Patrick Pouyanné a passé haut la main son grand oral ce vendredi 28 mai. Lors d'une assemblée générale historique, qui se tenait à huis clos mais qui était suivie à distance par des milliers de personnes, le patron de Total a défendu la stratégie climat du groupe. Et le dirigeant a été très convaincant. La résolution portant sur la transformation de l'entreprise pétrolière en une compagnie multi-énergies a été adoptée par près de 92% des votants, 91,88% très précisément.
"Ce résultat est la meilleure des réponses aux commentateurs qui prédisaient une rébellion contre cette résolution. Les actionnaires perçoivent un véritable processus sincère de transformation et ont fait de ce vote l'approbation d'une stratégie audacieuse et exigeante", s'est félicité le patron de Total.
Les actionnaires ont également très largement plébiscité la nouvelle dénomination de la major, désormais rebaptisée TotalEnergies pour refléter sa diversification dans le solaire, l'éolien et les gaz bas carbone.
Pression accrue des actionnaires sur les majors
Cette assemblée générale, la dernière de la saison 2021 des grandes majors pétrolières, était particulièrement attendue en raison de la pression grandissante exercée par les actionnaires sur les questions climatiques. Plusieurs investisseurs, dont Meeschaert, OFI Asset Management ou encore l'Ircantec, avaient déjà fait part de leur décision de voter contre la résolution climat de la major, considérant que les avancées de Total en la matière n'étaient pas encore suffisantes.
Les ONG environnementales espéraient, elles, que la résolution obtiendrait un score inférieur à 90%, voire qu'il glisse à 85%. Cela aurait été, selon elles, le signe que la stratégie climat de Total ne convainc pas. L'an dernier, onze investisseurs (La Banque Postale, Crédit Mutuel, Meeschaert...) avaient proposé une résolution externe pour contraindre Total à des objectifs climatiques plus ambitieux. Combattue par la direction, elle avait été rejetée par les actionnaires, mais avait tout de même engrangé 16,8% de voix favorables.
"Hypocrisie financière"
Cette année, La Banque Postale AM et CNP Assurances ont, comme Meeschaert, OFI Asset Management et l'Ircantec, voté contre la résolution du conseil d'administration, mais de grands investisseurs, comme Amundi, Axa et BNP Paribas, ont voté en sa faveur.
"Le vote des actionnaires est assez affligeant. Je suis atterrée de voir que parmi les actionnaires qui se disent engagés pour le climat, un aussi faible nombre alignent leurs actes avec leurs discours. Seuls quelques-uns sont bien droits dans leurs baskets. Cela montre que nous n'avons rien à attendre des grands gestionnaires d'actifs de la place de Paris. On peut se demander comment ils comptent répondre à l'appel de Bruno Le Maire de sortir du pétrole et des gaz non conventionnels. Paris n'est pas la capitale de la finance verte, mais la capitale de l'hypocrisie financière", fustige Lucie Pinson, fondatrice de l'ONG Reclaim Finance, qui dénonce également des liens commerciaux trop étroits entre les investisseurs et la major pétrolière.
Sans surprise, la question climatique a été le thème central de l'assemblée générale. Patrick Pouyanné y a consacré la très grande majorité de son allocution.
Des dizaines de milliards pour devenir une major de l'énergie verte
"Total a l'ambition de devenir l'un des cinq premiers producteurs d'énergies renouvelables d'ici 2030 dans le monde. Nous voulons devenir une major de l'énergie verte", a-t-il affirmé, en étayant ses propos de nombreux chiffres.
L'entreprise prévoit ainsi d'investir 60 milliards de dollars dans les renouvelables au cours des dix prochaines années pour atteindre une capacité de production de 100 GW, contre 7GW fin 2020, et ce en mettant l'accent sur l'éolien offshore, et notamment le flottant. Pour atteindre cet objectif, Total explique développer de nouveaux métiers : "les explorateurs des renouvelables". Dans le même horizon, l'entreprise prévoit d'investir un milliard sur les technologies de capture et de stockage du CO2. La major ambitionne également d'être "leader dans la production massive d'hydrogène".
En parallèle, le groupe s'est engagé à ce que le niveau des émissions mondiales dites "scope 3", liées à l'utilisation des produits par ses clients (comme le carburant brûlé dans les voitures), soit inférieur en 2030 au niveau de 2015, sans donner toutefois un objectif chiffré.
Le cashflow du pétrole nécessaire pour investir dans les renouvelables
Mais Total ne renonce pas pour autant aux investissements dans le pétrole, ni à l'exploration de nouveaux gisements. Activité à laquelle il consacre annuellement 800 millions de dollars. Interrogé sur le dernier rapport de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), qui recommande justement de renoncer à tout nouveau projet pétrolier ou gazier pour atteindre la neutralité carbone en 2050, Patrick Pouyanné a fait savoir que le groupe n'allait pas suivre cette recommandation, jugée trop radicale.
"Le pic de la demande de pétrole est attendu entre 2025 et 2030. D'ici là, le monde a besoin de pétrole", s'est-il défendu. "Nous ne pouvons pas y renoncer. Nous en avons besoin pour investir. Ce sont les cashflow qui nous viennent des énergies fossiles qui nous permettent d'investir dans les renouvelables. Nous avons ainsi puisé au moins 3 milliards des énergies fossiles cette année pour les investir dans les énergies renouvelables", a-t-il ajouté.
Selon Patrick Pouyanné, l'arrêt de l'exploration de nouveaux gisements compromettrait donc directement le développement de Total dans l'énergie solaire et l'éolien. En revanche, chaque nouveau projet d'hydrocarbure devra contribuer à baisser l'intensité carbone du groupe, assure le géant tricolore. Le projet controversé de forage en Ouganda devrait ainsi permettre à l'entreprise d'atteindre un niveau de 13 kilos de CO2 par baril, contre une moyenne actuelle d'environ 20 kilos par baril.
Une stratégie "climaticide" pour les ONG
Une mesure jugée largement insuffisante par les ONG. Reclaim Finance et Greenpeace qualifient ainsi la position de Total de "climaticide".
"Total a beau tenter de cajoler ses actionnaires en maintenant ses dividendes, ses tours de passe-passe ne tiennent pas face à la science : ses projets d'expansion pétrolière et gazière sont en contradiction avec un avenir viable", alerte Edina Ifticène, chargée de campagne pétrole chez Greenpeace France. "Les grands actionnaires prétendent se soucier du climat mais dans les faits continuent de donner carte blanche à Total - c'est indéfendable", ajoute-t-elle.
Et Lucie Pinson de constater :
"Patrick Pouyanné excelle dans cet exercice de communication. Tout ceux qui n'ont pas lu le scénario de l'AIE se laisseront convaincre par son discours. On se sent démuni alors que la science est de notre côté".
Sujets les + commentés