Russie, bientôt US misent sur le nucléaire, énergie propre, fiable et socialement responsable

le 22/04/2021 à 12:07
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L'Allemagne importe 95 milliards de m3 de gaz par an quand la France en importe 50 milliards. Ca fait une grosse différence, et le gaz, c'est du carbone. La différence est presque aussi importante sur le pétrole et je n'évoque pas le charbon.

à écrit le 21/04/2021 à 23:46
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On devrait couper les interconnexions avec les autres pays, pour voir qui dépend de qui...

à écrit le 21/04/2021 à 23:07
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Pour ceux qui se posent encore cette question, un petit coup d'oeil à l'excellent site de RTE-france.com (notre réseau de distribution d'électricité). A la minute, 68% de l'électricité transportée sur le réseau est d'origine nucléaire. Nous ne sommes...

à écrit le 21/04/2021 à 23:05
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Quelle contradiction ! l'UE dit vouloir bloquer la pratique du greenwashing pour décarboner et exclure le nucléaire alors qu'il s'agit du moyen le plus décarboné et pilotable. Qui plus est le jour où l'UE se fixe pour objectif d'atteindre -55% de gaz...

à écrit le 21/04/2021 à 21:15
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La question n'est pas la bonne. Devant l'explosion de la consommation électrique , les centrales nucléaires seront indispensables. Écologiques ou pas, ce ne sont pas les renouvelables qui fournirons les centaines de gigawatt pour recharger les batter...

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