Veolia/Suez : la bataille se déplace sur le terrain politique voire judiciaire

Au Parlement, les initiatives pour questionner les modalités et les enjeux de la fusion fleurissent. Et Suez met en cause la transparence de la vente entre Engie et Veolia.
Giulietta Gamberini
Quels ont été les positionnements de l'État aux conseils d'administration de la Caisse des dépôts et consignations [actionnaire de Veolia, Ndlr] et chez CNP [partie prenante au dossier, Ndlr]? Pourquoi l'État n'a-t-il pas utilisé tous les moyens possibles pour imposer un droit de veto?, s'interroge l'intersyndicale de Suez.
Quels ont été "les positionnements de l'État aux conseils d'administration de la Caisse des dépôts et consignations [actionnaire de Veolia, Ndlr] et chez CNP [partie prenante au dossier, Ndlr]? Pourquoi l'État n'a-t-il pas utilisé tous les moyens possibles pour imposer un droit de veto?", s'interroge l'intersyndicale de Suez. (Crédits : Reuters)

Le premier acte est clos, mais la bataille semble loin d'être terminée. Au lendemain de la décision d'Engie de vendre à Veolia 29,9% d'actions dans Suez, pour 3,4 milliards d'euros, la controverse se poursuit sur l'opportunité et les modalités d'une fusion entre les deux leaders français des services à l'environnement. Le fait, très rare, que la décision ait été prise malgré l'opposition de l'État, actionnaire majoritaire (24%) d'Engie, finit même par la renforcer.

En l'absence d'un accord entre Suez et Veolia, qui pour le gouvernement constituait une condition incontournable  de la fusion, l'administratrice représentant l'État, nommée par arrêté, a en effet voté contre l'opération, conformément aux instructions du gouvernement. L'un des deux administrateurs proposés par l'État à l'assemblée générale des actionnaires a fait de même, alors que l'autre s'est abstenu, détaille l'AFP. Tant que dure l'hostilité entre les deux parties, le projet de fusion "ne fonctionnera pas", a d'ailleurs répété lundi Bruno Le Maire.

Suez menace Engie de poursuites judiciaires

Les arguments contre la fusion continuent donc d'être déployés, bien que désormais non plus afin de convaincre Engie, mais sur d'autres terrains. Tout d'abord de la part de Suez qui, déterminé à défendre son indépendance, menace même d'actions judiciaires. Dès mardi matin, l'entreprise cible a prévenu qu'elle "mettra en œuvre tous les moyens à sa disposition pour préserver les intérêts de ses salariés, ses clients et ses parties prenantes (...) et éviter une prise de contrôle rampante ou un contrôle de fait". Si elle n'a pas précisé en quoi ces moyens consisteront, elle évoque une opération effectuée dans des "conditions inédites et irrégulières". Une accusation réitérée dans une lettre adressée par le président de Suez Philippe Varin à Bruno Le Maire, où il dénonce des "anomalies graves" dans la vente et annonce qu'il envisage de poursuivre en justice Engie, dont il questionne la "loyauté".

L'intersyndicale CFE-CGC, CFDT, CFTC, CGT et FO de Suez avait d'ailleurs déjà dénoncé la semaine dernière une opération "sans aucune transparence, confidentielle, voire pré-orchestrée" de la part de Veolia. Et les instances représentatives des salariés de Suez avaient assigné en référé Engie et Veolia pour n'avoir "pas été informées et consultées régulièrement sur ce projet". Elles demandaient la suspension du projet de rachat par Veolia. Le tribunal de Paris doit se prononcer le 9 octobre.

L'abstention de deux représentants de la CFDT en cause

Or, mardi, des révélations sur le déroulement du vote lors du conseil d'administration d'Engie de lundi sont venues accroître la méfiance de Suez. Les deux représentants de la CFDT n'ont en effet pas pris part au vote sur l'offre, et sont sortis de la salle, parce qu'ils "n'avaient pas les éléments nécessaires" pour se prononcer sur ce dossier, a expliqué le coordinateur CFDT d'Engie à l'AFP. Il a toutefois nuancé l'effet de ce choix en soulignant que leur vote n'aurait pas influencé le résultat final, puisque l'offre de Veolia a été approuvée par sept membres du conseil d'Engie (le représentant CFE-CGC, le président du conseil et cinq administrateurs indépendants), contre quatre votes "contre" (le représentant CGT et les trois administrateurs choisis par l'État). L'abstention des représentants CFDT aurait été comptée comme un vote contre, a-t-il précisé.

Mais "pourquoi l'État n'a-t-il pas utilisé tous les leviers pour bloquer l'opération? Le projet à [cette] date devait être bloqué", a par ailleurs estimé le coordinateur CFDT.

