Le destin de Suez suspendu à la notion d"hostilité" de l'offre de Veolia

Au lieu de permettre un accord, le week-end semble plutôt avoir accru la tension entre Veolia et son rival Suez. Engie et son actionnaire majoritaire, l'Etat, devront décider si toutefois la condition d'amicalité de l'offre de Veolia est réunie.
Giulietta Gamberini
En levant toute condition à sa promesse de ne pas lancer d'OPA hostile pendant six mois, Veolia a-t-il répondu à l'exigence d'amicalité?
En levant toute condition à sa promesse de ne pas lancer d'OPA hostile pendant six mois, Veolia a-t-il répondu à l'exigence d'amicalité? (Crédits : Reuters)

L'offre de Veolia, qui souhaite racheter 29,9% des actions de Suez à Engie, est-elle ou pas "hostile"? L'avenir de Suez dépendra probablement de la réponse que donnera le conseil d'administration du groupe énergétique le 5 octobre .

Mercredi 30 septembre, en accueillant "favorablement" l'offre à 18 euros par action de Veolia, le conseil d'administration d'Engie avait toutefois soumis sa décision définitive, reportée au lundi suivant, à une condition: que pendant ces cinq jours "Veolia formalise son engagement inconditionnel de ne pas lancer d'offre publique d'achat qui ne soit pas amicale". Le matin, Veolia avait en effet promis, si Engie lui vendait ses actions, de ne pas lancer d'OPA hostile contre Suez pendant six mois, afin de rechercher pendant ce temps un accord avec le conseil d'administration de la société cible sur les modalités du rapprochement. Le groupe exigeait toutefois une contrepartie: "que Suez désactive immédiatement le dispositif annoncé le 23 septembre dernier reposant sur la fondation de droit néerlandais", garantissant l'inaliénabilité de Suez Eau France.

Lire: Ce qu'implique pour Veolia la dernière astuce de Suez

Aucun accord, encore plus de tension

Avant lundi, Engie espérait ainsi que l'obstacle à une offre complètement amicale de Veolia, représenté par la fondation, puisse être levé, a expliqué son président Jean-Pierre Clamadieu au Figaro. D'une manière générale, afin de répondre à la préoccupation de l'Etat, actionnaire majoritaire d'Engie (24%) d'éviter une "guerre industrielle" entre les deux fleurons français, il s'agissait d'essayer d'en obtenir la "négociation" qui n'avait pu avoir lieu depuis la publication de l'offre de Veolia. Jean-Pierre Clamadieu s'était d'ailleurs montré optimiste.

Or, finalement, le week-end n'a pas permis d'accéder à cet accord, malgré des discussions enclenchées jeudi. Au contraire, dimanche, la tension a encore monté d'un cran par communiqués de presse interposés. A 13h57, Veolia a commencé par annoncer, "suite aux discussions constructives menées avec le management du groupe Suez", s'engager "inconditionnellement à ne pas déposer d'offre publique d'achat hostile à l'issue de la cession des titres détenus par Engie dans Suez". Il assurait ainsi apporter "la garantie souhaitée par le conseil d'administration d'Engie", en rendant "possible la cession des 29,9% du capital" détenu par Engie dans Suez. Faux, réagissait une heure plus tard Suez, en publiant une lettre envoyée à Veolia à 13h14 où son président constatait plutôt l'échec des négociations et donc le caractère toujours hostile de l'offre.

Une amicalité dans la forme ou dans le fond?

La position que prendront les membres du conseil d'administration d'Engie lundi, et notamment les administrateurs de l'Etat, dépendra donc de l'interprétation qu'ils donneront à la diatribe du week-end. En se fondant sur la lettre de leur décision de mercredi, ils pourraient considérer que Veolia, en levant toute condition à sa promesse de ne pas lancer d'OPA hostile pendant six mois, a répondu à leur exigence d'amélioration du niveau d'amicalité, et que donc son offre peut finalement être acceptée. Ils y auraient intérêt, puisqu'aucune autre proposition structurée n'est sur la table, et que lâcher la proie pour l'ombre serait une "lourde responsabilité", a déjà expliqué Jean-Pierre Clamadieu.

Lire: Suez: rater l'offre de Veolia serait une "lourde responsabilité" (Clamadieu, Engie)

Mais l'Etat pourrait aussi considérer que, dans le fond, l'hostilité reste, puisqu'aucun accord n'a pu être trouvé. Voire que Veolia l'a aggravée, en affirmant l'existence d'un accord que Suez, lettre à l'appui, nie. En ce cas, le bras de fer avec les autres administrateurs serait réengagé. Si'Etat dispose de trois sièges au conseil d'administration d'Engie, il ne peut toutefois pas exercer de veto.

Engie ne cache pas son irritation vis-à-vis de Suez

Pour l'instant, la première issue semble la plus probable. Engie l'a même préfigurée, en ne cachant pas son irritation vis-à-vis du refus de Suez de définir "amicale" l'offre de Veolia. En faisant référence à la manifestation d'intérêt exprimée dans une lettre d'intention par le fonds Ardian à la participation d'Engie dans Suez, que ce dernier soutient, une porte-parole d'Engie a affirmé dimanche:

"Nous ne pourrons examiner une offre alternative que s'il s'agit d'une offre ferme et à un prix au moins égal à celui de Veolia".

Ce qui a induit Suez a réaffirmer, dimanche même, son soutien à l'offre alternative d'Ardian.

L'Etat, toutefois, semble plutôt continuer de pencher pour la recherche d'une amicalité dans le fond. Lors d'une déclaration à la presse par téléphone, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a appelé solennellement dimanche les deux groupes "à reprendre leurs discussions dans les prochaines heures afin de parvenir à un accord amiable".

"La position de l'Etat est constante: nous souhaitons que Veolia et Suez trouvent un terrain d'entente et définissent un accord amiable qui est le seul à même de préserver les intérêts des salariés et les intérêts industriels de la nation", a précisé Bruno Le Maire.

Faisant état de discussions intenses ce week-end entre les deux groupes, il s'est montré optimiste, en considérant que"ces progrès montrent qu'un accord est possible entre Veolia et Suez sur la cession de l'actif d'Engie dans Suez dans les prochaines heures".

De nouveaux acteurs dans l'affaire

Comme l'ont montré les rebondissements des dernières semaines, dans ce feuilleton, tout coup de théâtre reste possible. D'autant plus que de nouveaux acteurs s'y invitent. Les comités sociaux et économiques (CSE) de Suez et Suez Eau France d'abord, qui ont demandé une suspension du projet de rachat et obtenu une décision en référé du tribunal de Paris le 9 octobre. L'intersyndicale de Suez ensuite qui, décidée à "combattre jusqu'au retrait" de l'offre de Veolia pour éviter une "casse sociale", a demandé aux présidents du Sénat, Gérard Larcher, et de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand, de prendre position pour que l'offre Ardian ait "le temps d'être examinée".

Les députés enfin, dont une quarantaine -majoritairement LREM- ont signé une lettre au ministre de l'Economie Bruno Le Maire pour l'informer de leur opposition à une fusion Veolia/Suez, et du dépôt lundi d'une proposition de loi interdisant "les OPA hostiles durant l'état (transitoire) d'urgence sanitaire".

"Nous considérons que l'intérêt national n'est pas à ce genre de bataille mais à la solidarité entre tous, notamment entre les acteurs économiques", explique le député LREM Pierre Person.

 Une formule qui sous-tend la question: peut-il y avoir amicalité sans solidarité?

Giulietta Gamberini

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