Rapprochement entre Gorillas et Frichti : le premier domino de la consolidation du quick commerce tombe en Europe

La pandémie a dopé le business de la livraison de courses alimentaires et vu l'émergence de startups promettant de satisfaire leurs clients en 15 minutes grâce aux "darkstores". Face au potentiel du marché, les appétits sont féroces et la course au leadership induit une vague de consolidation. L'annonce d'un rapprochement entre l'Allemand Gorillas et le Français Frichti, lundi 24 janvier, pourrait bien dynamiter le secteur, sur lequel les géants de la mobilité, Uber en tête, comptent bien également tirer leur épingle du jeu.
Un livreur de la startup Gorillas, startup allemande du quick commerce en route pour livrer une commande en dix à quinze minutes, dans un rayon maximum de deux kilomètres autour de l'entrepôt.
Un livreur de la startup Gorillas, startup allemande du quick commerce en route pour livrer une commande en dix à quinze minutes, dans un rayon maximum de deux kilomètres autour de l'entrepôt. (Crédits : Reuters)

La bataille du quick commerce bat son plein. Alors que ce concept basé sur la livraison quasi-instantanément des denrées sélectionnées sur une application mobile n'existait pas il y a encore deux ans, la crise sanitaire a vu éclore une myriade de startups de livraison ultra-rapides. A coup de levées de fonds massives et de campagnes de communication abondantes, elles ont conquis des parts de marché en un temps record. Face à cette guérilla urbaine opposant de nombreux acteurs, l'Allemand Gorillas et le Français Frichti sont entrés lundi 24 janvier en "négociations exclusives".

Ce rapprochement donnerait naissance à un acteur de premier ordre. Gorillas, fort de plus d'1,3 milliard de dollars levés depuis sa création en mars 2020, revendique 12.000 salariés dans plus de 60 villes. Fritchti, de son côté, annonce "plus de 450.000 clients dans 8 villes clés" de France (Paris, Lyon, Bordeaux, Lille, Grenoble, Aix-en-Provence, Nantes) et Belgique (Bruxelles).

"Winner takes all"

L'ambition de ce rapprochement répond à la maxime économique bien connue du capitalisme numérique : "winner takes all". Dans un marché nouveau et en forte croissance, l'entreprise qui croît le plus vite, sans forcément être rentable à court terme, remportera la mise. En étant leader sur le marché, elle profitera de l'effet de réseau et maximisera, à terme, ses profits. L'opération vise donc à étouffer les Flink, Cajoo, Everli, GoPuff (qui a racheté Dija) ou YangoDeli. Mais les appétits sont féroces : dans la soirée du 24 janvier, le turc Getir annonçait, à travers un plan d'investissement de 100 millions d'investissement, notamment sur le marché britannique, une vague d'embauche de plus de 6.000 personnes.

En décembre dernier, le directeur général France de Getir Berker Yagci confirmait cette accélération des développements et des consolidations : « comme dans la plupart des industries, des consolidations sont amenées à s'opérer entre les acteurs du quick commerce ».

C'est ainsi que la startup britannique Dija, pour rattraper son retard, a d'ores et déjà été acquise par l'américain GoPuff en août dernier, et les clients sont donc directement transférés d'une application à l'autre. GoPuff, qui existe depuis 2013 aux Etats Unis, et assure des livraisons de courses en moins de 30 minutes, sur le modèle de darkstores, vient aussi de racheter une autre jeune pousse européenne, Fancy, en août dernier.

Alliance avec des distributeurs

Quant à Cajoo, elle s'est alliée à Carrefour en septembre dernier. Le géant de la grande distribution a ainsi fait son entrée au capital de la startup française, à hauteur de 40 millions de dollars (35 millions d'euros), attrapant de fait le train du quick commerce. Pour Cajoo, qui était encore un petit acteur sur le marché, cette alliance lui permet de proposer un mix produits à un prix compétitif.

« Grâce à ce partenariat, nous sommes un des seuls acteurs du quick commerce à proposer des produits d'une mdd (marque de distributeur, ndlr), ce qui permet de nous attaquer au pouvoir d'achat. En effet, le beurre Carrefour est par exemple 20 à 30% moins cher que le beurre Président », détaille Henri Capoul (Cajoo).

En novembre dernier, Gorillas a emboîté le même pas en nouant de son côté une alliance avec le groupe Casino et ses filiales Franprix et Monoprix, dans le cadre d'un partenariat d'approvisionnement exclusif, qui est entré en vigueur au 1er janvier 2022. Objectif pour Gorillas : s'allier avec un géant de la grande distribution afin de « permettre aux clients des enseignes Casino de voir leurs produits livrés en une dizaine de minutes dans les villes où est implanté Gorillas », confie Pierre Guionin.