"La position ambigüe du gouvernement" dénoncée par les syndicats

Les salariés de Suez se mobilisent également sur le terrain politique. L'intersyndicale du groupe, qui lundi avait demandé à l'État de "surseoir à sa décision", a dénoncé mardi "la position ambigüe du gouvernement" dans ce dossier.

Quels ont été "les positionnements de l'État aux conseils d'administration de la Caisse des dépôts et consignations (actionnaire de Veolia) et chez CNP (partie prenante au dossier)? Pourquoi l'État n'a-t-il pas utilisé tous les moyens possibles pour imposer un droit de veto?", s'interroge l'intersyndicale.

"Ces questions se doivent de trouver réponse, c'est pourquoi l'intersyndicale soutient la demande d'ouverture, par le sénateur Rachid Temal, d'une commission d'enquête parlementaire", ajoutent les syndicats.

Des questions sur la stratégie et l'efficacité de l'État actionnaire

Au Parlement aussi en effet, les initiatives pour questionner les modalités et les enjeux de la fusion fleurissent. Au Sénat, la présidente de la commission des Affaires économiques, Sophie Primas (LR), a annoncé mardi dans un communiqué "une initiative" visant à obtenir "dans les prochains jours" des précisions sur le rachat de Suez par Veolia et son impact, notamment "sur le service et les prix pour les consommateurs français et pour les collectivités territoriales".

"S'agissant d'Engie, des questions se posent légitimement sur la stratégie et l'efficacité de l'État actionnaire", estime-t-elle aussi.

À l'Assemblée nationale, un groupe de travail qui réunit les commissions des Finances et des Affaires économiques doit également se pencher sur les "conditions d'un succès de l'opération et sur des points de vigilance", du point de vue de la préservation du service public, de l'emploi et de la concurrence. Après avoir auditionné les PDG des parties prenantes, il doit entendre les partenaires sociaux et les communes.

Le député communiste Sébastien Jumel est prêt lui aussi à soutenir la création d'une commission d'enquête parlementaire, rapporte Le Monde. Et un député LREM, Pierre Person, doit pour sa part déposer mardi une proposition de loi interdisant les OPA hostiles le temps du Covid-19. Après avoir envoyé, dimanche, une lettre à Bruno Le Maire, cosignée par une quarantaine de collègues, lui demandant de ne pas décider tout de suite sur l'offre de Veolia, il appelle à présent à lancer une réflexion sur la notion "des biens publics et communs".

"Une proposition d'autant plus d'actualité que l'État n'a pas été suivi" à propos de Suez, a-t-il expliqué au "Monde".

L'État espère une reprise des négociations

Face à la polémique, l'État continue d'affirmer vouloir obtenir des négociations entre Suez et Veolia.

"Ma position et celle de l'État restent la même : cette opération ne fonctionnera pas s'il n'y a pas d'accord amiable entre Suez et Veolia. Je souhaite que les discussions reprennent tout de suite", a affirmé mardi matin Bruno Le Maire sur Franceinfo, en promettant qu'il "ne relâcherait jamais la pression".

Veolia a aussi dit souhaiter "reprendre les discussions dès" ce mardi avec Suez.

Quant à Engie, il espère s'être débarrassé du dossier. À moins que son bras de fer avec l'État n'ai laissé des traces. Mais, interrogé par Le Monde à ce sujet, Jean-Pierre Clamadieu a relativisé la portée du conflit:

"(...) nous sommes dans des rôles différents : Bruno Le Maire est ministre de la République et défend l'intérêt collectif, moi je défends l'intérêt d'Engie et de ses parties prenantes", a-t-il déclaré.

"Nous avons eu, dans une situation particulière, une différence d'appréciation (...). Cela ne remet en cause ni la relation entre Engie et l'État ni ma volonté de rechercher le plus souvent possible un alignement d'intérêt entre Engie et son principal actionnaire."

Giulietta Gamberini

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Commentaires 2
à écrit le 07/10/2020 à 12:42
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Engie vend sa part, si l'état n'est pas content, il faut qu'il trouve 4 milliards d'euros pour racheter les 29 % d'Engie . Le hic, c'est que notre état est ruiné. Si cette bataille picrocholine continue, on va encore une fois y perdre des plumes et ...

à écrit le 07/10/2020 à 10:19
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Ça flaire le bon coup actionnarial voulu par le PDG d'Engie, suite à la surenchère acceptée par Veolia, comme l'aurait fait un vulgaire fond activiste. Qt à la cohérence stratégique pour Suez, ça semble être le cadet de ses soucis. D'où, je pense, ...

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