[Article publié le 05/10/2020 à 20:14, mis à jour le 06/05/2020 à 08:38, puis à 9h15.]
Engie a enfin tranché. Le conseil d'administration du groupe énergétique a décidé lundi soir de vendre la quasi-totalité des actions qu'il détient dans Suez (29,9% sur 32%) à Veolia, pour le prix proposé de 3,4 milliards d'euros (18 euros par action).
"Le Conseil a pris acte de l'ensemble des engagements pris par Veolia, et notamment de son engagement inconditionnel de ne pas déposer d'offre publique d'achat hostile à l'issue de l'acquisition de la participation d'Engie dans Suez et des échanges entamés entre les parties ces derniers jours sur le projet industriel", détaille un communiqué d'Engie.
Engie ne donne ainsi pas suite aux sollicitations de Suez qui, considérant l'offre de Veolia « hostile », insistait pour obtenir davantage de temps afin de construire une offre alternative. Encore lundi après-midi, alors que le fonds Ardian, qu'elle soutenait, jetait finalement l'éponge, l'entreprise cible déclarait :
« Le Conseil (d'administration de Suez, NDLR) regrette la précipitation du Conseil d'Engie de vouloir décider sans analyse et sans discussion et dialogue préalables d'une offre alternative qui préserve l'intérêt social de Suez, et celui de ses actionnaires et de toutes ses parties prenantes, salariés et clients. »
Une plus-value avant impôts de 1,8 milliard d'euros pour Engie
Mais refuser l'offre de Veolia, dont Engie avait déjà jugé « favorablement » le prix et les garanties en matière d'emploi, pour une offre alternative encore inexistante, aurait été une « lourde responsabilité » pour son conseil d'administration, avait déjà noté son président, Jean-Pierre Clamadieu. Cette considération aura donc prévalu sur la préoccupation de l'Etat, actionnaire majoritaire d'Engie, de ne pas consentir à une telle fusion entre fleurons industriels français dans un climat d'hostilité. Un communiqué de Bercy précise d'ailleurs que, "en l'absence d'accord amiable entre les deux entreprises", l'Etat a voté contre la vente.
Si "l'Etat a une voix importante, le conseil d'administration doit agir dans l'intérêt de l'ensemble des actionnaires", a toutefois expliqué le président d'Engie à des journalistes après le vote. Jean-Pierre Clamadieu, cité par l'AFP, a ajouté qu'il avait "la conviction que cette 'amicalité' (...) pourrait difficilement s'exprimer dans la situation actuelle. Et qu'en revanche une fois le bloc transféré, le pragmatisme reviendrait".
"Cette opération représente un produit de cession de 3,4 milliards d'euros et dégagera une plus-value avant impôts de 1,8 milliard d'euros enregistrée dans les comptes 2020", souligne d'ailleurs le communiqué d'Engie.
Lire: Le destin de Suez suspendu à la notion d"hostilité" de l'offre de Veolia
Une intention d'OPA en vue
Comme Veolia l'avait expliqué, dès les prochains jours l'acquéreur va donc engager des discussions avec l'Autorité de la concurrence, afin de définir exactement le périmètre des cessions nécessaires -y compris dans les déchets- pour éviter un monopole. A ce propos, le groupe a d'ailleurs promis dimanche « d'étendre le périmètre des actifs cédés au repreneur de Suez Eau France à des actifs d'eau à l'international pour un chiffre d'affaires total de l'ordre de 5 milliards d'euros (incluant les 2,2 milliards d'euros de l'Eau France) ».
Veolia a également confirmé son intention de déposer une OPA sur le solde du capital de Suez, sous conditions suspensives liées à l'aval des autorités de la concurrence. "Cette offre sera au même prix que celui payé à Engie, soit 18 euros par action", et "en numéraire, sans plafonnement", précise le groupe. Veolia se réserve toutefois la possibilité "d'ajouter une branche subsidiaire plafonnée en actions Veolia", et de modifier le prix en cas d'événements affectant les perspectives de Suez.
"Le dépôt de cette offre publique interviendra au plus tard lors de l'obtention des autorisations réglementaires nécessaires, notamment en matière de concurrence, dans les 12 à 18 mois, Veolia se réservant la possibilité de déposer l'offre publique à tout moment avant l'obtention de ces autorisations", détaille Veolia.
Une OPA hostile pas exclue
Pour tenir ses engagements vis-à-vis d'Engie, Veolia ne pourra toutefois pas lancer cette OPA "que lorsque le projet de Veolia aura été accueilli favorablement par le conseil d'administration de Suez, le cas échéant après l'assemblée générale de ses actionnaires", a confirmé Veolia lundi soir. L'entreprise compte convaincre le Conseil d'administration de Suez de la qualité de son projet industriel, et du sérieux de ses garanties en matière d'emploi. Veolia espère également persuader le même conseil d'administration de désactiver le mécanisme créé par Suez afin de rendre inaliénable sa filiale Suez Eau France, que Veolia compte céder au fonds d'investissement Meridiam, afin de respecter les règles en matière de concurrence.
Lire aussi: Ce qu'implique pour Veolia la dernière astuce de Suez
La tension entre les deux entreprises qui, malgré les tentatives de médiation du gouvernement, est encore montée d'un cran ces derniers jours, risque toutefois de rendre la tenue de cet engagement laborieuse. Lundi soir, Veolia a dit souhaiter "reprendre les discussions dès demain" mardi avec Suez. Mais en "prenant acte de la reprise par Veolia de 29,9% de son capital", Suez, dans un communiqué diffusé lundi matin, a répété considérer que cette opération se faisait "d'une manière hostile", en dénonçant en plus "des conditions inédites et irrégulières".
"Le Groupe confirme qu'il mettra en œuvre tous les moyens à sa disposition pour préserver les intérêts de ses salariés, de ses clients, et toutes ses parties prenantes, notamment pour assurer un traitement égalitaire et juste de tous ses actionnaires, et éviter une prise de contrôle rampante ou un contrôle de fait", menace-t-il.
La fusion "ne fonctionnera pas" sans un accord entre les deux groupes, s'est d'ailleurs inquiété mardi sur France Info le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, en dénonçant "l'intransigeance" de Suez et "la précipitation" de Veolia et en souhaitant "que les discussions reprennent tout de suite".
Si Veolia ne parvenait pas à s'accorder avec le conseil d'administration de Suez sur ces deux points, une OPA hostile ne serait pas exclue. « Mais ce n'est pas ce que j'envisage », avait affirmé son PDG Antoine Frérot le 30 septembre, en assurant que, dans ce cas, il remettra toute décision aux actionnaires.
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