Pour John Cockerill, l'heure H a sonné pour propulser son savoir-faire dans l'hydrogène en France. Déjà bien implanté dans l'Hexagone notamment dans l'est (1.750 salariés sur 6.000 au total), le groupe belge bicentenaire, qui revendique un bon train d'avance sur le développement de l'hydrogène par rapport à une concurrence souvent balbutiante ou en mode start up, accélère le déploiement de ses technologies en France pour pouvoir bénéficier du plan Hydrogène, annoncé début septembre par le gouvernement. Paris va consacrer plus de 7 milliards d'euros d'ici à 2030, dont 2 milliards dans le cadre du plan de relance en 2021/2022, au développement de l'hydrogène vert. Un plan qui va favoriser l'émergence d'une nouvelle filière industrielle.
Mais bien avant les plans de la France et de l'Allemagne (9 milliards d'euros), John Cockerill, détenu par l'actionnaire français Bernard Serin (80,65%), a misé depuis cinq ans sur ce marché d'avenir qu'est l'hydrogène pour devenir l'un des acteurs majeurs de cette filière, qui reste encore à créer. Présent à la fois dans l'énergie, la sidérurgie et la défense, ce petit conglomérat (1,2 milliard d'euros de chiffre d'affaires en 2019) réalise déjà un chiffre d'affaires de plus de 20 millions avec cette activité. "Grâce à la maturité de l'activité, nous sommes déjà à l'équilibre financier (Ebit à 0) et pouvons compter sur huit à dix mois de carnet de commandes devant nous", précise à La Tribune le patron opérationnel de John Cockerill, Jean-Luc Maurange (administrateur délégué).
Un investissement de 100 millions d'euros en France
"La France est l'un des trois marchés prioritaires de développement pour John Cockerill Hydrogen, avec la Belgique et l'Allemagne", explique à La Tribune l'administrateur délégué. Et John Cockerill a un plan d'investissement ambitieux, notamment en France. Ainsi, l'entreprise belge a notamment prévu de mettre sur la table 100 millions d'euros sur une période de quatre ans (R&D, investissements industriels et montée en puissance de l'activité) en vue de se développer en France sur l'ensemble de la chaîne de valeur (électrolyseur de grande capacité, compresseur, stations de remplissage...). L'entreprise belge est d'ailleurs en train de créer une nouvelle société française, John Cockerill Hydrogen, "championne européenne des électrolyseurs de grande capacité (5 mégawatt)", assure-t-il. Cette nouvelle entité fournira aux industriels et aux professionnels du transport des solutions technologiques dédiées à la production d'hydrogène vert.
Concrètement, cette ambition se traduit par un investissement de 20 millions d'euros environ dans un projet industriel à Aspach-le-Haut (Haut-Rhin) pour accueillir une usine de fabrication d'électrolyseurs de grande capacité (5 MW), qui sera "opérationnelle fin 2021", précise Jean-Luc Maurange. Le site d'Aspach-le-Haut sera en capacité de produire plus de 100 MW dès sa mise en service. Il pourra atteindre rapidement une production de 200 MW si le marché le justifie. Cette phase permettra de créer 57 emplois. Enfin, John Cockerill est prêt à sortir le chéquier pour pour réaliser "une ou deux acquisitions stratégiques en France", notamment dans le domaine de la compression, souligne Jean-Luc Maurange.
Pourquoi John Cockerill a un train d'avance
Sur le plan industriel, John Cockerill a développé une expertise historique, qui lui permet de maîtriser l'hydrogène, une technologie utilisée dans l'industrie depuis une centaine d'année, et son environnement, notamment grâce à sa maîtrise des procédés physico-chimique. Ce savoir-faire fait partie de son cœur de métier comme par exemple l'électrolyse dans les process d'electro-galvanisation développé pour la sidérurgie. En outre, la conception, l'ingénierie d'équipement mécanique est une compétence historique clé du groupe. "Nous avons l'expérience des appareils à pression (compression et stockage) dans les secteurs de l'énergie et de l'industrie manufacturière", souligne également Jean-Luc Maurange. Enfin, la division environnement apporte de grandes compétences liées aux traitements de l'air et de l'eau.
Outre cette expérience industrielle, John Cockerill a accéléré son développement dans la filière Hydrogène en réalisant des acquisitions. L'entreprise belge a notamment mis la main en 2019 pour 10 millions d'euros sur Cockerill Jingly Hydrogen (CJH), leader des fabricants d'électrolyseurs de grande capacité en Chine (170 salariés), en devenant l'actionnaire majoritaire (56%). "Nous bénéficions d'une capacité de fabrication d'unités de 200 MW en Chine totalement occupée par le marché local", affirme Jean-Luc Maurange. Sur le plan technologique, "elle est "la seule entreprise à commercialiser des électrolyseurs de 5 MW, et prochainement de 7,5 MW", estime-t-il. Cette nouvelle capacité est prévue fin 2021.
Cette acquisition a permis à l'entreprise belge de transférer cette technologie en Europe, en France et en Belgique principalement. Une véritable belle prise pour John Cockerill car, selon le patron de John Cockerill, CJH possède aujourd'hui "deux ans d'avance technologique en matière d'électrolyse Alcaline". Toutefois, fait observer l'administrateur délégué, "si la technologie de base est chinoise, tous les nouveaux développements sont faits en Belgique et France avec une IP protégée. Nous avons notamment développé un laboratoire de tests intégré qui nous permet de concevoir diverses configurations, types de membranes, etc...".
"Grâce à l'expérience acquise à travers la co-entreprise chinoise, John Cockerill Hydrogen dispose d'une avance technologique inégalée dans la conception d'électrolyseurs de grande capacité", souligne le patron de John Cockerill.
Objectif, un électrolyseur de 20 MW
"Là où la concurrence produit des électrolyseurs de 2 MW, nous produisons des électrolyseurs de grande capacité (5 MW)", martèle Jean-Luc Maurange. Alors que la plupart de ces concurrents livre dix électrolyseurs pour atteindre 20 MW, JCH n'en livre que quatre. Cette puissance de feu permet à John Cockerill de se positionner en leader sur des projets d'envergure en Europe mais aussi dans le monde (Australie, Chine et dans les pays du Golfe). Ainsi, cette capacité permet d'ores et déjà à CJH de fournir d'ici à juillet 2021 à Taïwan 25 MW d'énergie à partir d'hydrogène verte (5 électrolyseurs de 5 MW). Mais John Cockerill ne souhaite pas s'arrête à cette puissance.
Si John Cockerill a déjà programmé des électrolyseurs puissants de 7,5 MW fin 2021, il vise la mise en service dès 2025 d'électrolyseur de 20 MW pour former des unités de 1 gigawatt. Car selon les experts, en dessous de ce palier de 20 MW, le marché ne décollera pas faute d'une production compétitive. John Cockerill est prêt à briser ce plafond de verre. D'autant que la demande est là.
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