Un quart de l'e-commerce alimentaire d'ici 5 ans

Cette consolidation démontre le potentiel du marché alors que le e-commerce ne représente à date que 9% des ventes alimentaires (selon le cabinet Nielsen). Si l'on en croit le directeur général de Flink en France Charles d'Harambure, l'arrivée de ces startups pourrait même faire tripler la part du e-commerce et « la porter à 30% à horizon cinq ans ».

Aujourd'hui déjà, les applications dotées de darkstores - ces supermarchés ou cuisines sans devantures - concentrent à elles seules 7% des commandes de courses alimentaires en ligne en France. Si elles se positionnent encore loin derrière les distributeurs classiques (75% de parts de marché), elles sont déjà devenues des acteurs de taille à Paris où elles concentrent près d'un quart des commandes selon Fox Intelligence.

A en croire l'analyste financier à la banque d'affaires européenne Bryan, Garnier & Co Clément Genelot, le potentiel de croissance du quick commerce est fort : « d'ici quatre à cinq ans, ces applications auront raflé un quart de l'e-commerce alimentaire qui atteint déjà 10 milliards d'euros », affirme-t-il.

Un modèle économique misant sur la proximité

Pour opérer aussi rapidement, ces startups ont un modèle économique particulier. Au lieu de stocker leurs denrées dans des épiceries ou supermarchés classiques, elles fonctionnent grâce à des « dark stores », autrement dit des entrepôts de stockage inaccessibles au public. Organisés comme des magasins, ils rassemblent en moyenne 2.000 références, alimentaires et non-alimentaires. Un panel assez large pour répondre aux besoins des clients, mais restreint comparé à un supermarché classique, manière de faire gagner du temps aux préparateurs de commandes.

« Contrairement à un supermarché qui a quinze marques de shampoing, on a sélectionné les cinq qui se vendent le mieux dans les villes françaises », étaye ainsi Charles d'Harambure (Flink).

Le nombre de villes couvertes et d'entrepôts mobilisés varient d'une startup à l'autre, mais leur déploiement suit toujours le même schéma : elles s'implantent d'abord à Paris, avant d'investir ensuite d'autres métropoles. Ainsi, alors que Cajoo couvrait en juin 80% de Paris, la startup a désormais étendu ses quartiers à 10 autres villes de France. Idem pour Getir, qui était implanté en juin seulement à Paris mais dessert maintenant Lille, Marseille et Lyon, et « compte continuer son expansion à travers la France en 2022 », a expliqué son directeur général France Berker Yagci à La Tribune.

Les startups se rémunèrent à partir de commissions sur les produits livrés aux clients, pour un coût ne dépassant pas les 2 euros. Actifs sept jours sur sept, de sept heures à minuit, les livreurs se déplacent à vélo ou en scooter électriques dans un rayon maximum de deux kilomètres autour des entrepôts. « On a 150.000 prospects (clients potentiels) à moins de dix minutes de chaque magasin, et c'est ce qui nous permet de tenir notre promesse d'efficacité », confie le DG de Flink. Et d'ajouter : « si on parvient à capter entre 5 et 10% d'entre eux, le magasin atteint sa rentabilité ».

Un panier moyen en hausse

Autre gage de rentabilité : le nombre de livraisons effectuées à l'heure. Ainsi, chez Cajoo, « la rentabilité est assurée si les livreurs effectuent trois à quatre livraisons par heure », confie à La Tribune son directeur général Henri Capoul. Actuellement, le panier moyen des commandes se situe « entre 20 et 30 euros » chez Cajoo, et « à 23,9 euros » chez Gorillas. Mais toutes les startups assurent qu'il « ne cesse d'augmenter depuis le lancement de l'activité ».

« Nous avons même des clients qui commandent pour des courses mensuelles allant parfois jusqu'à 200 euros », décrit ainsi le directeur général France de Gorillas Pierre Guionin à La Tribune.

Un modèle social différent d'Uber Eats et Deliveroo

Pour se démarquer, les startups redoublent de moyens : affichages dans le métro, distribution de prospectus, diffusion de publicités, partenariats en exclusivité avec certaines marques (représentant 20% de l'assortiment proposé chez Flink et 30% chez Gorillas)...

Si le mode de fonctionnement de ces jeunes pousses peut au premier abord rappeler celui employé par UberEats et Deliveroo, celles-ci ne cachent pas leur volonté de s'en démarquer. Et se targuent notamment d'employer leurs travailleurs comme salariés en CDI. Et donc de leur garantir une assurance en cas d'accident du travail, rémunération minimale, congés payés... un ensemble de droits dont les livreurs travaillant pour les grands frères de ces plateformes UberEats ou Deliveroo, sont aujourd'hui dépourvus.

« Tous les livreurs et préparateurs de commandes sont salariés en CDI chez nous », se félicite ainsi le DG France de Getir Berker Yagci.

Même son de cloche chez ses concurrents, même si certains reconnaissent tout de même à demi-mot qu'il leur arrive de compléter leurs effectifs « lors d'un pic d'activité » avec des contrats plus flexibles, en faisant notamment appel à « des intérimaires externes ».

Les startups de quick commerce revendiquent en outre de valoriser les commerces locaux au travers de divers partenariats. « Nous veillons à valoriser la vie de quartier dans les lieux où nous implantons nos entrepôts, en nous associant notamment avec des commerçants de proximité », avance ainsi le directeur général de Gorillas, Pierre Guionin. Et d'ajouter : « cela nous permet de fédérer la communauté Gorillas avec celle d'acteurs locaux comme les boulangeries Bosson par exemple ».

Ces startups se targuent enfin de favoriser un modèle écologique, dans la mesure où tous leurs livreurs sont équipés d'un vélo ou d'un scooter électriques. Certaines d'entre elles ont en outre un partenariat avec la plateforme anti-gaspillage TooGoodToGo, comme par exemple Gorillas, ou encore GoPuff, ex-Dija.

Mais qui sont donc les e-clients ?

Concernant les clients recourant à ces applications, difficile de dresser un profil sociologique type, d'autant que les ventes tendent à attirer une clientèle de plus en plus diversifiée. Une chose est néanmoins notable : la plupart des clients sont aujourd'hui des urbains, relativement jeunes, qui vont de l'étudiant ayant des contraintes horaires importantes aux télétravailleurs et jeunes cadres très dynamiques ou aux familles monoparentales qui délèguent parfois véritablement leurs courses.

« Chez Getir, la plupart des consommateurs sont soit des jeunes actifs soit des jeunes parents », confie son DG pour la France Berker Yagci. Du côté de Cajoo, la moyenne d'âge est située « entre 27 et 35 ans », selon son DG Henri Capoul.

« Le consommateur type de Cajoo n'est pas l'étudiant », fait-il remarquer, avant d'ajouter : « généralement, nos clients travaillent dans le centre-ville, ont une vie sociale assez fournie, et un travail qui leur prend du temps, et donc ce service de livraison ultra-rapide leur permet d'en gagner ».

Autre tendance soulignée par la plupart des startups : les clients semblent assez fidèles et reviennent d'une semaine sur l'autre. Interrogé en juin dernier par La Tribune, le DG de Dija, qui a désormais été racheté par le groupe GoPuff, faisait état de 40% des clients revenant chez Dija d'une semaine sur l'autre.

Changer les pratiques culturelles des consommateurs

Et si ces startups sont désireuses de fidéliser leurs clients, c'est justement parce qu'elles ambitionnent à moyen terme de devenir partie intégrante des habitudes et de révolutionner notre façon de consommer en se substituant aux magasins de proximité.

S'il est clair que les livraisons de courses à domicile ont été dopées par le contexte de crise sanitaire, favorisant ainsi le développement de ces startups, leur activité pourrait bien s'inscrire dans la durée, comme l'espèrent aujourd'hui leurs fondateurs, et rafler ainsi des parts considérables de l'e-commerce alimentaire.

« Commander ses courses en ligne à la demande, ce sera la norme dans cinq ans, de la même manière qu'on commande un VTC ou un repas aujourd'hui », martèle ainsi le directeur général de Cajoo Henri Capoul.

Reste à savoir quel acteur encore en vie aura raflé la mise de ce marché en pleine expansion.

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Commentaires 4
à écrit le 25/01/2022 à 16:17
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Ahhhh le quick commerce !! Et ses armées d'esclaves... à vélo ou pas.

à écrit le 25/01/2022 à 14:00
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Winner takes all... Le problème étant tout de même de savoir ce qu'il y a à gagner. la réponse étant pour le moment : pas grand chose. Uber a montré, pour le taxi, que c'est un combat qui ne fonctionne, par ailleurs, pas. En effet, il y a une...

à écrit le 25/01/2022 à 13:54
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Le "quick commerce" utilise des "darkstores", c'est donc merveilleux... "la livraison quasi-instantanément des denrées sélectionnées sur une application mobile" je vais de ce pas commander (par internet/Poste) un smartphone pour pouvoir commander et...

à écrit le 25/01/2022 à 13:04
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2 conséquences, des livreurs avec des statuts qui leur garantissent une vie de misère. L'assurance pour les consommateurs d'avaler les produits les plus bas de gamme.

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